Discursos e Intervenciones

ALLOCUTION DE FIDEL CASTRO RUZ, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA, POUR LE SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE DE SON ENTRÉE À L’UNIVERSITÉ, DANS LE GRAND AMPHI DE L’UNIVERSITÉ DE LA HAVANE, LE 17 NOVEMBRE 2005

Fecha: 

17/11/2005

Chers étudiants et professeurs de toutes les universités cubaines ;

Chers compañeros dirigeants et autres invités qui avaient partagé avec moi tant d’années de lutte,

 

Voila venu le moment le plus difficile, celui où je dois dire quelques mots dans ce Grand Amphi où tant de mots ont déjà dit. Un monde d’idées me vient à l’esprit, et c’est logique. Tant de temps s’est écoulé…

Vous avez été très aimables de rappeler ce jour très spécial, le soixantième anniversaire de ma timide entrée à cette université.

Je regardais une photo de l’époque. La veste ; l’expression du visage, mais je ne saurais dire si elle est de quelqu’un de fâché, ou de méchant, ou de bon, ou d’indigné, parce que la photo a été prise non le premier jour, mais quelques mois après, il me semble,  que je commençais à réagir à tant de choses comme celles que je constatais. Je n’avais pas une pensée formée, tant s’en faut, c’était une pensée avide d’idées, mais aussi d’envie de connaître ; un esprit peut-être rebelle, plein d’ambitions, d’ambitions non révolutionnaires, mais en tout cas d’ambitions et d’énergie, et peut-être aussi d’envie de lutter.

J’avais été sportif, j’avais escaladé des montagnes. On m’avait même converti, je ne sais pas pourquoi, en une espèce de scout, une sorte de lieutenant et ensuite, plus tard, de général scout. Si bien que quand j’étais lycéen, on m’avait donné des grades bien plus élevés que ceux que j’ai aujourd’hui (rires), parce qu’après je n’ai été que simple commandant. Quant à ce grade de commandant en chef, ça ne voulait dire que chef de cette petite troupe d’à peine quatre-vingt-deux hommes qui ont débarqué du Granma.

Cette appellation est venue après le débarquement du 2 décembre 1956. Quelqu’un devait bien être chef des quatre-vingt-deux, et le « en » est venu après. De commandant chef, je suis devenu commandant en chef à l’époque où il y avait déjà d’autres commandants, qui avait été le grade le plus élevé pendant bien longtemps. Je me souvenais de tout ça. Il faut bien penser à ce qu’on était, à ce qu’on pensait, à ce qu’on éprouvait comme sentiments.

Des circonstances spéciales de ma vie m’ont peut-être fait réagir. Très tôt, ma vie n’a pas été facile, et c’est peut-être pour ça que j’ai développé ce métier de rebelle.

On parle de rebelles sans cause. En tout cas, il me semble me rappeler que j’étais au contraire un rebelle avec de nombreuses causes, et je remercie la vie d’avoir pu continuer d’être, tout au long de mon existence, rebelle, même aujourd’hui, et peut-être avec encore plus de raisons qu’avant, parce que j’ai plus d’idées, plus d’expérience, parce que j’ai beaucoup appris de ma propre lutte, parce que j’ai bien mieux compris cette terre où je suis né et ce monde où nous vivons, aujourd’hui mondialisé et à un moment décisif de son évolution. Je n’oserais pas dire un moment décisif de son histoire, parce que celle-ci est bien plus brève. Elle est vraiment infime par rapport à la vie d’une espèce qui, tout récemment, voilà trois ou quatre ou cinq mille ans, a commencé à faire ses premiers pas après sa longue et sa brève évolution. Je dis « longue et brève » parce que l’homme a évolué pour devenir un être pensant peut-être en quelques centaines de milliers d’années, après que la vie soit apparue sur cette planète selon les connaisseurs, si je ne me trompe pas, voilà un milliard ou un milliard et demie d’années. La vie est d’abord apparue, puis des millions d’espèces. Et nous ne sommes que ça, une de beaucoup d’espèces qui sont apparues sur cette planète. Voilà pourquoi je dis que c’est au terme d’une vie brève et à la fois longue que nous sommes arrivés à cette minute-ci, à ce millénaire-ci dont on dit qu’il est le troisième de l’ère chrétienne.

Pourquoi est-ce que je tourne tant autour de cette idée ? Parce que j’ose affirmer que cette espèce-ci court vraiment le danger de s’éteindre, et nul ne pourrait assurer, écoutez bien, nul ne pourrait assurer qu’elle survive à ce danger.

Que l’espèce ne survivra pas, c’est quelque chose dont on a parlé voilà deux mille ans. Je me rappelle quand j’étais à l’école avoir entendu parler de l’Apocalypse, prophétisé dans la Bible, un peu comme ci, voilà deux mille ans, certains s’étaient rendus compte que cette chétive espèce pouvait disparaître un jour.

Les marxistes aussi, bien entendu. Je me souviens très bien d’un livre d’Engels, Dialectique de la nature, où il dit que le Soleil s’éteindrait un jour, que le combustible qui alimente le feu de cette étoile qui nous éclaire s’épuiserait et que la lumière du Soleil cesserait d’exister. Et alors je me pose une question que vous vous êtes posés vous-mêmes un jour, ou vos professeurs, ou des milliers et des centaines de milliers comme vous : notre espèce sera-t-elle capable ou non d’émigrer vers un autre système solaire ?

Vous ne vous l’êtes jamais posé ? Eh bien, un jour ou l’autre, vous vous la poserez, parce qu’on se pose bien des questions tout au long de sa vie, surtout quand il existe une raison de se la poser. Et je crois que l’homme n’a jamais plus de raisons de se la poser. En effet, si cette homme qui était marxiste s’est posé la question de la disparition de la chaleur et de la lumière du Soleil, et a pensé comme scientifique que le système solaire cesserait un jour d’exister, nous aussi, en tant que révolutionnaires, et en faisant voler notre imagination, nous devons nous demander ce qu’il arrivera et s’il existe un petit espoir que cette espèce-ci s’échappe en direction d’un autre système solaire où la vie existe ou peut exister. Tout ce que nous savons à présent, c’est qu’il existe un
Soleil à quatre années-lumière parmi les centaines de milliards de soleils existant dans cet énorme espace dont nous ne savons encore trop bien s’il est fini ou infini.

D’après nos maigres connaissances en physique, en mathématique, en lumière et en vitesse de la lumière, d’après ceux qui voyagent vers les planètes les plus proches où ils ne trouvent rien, et ceux qui voyageront vers Vénus – qui était à l’époque des Romains la déesse de l’Amour – et ceux qui auront le privilège d’y arriver, on se retrouvera en face de cyclones qui sont je ne sais combien de centaines de fois pires que Katrina, que Rita, ou que Michelle ou que Mitch et tous les autres qui nous frappent avec toujours plus de violence. On dit en effet que la température sur Vénus est de 400º, et qu’il y a des masses d’air ou d’atmosphère lourde en mouvement constant.

Ceux qui sont allés sur Mars, dont on disait que c’était un petit endroit où la vie a peut-être existé – Chávez blague à ce sujet en affirmant que la vie y a peut-être existé – et a disparu cherchent une particule d’oxygène ou tout autre indice de vie. Bien des choses ont pu se passer, mais le plus probable c’est qu’aucune vie développée n’ait jamais existé sur aucune de ces planètes. L’ensemble de facteurs qui ont rendu la vie possible a joué au bout de milliards d’années sur la planète Terre. Cette vie fragile n’a pu se développer que dans des fourchettes de températures limitées, entre quelques degrés en dessous de zéro et quelques degrés au-dessus de zéro ; car personne ne survit dans une eau à une température de 60º et la mort surviendrait au bout de vingt secondes, et il suffirait de quelques dizaines de degrés en dessous de zéro, sans chaleur artificielle, pour que personne ne survive. La vie a surgi dans des marges de températures limitées.

Si je parle de la vie, c’est parce que quand on parle d’universités, on parle de vie.

Qui êtes-vous ? Si vous me posiez la question, je dirai que vous êtes la vie, que vous êtes des symboles de la vie.

Nous avons évoqué ici des événements de nos vies, de notre université, de notre Alma Mater, nous avons évoqué ceux d’entre nous qui y sommes entrés voilà des dizaines d’années et ceux qui y sont aujourd’hui, qui sont maintenant en première année ou sur le point de se diplômer, ou certains qui sont déjà diplômés et qui remplissent des fonctions que d’autres, moins expérimentés, ne pourraient pas réaliser.

J’essayais de me rappeler comment étaient ces universités-là, à quoi nous nous consacrions, de quoi nous nous inquiétons. Nous nous inquiétons de cette île, de cette petite île. On ne parlait pas encore de mondialisation, la télévision n’existait pas, l’Internet non plus, pas plus que les communications instantanées d’un bout à l’autre de la planète, c’est à peine s’il y avait le téléphone et peut-être quelques avions à hélice.

En tout cas, à l’époque, vers 1945, nos avions de passagers arrivaient à peine à Miami et encore avec bien du mal. Même si j’entendais parler quand j’étais écolier du voyage de Barberán et Collar. À Birán, on disait : « Barberán et Collar sont passés par ici. » C’étaient deux pilotes espagnols qui avaient traversé l’Atlantique et avaient poursuivi jusqu’au Mexique. Après, on n’en a plus entendu parler. On discute encore de l’endroit où ils se sont écrasés : en mer entre Pinar del Río et le Mexique, ou au Yucatán, ou ailleurs… En tout cas, on n’a plus jamais rien su d’eux, mais ils avaient eu en tout cas l’audace de traverser l’Atlantique sur un petit avion à hélice qu’on venait juste d’inventer. C’est au début du siècle dernier que l’aviation a vu le jour.

Une guerre terrible venait juste de se terminer qui a coûté environ cinquante millions de morts. Je parle de 1945, l’année où je suis entré à l’université, le 4 septembre. Oui, parce que c’est le 4 septembre que j’y suis entrée, mais vous avez pris ensuite la liberté de fêter cet anniversaire n’importe quel jour, le 4 ou le 17 ou même en novembre, comme aujourd’hui. Il y a tant de commémoraisons que vous ne pourriez pas organiser tant de cérémonies, ni moi y assister, et j’aurais énormément regretté de ne pas pouvoir assister à une cérémonie à laquelle vous m’auriez invité, comme celle-ci dans ce Grand Amphi.

En fait, j’ai beaucoup de réunions tous les jours, je bavarde tous les jours des heures et des heures avec les gens, en particulier de jeunes, d’étudiants, ou avec les brigades médicales qui partent remplir de glorieuses missions qui presque personne d’autre n’est capable de remplir dans ce monde dont j’ai parlé. En effet, aucun autre pays ne pourrait envoyer un millier de médecins à un peuple frère d’Amérique centrale, ou encore les médecins qui sont en train de se battre contre la douleur et la mort, face à la pire tragédie naturelle jamais survenue dans un pays.

J’ai conversé avec chacune de ces brigades, une par une, je leur ai dit adieu. Avec celles qui sont parties à l’autre bout du monde, à dix-huit heures de vol, où est survenue une des plus grandes tragédies humaines que notre monde a connues depuis bien longtemps, je ne me souviens d’aucune autre de ce genre, à cause de l’endroit où elle a eu lieu, des gens modestes qu’elle a frappés, des bergers vivant sur des montagnes très élevés, à la veille d’un hiver qui s’annonce très rigoureux, à un endroit de très grand misère, face à l’insensibilité du monde.

Oui, d’un monde insensible capable de dépenser un billion de dollars tous les ans en publicité pour se payer la tête de l’immense majorité de l’humanité – qui paie en plus les mensonges qu’on lui raconte ! – transformant les gens en des gens auxquels on enlève la capacité de penser, parce qu’on leur fait consommer du savon, par exemple, qui est le même savon sous dix marques différentes. Et il faut bien tromper les gens, n’est-ce pas, pour qu’ils puissent payer ce billion de dollars… Ce ne sont pas les compagnies, en effet, qui le paient, ce sont les gens qui le paient en achetant les produits vantés par la pub. Oui, d’un monde insensible capable de dépenser aussi un billion de dollars tous les ans – et ça fait donc deux billions – en objectifs de caractère militaire. Oui, d’un monde insensible qui tire des masses appauvries, de l’immense majorité de la population de la planète plusieurs billions de dollars par an, et qui reste indifférent quand on lui dit qu’il y a un endroit où environ cent mille personnes sont mortes, dont peut-être de vingt-cinq à trente mille enfants, où plus de cent mille personnes sont blessées, la grande majorité atteinte de fractures des os des membres supérieurs et inférieurs, dont on a dû opérer au maximum environ 10 p. 100, où des enfants sont mutilés, et des jeunes, des femmes, des femmes, des personnes âgées…

Non, ce monde qui nous entoure n’est pas un monde plein de bonté, mais un monde plein d’égoïsme ; ce n’est pas un monde plein de justice, mais un monde plein d’exploitation, d’abus, de pillage, où des millions d’enfants meurent tous les ans alors qu’ils pourraient se sauver, tout simplement parce qu’il leur manque quelques centimes de médicaments, un peu de vitamines et de sels minéraux, et quelques dollars d’aliments, juste assez pour pouvoir survivre. L’injustice en tue chaque année presque autant que la guerre colossale dont je viens de parler a fait de victimes.

Quel monde que le nôtre ! Quel monde que le nôtre où un empire barbare proclame son droit d’attaquer par surprise et à titre préventif une soixantaine de pays du monde ou plus, qui est capable de porter la mort à n’importe quel coin du monde en recourant aux armes et aux techniques de mort les plus perfectionnées ! Un monde où règne la loi de la brutalité et de la force, où il existe des centaines de bases militaires un peu partout, dont une sur notre terre à nous, quand l’empire y est intervenu alors que le pouvoir colonial espagnol ne pouvait plus résister et que des centaines de milliers des meilleurs fils de ce peuple, qui ne comptait alors qu’un million d’habitants, avaient déjà péri dans une longue guerre d’une trentaine d’années ; et cet  empire nous a imposé ensuite en traître l’amendement Platt, un amendement répugnant en vertu d’une résolution tout aussi répugnante qui lui donnait le droit d’intervenir chez nous chaque fois que l’ordre, selon lui, n’y régnait pas. Plus d’un siècle s’est écoulé, et l’empire occupe toujours par la force cette base-là.

Qui est devenue la honte et l’épouvante du monde ! Parce qu’elle est devenue un antre de tortures, où sont enfermées des centaines de personnes, séquestrées un peu partout dans le monde. L’empire ne les amène pas chez lui, parce qu’il peut exister des lois qui lui causerait des difficultés pour maintenir séquestrés de force, dans la plus totale illégalité, des années durant, sans la moindre démarche, sans le moindre droit, sans la moindre procédure, ces hommes qui, au grand étonnement de la planète, ont été soumis de plus à des tortures sadiques et brutales. Et le monde l’a appris quand on a découvert en Irak une prison où l’on torturait des centaines de prisonniers du pays envahi par l’empire de tout son pouvoir colossal et où des centaines de milliers des civils irakiens ont perdu la vie.

On découvre tous les jours des choses nouvelles. On a appris tout récemment que l’administration étasunienne disposait de prisons secrètes dans les pays satellites d’Europe de l’Est, dont les gouvernements votent à Genève contre Cuba et l’accusent de violations des droits de l’homme. Or, notre pays n’a jamais connu un seul centre de torture en quarante-six ans de Révolution ; notre Révolution n’a jamais violé cette tradition sans précédent dans l’histoire : jamais personne n’a été torturé – que je sache. Nous ne serions d’ailleurs pas les seuls à empêcher ce genre de choses, notre peuple le ferait aussi, parce qu’il se fait une très haute idée de la dignité humaine.

Qui de nous, qui de vous, qui de nos compatriotes admettrait tout bonnement qu’un citoyen puisse être torturé ? Et ce, malgré les milliers d’actes de barbarie et de terrorisme commis contre notre pays, malgré les milliers de victimes causés par l’agression de cet empire qui nous impose un blocus depuis plus de quarante-cinq ans et qui tente de nous étouffer par tous les moyens… Et ces gens-là ont le front, comme le disait récemment l’un d’eux en face, après le vote écrasant de l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution contre le blocus, 182 voix pour, une seule abstention, dont les difficultés sont les resultats de notre échec. grand complice de ce bandit, à savoir l’Etat pro-nazi d’Israël qui soutient … Oui, il faut le dire : les dirigeants de ce pays commettent leurs crimes au nom d’un peuple qui a souffert de persécutions dans le monde pendant plus de mille cinq cents ans et qui a été victime des crimes les plus atroces lors de la deuxième guerre mondiale, au nom du peuple israélien qui n’est absolument pas coupable de ce génocide sauvage que ce gouvernement au service de l’empire commet contre le peuple palestinien, un autre Holocauste, et qui proclame même son droit d’attaquer d’autres pays par surprise et à titre préventif.

Aujourd’hui même, l’Empire menace d’attaquer l’Iran si celui-ci produit du combustible nucléaire. Le combustible nucléaire, ce ne sont pas des armes atomiques, ce ne sont pas des bombes atomiques. Prohiber à un pays de produire le combustible de l’avenir, ça revient à vous interdire de chercher du pétrole, qui est le combustible du présent et qui s’épuisera physiquement en peu de temps. À quel pays du monde interdit-on de chercher du combustible, du charbon, du gaz, du pétrole ?

Nous connaissons bien l’Iran, un pays de soixante-dix millions d’habitants qui se propose de se développer industriellement et qui pense tout à fait raisonnablement que c’est un grand crime de compromettre ses réserves de gaz ou de pétrole pour pouvoir produire les milliards de kilowatts-heure qu’exige son développement industriel, surtout avec l’urgence que réclame un pays du tiers monde. Et voilà que l’Empire veut le lui interdire et menace de le bombarder. Si bien qu’on discute dans l’arène internationale à quel jour ou à quelle heure ça se fera, si ce sera l’Empire qui le fera, ou s’il utilisera, comme il l’a fait en Iraq, son satellite israélien pour bombarder de manière préventive et par surprise les centres de recherche iraniens qui mettent au point la technique de production du combustible nucléaire.

D’ici à trente ans, il n’y aura plus de pétrole, dont 80 p. 100 sont maintenant aux mains de pays du tiers monde, puisque les autres pays ont épuisé le leur, entre autres les Etats-Unis qui a eu d’immenses réserves de pétrole et de gaz dont il ne reste plus que pour quelques années, ce qui explique pourquoi ils s’efforcent de s’assurer la possession de pétrole dans n’importe quelle partie de la planète et de la façon que ce soit. En tout cas, cette source d’énergie sera épuisée d’ici vingt-cinq à trente ans, et il ne restera plus qu’une seule source fondamentale pour la production massive d’électricité, en plus de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne, etc. : l’énergie nucléaire.

Il est encore lointain le jour où l’hydrogène, car les processus technologiques en sont encore à leurs balbutiements, pourrait devenir une source plus adéquate de combustible sans lequel l’humanité ne pourrait vivre, car elle a atteint des niveaux de développement technique déterminés. C’est déjà un problème actuel.

Notre ministre des Relations extérieures vient de répondre à l’invitation de l’Iran, dans la mesure où Cuba sera le siège, l’an prochain, de la prochaine conférence au sommet des pays non alignés, et où cette nation-là réclame le droit de produire du combustible nucléaire comme n’importe quelle nation industrielle, sans avoir à épuiser ses réserves d’une autre matière première qui sert à produire non seulement de l’énergie, mais de nombreux autres produits, des engrais, des textiles, une foule de choses d’usage universel.

Voilà comment va le monde ! Et on verra bien ce qu’il se passera s’ils se mettent à bombarder l’Iran pour détruire des installations qui lui permettent de produire du combustible nucléaire.

L’Iran a signé le traité de non-prolifération nucléaire, tout comme Cuba. Nous n’avons jamais parlé de la possibilité de fabriquer des armes nucléaires, parce que nous n’en avons pas besoin. Et à supposer que nous en ayons besoin, combien cela coûterait-il de les produire, et qu’est-ce que nous ferions d’une arme nucléaire face à un ennemi qui en possède des milliers ? Ce serait entrer dans le jeu des affrontements atomiques.

Nous possédons un autre genre d’armes nucléaires : nos idées. Oui, nous possédons bel et bien des armes nucléaires : la grandeur de la justice pour laquelle nous nous battons. Oui, nous possédons des armes nucléaires : nos armes morales qui sont invincibles. Voilà pourquoi nous n’avons jamais eu l’idée de fabriquer d’autres armes, par exemple des armes biologiques.  À quoi bon ? Des armes, oui, pour combattre la mort, pour combattre le sida, pour combattre les maladies, pour combattre le cancer. Voilà à quoi nous consacrons nos ressources, même si le bandit des grands chemins – je ne me rappelle même plus comment s’appelait cet individu, Bordon, ou Bolton, un archimenteur, un super-impudent, qui est maintenant rien moins que représentant des USA aux Nations Unies ! – avait osé inventer que le Centre de génie génétique de Cuba faisait des recherches pour mettre au point de armes biologiques.

L’Empire nous a aussi accusé de collaborer avec l’Iran, de lui transférer des techniques dans ce but, alors que ce que nous sommes en train de bâtir entre les deux pays, c’est une usine de produits contre le cancer. Et il veut aussi l’interdire… Qu’ils aillent au diable, tous ces gens-là, ou là où ils veulent ! Comment peut-on être aussi crétins ! Comme s’ils allaient nous faire peur ! (Applaudissements.)

Comment peut-on être aussi menteurs, aussi impudents ! Jusqu’à la CIA savait que c’était un mensonge ce qui disait alors celui qui est maintenant le représentant de l’administration étasunienne aux Nations Unies, qui avait même contraint un de ses subalternes à démissionner parce que celui-ci avait dit que c’était un mensonge, et des fonctionnaires du département d’Etat avaient aussi constaté que c’était faux, et cet individu était fou furieux, prêt à s’en prendre à tous ceux qui disaient la vérité. Voyez donc un peu qui est le représentant de Bush devant la communauté des nations, dont cent quatre-vingt-deux viennent de voter contre l’infâme blocus. Voilà le monde où ces gens-là prétendent régner en maître par la force et par leurs mensonges et par leur monopole quasi total des médias. Voyez un peu quel genre de batailles se livre aujourd’hui. Et Bush a nommé cet individu contre la volonté du Congrès, bien que le monde entier sache qu’il s’agit d’un insolent et d’un menteur répugnant.

Le gentleman qui gouverne les Etats-Unis, on lui découvre tous les jours quelque chose de nouveau, un nouveau truc, un nouveau crime, une nouvelle scélératesse, de lui ou des membres de son administration, et ils tombent un par un comme des pommes pourris, pourrait-on dire, en faisant un peu de bruit. Il ne reste plus grand-chose sur le pommier, mais ils continuent de faire des insanités.

Je vous parlais de prisons secrètes dans plusieurs pays où l’on envoie les prisonniers sous prétexte de la guerre contre le terrorisme. Plus seulement à Abou Ghraib, plus seulement à Guantánamo. On découvre maintenant partout dans le monde des prisons secrètes où les défenseurs des droits de l’homme torturent : ce sont les mêmes qu’on retrouve à Genève votant à la queue leu leu, comme des moutons, contre Cuba, le pays qui ne connaît pas la torture, ce qui est tout à l’honneur et à la gloire de cette génération, à l’honneur et à la gloire de cette Révolution, à l’honneur et à la gloire d’un pays qui se bat pour la justice, pour l’indépendance, pour la dignité humaine, et qui doit préserver sans tache sa pureté et sa dignité ! (Applaudissements.)

Mais ce n’est pas tout. On a appris ce matin que l’empire avait utilisé du phosphore blanc sur Falloudjah, quand il a constaté qu’il ne parvenait pas à vaincre un peuple pratiquement désarmé, au point que les envahisseurs ne pouvaient ni partir ni rester : s’ils partaient, les combattants rebelles revenaient ; s’ils restaient, ils ne pouvaient envoyer ces troupes ailleurs où ils en avaient besoin. Plus de deux mille jeunes soldats étatsuniens sont déjà morts, et certains se demandent : jusqu’à quand continueront-ils de mourir dans une guerre injuste, justifiée, qui plus est, par de grossiers mensonges ?

Car n’allez pas croire que l’Empire dispose de réserves de soldats abondantes, car toujours moins d’Etasuniens s’enrôlent. Il a donc dû transformer l’enrôlement en une source d’emploi, engager des chômeurs, et il tente bien souvent d’engager le plus grand nombre possible de Afro-américains dans ses guerres injustes. Mais on finit par apprendre que toujours moins de Noirs sont disposés à s’engager dans l’armée, malgré le chômage et la marginalisation dont ils sont victimes, parce qu’ils sont conscients qu’on les utilise comme de la chair à canon. Après avoir crié « sauve qui peut », le gouvernement a abandonné dans les ghettos de Louisiane des milliers de citoyens qui ont perdu la vie en se noyant ou dans les foyers de vieux ou dans les hôpitaux, au point que certains ont même été victimes d’euthanasie de la part du personnel médical qui craignait de les voir mourir noyés. Ce sont des histoires vraies sur lesquelles il faudrait méditer.

L’Empire a besoin de Latinos, d’émigrants, et ceux-ci, pour tenter d’échapper à la faim, franchissent la frontière mexicaine. Plus de cinq cents meurent chaque année en tentant de franchir la frontière, autrement dit bien plus en douze mois que ceux qui sont morts en vingt-huit ans au fameux mur de Berlin.

L’Empire parlait tous les jours du mur de Berlin. Mais pas un mot de celui qui se dresse entre le Mexique et les USA, où plus de cinq cents personnes meurent tous les ans en tentant de le franchir pour échapper à la pauvreté et au sous-développement. Voilà le monde où nous vivons.

Du phosphore blanc sur Falloudjah ! En secret. Voilà l’Empire ! Quand ç’a été dénoncé, l’administration Bush a répondu que le phosphore blanc était une arme normale. Si elle était normale, pourquoi n’en a-t-elle rien dit ? Or, cette arme est interdite par les conventions internationales. Le napalm est interdit, et le phosphore blanc encore plus.

On reçoit tous les jours des nouvelles de ce genre, et toutes ces choses-là ont à voir avec la vie, ont à voir avec ce monde-ci. Voyez un peu quelle différence énorme avec l’époque où je suis entré à l’université, plein d’idéaux, plein de rêves, plein de bonne volonté, même si celle-ci n’était pas nourrie d’une idéologie profonde et des idées que j’ai acquises au fil des ans. Voilà comment les jeunes gens entraient dans cette université qui n’était pas, soit dit en passant, l’université des humbles : c’était l’université des classes moyennes, l’université des riches, même si les jeunes étaient généralement au-dessus des idées de leur classe et si beaucoup d’entre eux étaient capables de se battre, de la même manière qu’ils se sont battus tout au long de l’histoire de Cuba.

Les huit élèves de médecine fusillés en 1871 ont été les fondements des plus nobles sentiments et de l’esprit de rébellion de notre peuple, justement indigné par cette injustice colossale. Ou alors les Neuf dont nous commémorons la mort aujourd’hui, assassinés par les nazis à Prague, le 17 novembre 1939, pendant la seconde guerre mondiale.

Ces élèves de médecine ont toujours fait partie de l’histoire de notre jeunesse, et ils ont toujours lutté contre les gouvernements.tyranniques et corrompus.  Mella était issu lui aussi des couches moyennes, ce qui est logique parce que ceux des classes les plus pauvres, les fils de paysans, les fils d’ouvriers ne savaient ni lire ni écrire. Comment auraient-il pu entrer à l’université, comment auraient-ils pu entrer au lycée ?

C’est parce que j’étais fils de propriétaire foncier que j’ai pu conclure les études primaires et entrer ensuite au collège.

Si vous n’aviez pas le bac, vous ne pouviez pas entrer à l’université. Si vous étiez fils de paysan, fils d’ouvrier, si vous viviez dans une sucrerie ou dans n’importe laquelle des nombreuses communes autres que Santiago ou Holguín ou peut-être Manzanillo et deux ou trois autres, vous ne pouviez même pas être bachelier. Même pas bachelier ! Encore moins diplômé universitaire, parce que pour ça il vous fallait venir à La Havane.

Si j’ai pu venir à La Havane, c’est parce que mon père disposait de ressources. Une fois bachelier, c’est le hasard qui m’a amené à La Havane. Étais-je donc meilleur que n’importe lequel de ces centaines de jeunes garçons, dont presque aucun n’a pu conclure le primaire et aucun n’a passé le bac, et aucun n’est entré à l’université ?

J’ai parlé de mon cas à moi, comme celui de bien d’autres. J’ai mentionné Mella, mais je pourrais mentionner Guiteras, je pourrais mentionner Trejo qui est mort au cours d’une des manifs contre Machado, un 30 septembre, je pourrais mentionner des noms comme ceux que vous avez signalés au début de la cérémonie.

Avant la Révolution, il y a toujours eu des étudiants nobles, prêts à se sacrifier, prêts à donner leur vie dans la lutte contre la tyrannie de Batista. Quand celle-ci s’est de nouveau implantée dans toute sa rigueur, de nombreux étudiants se sont battus et de nombreux étudiants sont morts. Je me rappelle ce jeune homme de Cárdenas, Manzanita, comme on l’appelait, toujours souriant, toujours jovial, toujours affectueux avec les autres, qui se distinguait par son courage, par sa fermeté quand il descendait le grand escalier de l’université, quand il faisait face aux canons à eau de la police, quand il se heurtait à la police.

Si vous visitez la maison de José Antonio Echevvería, vous pouvez constater que c’est une excellente maison. Ce qui veut dire que les étudiants dépassaient très souvent leur origine sociale, leur origine de classe, parce que c’est un âge où l’on a beaucoup d’espoir, beaucoup de rêves.

De toute façon, cette université ne comptait qu’une seule faculté de médecine, un seul CHU, et beaucoup décrochaient des prix de médecine, voire de chirurgie, sans avoir jamais fait un seule opération.

Certains y parvenaient, se remuaient, nouaient des relations avec tel ou tel professeur qui les aidait, leur faisait faire quelques stages, les amenait à un hôpital. C’est ainsi que de bons médecins sont apparus. Pas un tas de bons médecins, non, n’allez pas croire. Il y en avait un tas en revanche désireux d’aller aux USA, ou alors parce qu’ils étaient au chômage. Au triomphe de la Révolution, beaucoup sont de fait partis aux USA, et il n’en est resté que la moitié ; trois mille et le quart de professeurs.

C’est de là que notre pays a dû partir pour devenir quasiment la capitale de la médecine mondiale. Notre peuple peut compter maintenant sur au moins quinze médecins, et bien mieux distribués, pour chacun de ceux qui sont restés dans le pays au début de la Révolution. Notre pays compte – j’ai demandé le chiffre exact – vingt-cinq mille élèves de médecine – environ sept mille en première année, et non moins de sept mille entreront chaque année – et plus de soixante-dix mille médecins. Je ne parle pas des dizaines de milliers d’étudiants d’autres sciences médicales, qui doit faire un total de quatre-vingt-dix mille quand vous ajoutez le personnel infirmier, ceux qui étudient la licence de soins infirmiers et d’autres disciplines en rapport avec la médecine. Et ce dans la masse énorme d’étudiants.

Je tenais à signaler cette différence par rapport à l’année où je suis entré à l’université. Qu’est-ce qu’était notre pays alors ? Il faut se le demander et réfléchir sur ce qu’est notre pays aujourd’hui dans tous les domaines. Et je pourrais me poser la question au sujet d’un tas d’autres choses. Il n’y a pas de comparaison possible.

Je vous parlais de Barberán et Collar qui ont disparu à bord d’un petit avion plein de réservoir d’essence, parce que c’était la seule chose qu’ils pouvaient… Ils ont décollé, ils sont partis presque comme nous l’avons fait, nous, depuis le Mexique en 1956 : si nous partons, nous arrivons ; si nous arrivons, nous entrons ; si nous entrons, nous triomphons. Il semblerait que d’autres aient fait auparavant une action aussi audacieuse que celle-là de traverser l’Atlantique : ils ont décollé, ils sont arrivés à Cuba, ils ont décollé de nouveau, cette fois, ils sont arrivés sans vie au Mexique.

Je parlais d’un petit avion qui décollait, d’un petit avion qui semblait mu par la force d’une élastique… Vous n’avez jamais vu de ces petits avions que vous lancez en entortillant un élastique ? Eh bien, c’était un peu pareil : vous le lâchez, ils décollent, mais arrivent-ils ? Quand notre Révolution a triomphé sur ce continent, tout à côté de l’Empire et cernée de satellites de l’Empire, sauf quelques rares exceptions, nous entreprenions un chemin très difficile.

Mais c’était déjà quelques années après mon entrée à l’Université. J’y suis entrée presque fin 1945 et j’ai lancé la lutte armée à la Moncada, le 26 juillet 1953, de fait, presque huit ans après. Et la Révolution triomphe cinq ans, cinq mois et cinq jours après la Moncada, au terme d’un long trajet de prisons, d’exile, de lutte dans les montagnes. En comparaison des luttes antérieures, si dures et si difficiles, de notre peuple, ç’a été, historiquement parlant, un délai relativement bref, en deux étapes : mon entrée à l’université, ma sortie et le coup d’Etat de Batista du 10 mars 1952.

Cette étape du début de la lutte, c’est le point dont il faut partir maintenant : nous tentions de décoller, nous ne connaissions même pas bien les lois de la gravité, nous grimpions en luttant contre l’Empire, qui était déjà le plus puissant, mais face auquel il existait un autre superpuissance, comme nous l’appelions. Et c’est en grimpant, en escaladant, que nous avons pris de la bouteille, que notre peuple s’est fortifié, ainsi que notre Révolution, pour en arriver où nous en sommes maintenant.

Je souhaiterais avoir plus de temps pour parler. En tout cas, ce maintenant de maintenant est un maintenant sans précédent, c’est une heure très différente de toutes les autres ; elle ne ressemble en rien à celle de 1945, elle ne ressemble en rien à celle de 1950 quand j’ai conclu mes études universitaires, mais en possession cette fois-ci de toutes les idées dont j’ai parlé un jour, affirmant avec amour, avec respect, avec une grande affection, que c’est dans cette université-ci, où j’étais entré tout simplement doté d’un esprit rebelle, doté de quelques idées élémentaires de justice, que je me suis fait révolutionnaire, que je me suis fait marxiste-léniniste et que j’ai acquis les sentiments auxquels je n’ai jamais eu la tentation – et c’est un privilège – de renoncer, tant s’en faut, tout au long de ces années. Et j’ose dire que je n’y renoncerai jamais.

Et puisque j’ai passé aux aveux, je dirais qu’en sortant de cette université, je me croyais très révolutionnaire, alors que je m’engageais tout simplement sur un autre chemin bien plus long. Mais si je me sentais révolutionnaire, si je me sentais socialiste, si j’avais acquis toutes les idées qui ont fait de moi – et il ne pouvait y avoir aucune autre – un révolutionnaire, je vous assure modestement que je me sens aujourd’hui dix fois, vingt fois, peut-être même cent fois plus révolutionnaire qu’à l’époque (applaudissements). Si j’étais alors disposé à donner ma vie, je suis aujourd’hui mille fois plus disposé à la donner qu’à l’époque (applaudissements).

Vous pouvez donner votre vie pour une noble idée, pour un principe moral, pour un sentiment de dignité et d’honneur, même sans être révolutionnaire. Ainsi, des dizaines de millions d’hommes sont tombés sur les champs de bataille de la première guerre mondiale et d’autres guerres, amoureux d’un symbole, d’un drapeau qu’ils trouvaient beau, d’un hymne qu’ils trouvaient beau, comme La Marseillaise à son époque révolutionnaire. Celle-ci est devenue ensuite l’hymne de l’empire colonial français, et c’est au nom de cet empire colonial et du partage du monde que des millions de Français sont morts en masse dans les tranchées de la première guerre mondiale. L’homme est capable de mourir. C’est en fait le seul à être conscient de donner sa vie volontairement. Il ne lutte pas par instinct, comme tant d’autres animaux que conduisent les lois de la nature. L’homme est une créature pleine, l’homme… L’homme et la femme, bien entendu. Quand je dis homme, il faut toujours plus dire : la femme. J’ai des raisons d’y croire, mais je ne sais si j’aurais le temps de les énoncer. En tout cas, l’homme est le seul capable, consciemment, de passer par-dessus tous les instincts ; l’homme est un être plein d’instincts, d’égoïsmes ; il naît égoïste, parce que la nature le lui impose ; la nature lui impose les instincts, et l’éducation lui impose les vertus ; la nature lui impose des choses à travers les instincts, dont celui de la survie, qui peuvent le pousser à l’infamie, alors que, d’un autre côté, la conscience peut le conduire aux plus grands actes d’héroïsme. Peu importe que nous soyons chacun de nous à part, que nous soyons différents les uns des autres, mais nous ne faisons qu’un à nous tous.

Il est étonnant que, malgré les différences entre eux, les êtres humains puissent ne faire qu’un à un moment donné, et ce, grâce aux idées. Personne ici n’a suivi la Révolution par culte envers quelqu’un ou par sympathie personnelle pour quelqu’un. Ce n’est que grâce aux principes, grâce aux idées, qu’un peuple devient capable de la même volonté de sacrifice que n’importe lequel de ceux qui tentent, avec loyauté et sincérité, de le diriger et de le conduire vers un destin.

Notre histoire est pleine d’homme de pensées, Martí par exemple, et bien d’autres patriotes éminents ; l’histoire du monde en est pleine ; l’histoire du mouvement révolutionnaire est pleine de théoriciens, de grands théoriciens qui n’ont jamais renoncé à leurs principes. Ce sont les idées qui nous unissent, ce sont les idées qui font de nous un peuple combattant, ce sont les idées qui nous font, non seulement individuellement mais collectivement révolutionnaires. Et c’est quand la force de tous s’unit qu’un peuple ne peut plus être vaincu, quand la quantité d’idées est bien supérieure, quand la quantité d’idées et de valeurs que l’on défend se multiplie qu’un peuple, alors, encore moins, peut être vaincu.

Ainsi, quand je me rappelle les compañeros, et que je regard les jeunes qui ont des tâches importantes, et les autres, dont beaucoup ont été des dirigeants de cette université et qui ont derrière eux de nombreuses années de lutte, certains plus de cinquante, certains autres plus de quarante, et toujours fidèles au poste, certains étudiants, d’autres d’origine modeste, tels ceux que je vois devant moi, depuis ceux qui ont participé à l’attaque de la Moncada et ceux qui sont venus à bord du Granma, qui se sont battus dans la Sierra Maestra et qui ont participé à tous les combats, que je vois devant moi, défendant une cause, défendant un drapeau.

Je vois par exemple notre cher Alarcón. On a parlé ici, auparavant, de la bataille pour nos cinq héros prisonniers, et Alarcón ne cesse de se battre inlassablement pour la justice en leur faveur. C’est une tâche que la Révolution lui a confiée, du fait de ses qualités, de son talent, de son caractère de président de l’Assemblée nationale.

Je vois le compañero Machado, un vieux médecin – pas un médecin vieux – qui nous a accompagné dans les montagnes. Je vois Lazo, je vois Lage, je vois Balaguer, j’en vois beaucoup – je vois encore quelque chose (rires) – je crois voir Sáez, je crois voir le ministre de l’Enseignement supérieur, je crois voir Gómez – oui, c’est lui, peut-être un petit peu plus gros – et un peu plus loin je vois Abel, au nom biblique, qui vient de se distinguer beaucoup là-bas à Mar del Plata, où s’est déroulée une bataille très glorieuse.

Voyez un peu combien de gens, voyez un peu combien de changements, voyez un peu quels objectifs nous poursuivons aujourd’hui… Mais voyez aussi combien de stratégies on conçoit contre nous, qui nous insèrent dans la stratégie mondiale alors que nous sommes un pays minuscule, ici, à cent cinquante kilomètres de l’Empire colossal, de l’Empire le plus puissant qui ait jamais existé dans l’Histoire et qui, quarante-six ans après, est de moins en moins capable de faire plier la nation cubaine, cette nation qu’il a offensée et humiliée durant quelque temps (applaudissements), cette nation dont il a été le maître et seigneur. Maître de tout : des terres, des mines, de centaines de milliers d’hectares des meilleures terres, des ports, des installations, du système électrique, du transport, des banques, du commerce, etc. Et ces gens sont si crétins qu’ils croient que nous les allons les supplier à genoux de revenir ici : « Venez nous sauver une fois de plus, ô sauveurs du monde ; venez, nous allons tous vous donner une fois de plus ! » Et alors nous leur rendrions les universités du pays, pour qu’ils y mettent cinq mille étudiants, et non un demi-million, parce qu’un demi-million, c’est trop pour leur mentalité à eux, qui ont besoin de chômeurs et d’affamés pour que leur cochonnerie de capitalisme fonctionne à base d’une armée de réserve ; qu’ils viennent donc pour voir se reproduire les chômeurs, les analphabètes qui faisaient la queue pour couper la canne, sans que personne ne leur apporte même une goutte d’eau, ni un quignon de pain, ni ne leur donne où dormir ni comment se déplacer. Et nous pourrions leur dire : « Cherchez-les donc, pour voir si vous les trouvez, parce qu’ici, ce sont maintenant leurs enfants qui étudient par centaines de milliers à l’université ! » (Applaudissements.)

Je l’ai vu, personne ne me l’a raconté ; je l’ai vu voilà à peine quarante-huit heures au palais des Congrès. D’abord, dans un groupe de quelques centaines avec leur t-shirt bleus ; je l’ai vu dans ces jeunes gens qui ont conclu leurs études de travailleurs sociaux et qui sont tous aujourd’hui – tous sans exception ! – des étudiants, au terme d’une année d’études intenses pour devenir des travailleurs sociaux, au terme de plusieurs années d’études. Au début, ils étaient cinq cents ; aujourd’hui ils sont vingt-huit mille !

C’est Agramonte, je crois – d’autres parlent de Céspedes – qui, répondant aux pessimistes, alors qu’il n’avait que douze hommes avec lui, s’est exclamé : « Peu importent ceux qui n’ont pas confiance – ce n’est pas la phrase exacte, je ne m’en souviens plus exactement – avec douze hommes, on fait un peuple. » Alors, si avec douze hommes, on fait un peuple, combien de fois sommes-nous douze hommes ! Et douze hommes, multipliés par allez savoir combien de fois, armés d’idées, de connaissances, de culture, qui savent comment va notre monde, qui s’y connaissent en histoire, en géographie, qui s’y connaissent en luttes, parce qu’ils possèdent ce qu’on appelle une conscience révolutionnaire, qui est la somme de bien des consciences, qui est la somme de la conscience humaniste,  la somme d’une conscience de l’honneur, de la dignité, des meilleures valeurs que peut récolter un être humain, qui est la fille de l’amour de la patrie et de l’amour du monde, qui n’oublie pas cette idée avancée voilà plus de cent ans : la patrie est l’humanité. La patrie est l’humanité, voilà ce qu’il faut répéter tous les jours, quand quelqu’un oublie ceux qui vivent en Haïti, ou au Guatemala, ce pays frappé entre autres causes par la catastrophe naturelle, souffrant des douleurs inénarrables, une pauvreté inénarrable, comme c’est généralement le cas dans la plus grande partie du monde.

Voilà tout ce que peut exhiber l’Empire infâme et son système répugnant, fruit de l’histoire et de la longue marche de l’espèce humaine vers une société de justice jamais conquise depuis des milliers d’années, autrement dit la très brève histoire relativement connue de l’espèce humaine. Et plus cet Empire s’éloigne de cette société juste, et plus nous nous en rapprochons, nous, et plus nous prouvons que c’est possible, indépendamment des tas de défauts que nous avons encore, indépendamment d’erreurs, de fautes, au point que j’ose dire que c’est la société qui est la plus proche de ce qu’on pourrait appeler une société juste dans l’histoire de l’Humanité.

Où est donc la justice que je ne la voie pas ? Je ne la vois pas parce qu’Untel gagne vingt fois, trente fois plus que moi, qui suis médecin, ou qui suis ingénieur, ou qui suis professeur universitaire. Où est-elle donc ?  Et pourquoi ? Que produit Untel ? Combien de personnes éduque-t-il ? Combien de personne soigne-t-il ? Combien de personnes rend-il heureuses par ses connaissances, par ses livres, par son art ? Combien de personnes rend-il heureuses en leur bâtissant une maison ? Combien de personnes rend-il heureuses en cultivant quelque chose pour qu’elles puissent s’alimenter ? Combien de personnes rend-il heureuses en travaillant dans une usine, dans une industrie, dans les systèmes électriques, dans les systèmes d’eau potable, dans les rues, dans l’installation de câbles électriques, ou en s’occupant des communications ou en imprimant des livres ? Combien de personnes ?

Il existe, et il faut le dire, plusieurs dizaines de milliers de parasites qui ne produisent rien et gagnent  autant que cet individu qui possède une vieille bagnole et qui, en achetant et en volant de l’essence sur tout le trajet de La Havane à Guantánamo, conduit un de ces jeunes étudiants qui doit y aller alors que les transports sont très difficiles en lui faisant payer mille ou mille deux cents pesos, sur des routes pleines de trous à bien des endroits et sans signalisation, parce que nous n’avons pas pu les terminer pour différentes raisons, à cause de ressources non disponibles, ou d’incapacités que nous n’avions pas dépassées, ou par manque de contrôle de la part de ceux qui gèrent ou dirigent.

Oui, il faut tout à fait en tenir compte et ne pas les oublier, parce que nous sommes devant une grande bataille que nous devons livrer, que nous avons commencé à livrer, que nous allons livrer et que nous allons gagner. C’est le plus important.

Oui, nous en sommes conscients et toujours plus conscients, et c’est à ça que nous pensons avant tout : à nos défauts, à nos erreurs, à nos inégalités, à nos injustices.

Et je n’oserais pas soulever cette question ici si je n’étais pas absolument convaincu, si je n’étais pas absolument sûr que, sauf catastrophes mondiales, sauf guerres colossales, nous avançons de manière accélérée vers leur réduction et leur liquidation afin d’en arriver à ce que, écoutez bien, chaque citoyen de ce pays, dont 10 ou 15 ou 20 p. 100 et plus étaient autrefois chômeurs, chaque citoyen de ce pays dont un million était autrefois analphabètes et dont 90 p. 100 étaient analphabètes ou semi-analphabètes, vivra, essentiellement de son travail et de sa pension.

Nous ne devons jamais oublier ceux qui, durant tant d’années, ont été notre classe ouvrière et travailleuse, qui ont vécu les décennies de sacrifice, qui ont lutté contre les bandes mercenaires dans les montagnes, contre les invasions style Playa Girón, contre les milliers de sabotages qui ont coûté tant de vies à nos travailleurs agricoles et sucriers, à nos travailleurs industriels, ou commerciaux, ou ceux de la marine marchande ou de la pêche qui se voyaient tout d’un coup attaqués à coups de bazooka ou de canon, uniquement parce qu’ils étaient Cubains, parce que nous voulions notre indépendance, uniquement parce que nous voulions améliorer le sort de notre peuple… Et les bandits qui faisaient des leurs, et les bandits recrutés et entraînés par la CIA, et les criminels, et les terroristes faisant exploser des avions en plein vol, ou s’efforçant de les faire exploser, peu importe les morts, et les bandits qui organisaient des attentats de toute sorte et des actes terroristes contre notre pays… Est-ce que l’Empire a changé par hasard ?

Et dites-moi, mister Bush, aimable chevalier qui, malgré tant de choses honteuses et connues, chevauchez et tentez de garder les rênes de cet Empire : quand allez-vous répondre à la question saine, à la question toute simple que je vous ai déjà posée tant de fois ? Par où donc Posada Carriles est-il entré aux Etats-Unis ? Sur quel bateau, par quel port ? Lequel des princes héritiers de la couronne l’a-t-il autorisé ? Serait-ce le frérot bedonnant de Floride ? Pardonnez-moi le truc de bedonnant, ce n’est pas une critique, mais une simple suggestion qu’il fasse des exercices et suive un régime (rires), c’est juste un souci pour la santé du noble chevalier…

Qui l’a accueilli ? Qui lui a donné l’autorisation ? Pourquoi celui qui l’y a conduit d’une façon aussi impudique se balade-t-il tout tranquillement dans les rues de la Floride et de Miami ? Qu’est devenue la prétendue académie écologique ? A quoi servait-elle : à la navigation ou à l’élevage de poissons ? Qui était donc ce sauvage qui a eu une conversation téléphonique avec un autre terroriste en possession de boîtes contenant du plastic et dont tout le monde a reconnu la voix, ce sauvage qui, quand l’autre lui a demandé ce qu’il devait faire des boîtes de plastic, lui a répondu : « Va au Tropicana, lance-les par une fenêtre et hop tout saute ! » Qu’ils sont nobles, tous ces gens-là, qu’ils sont respectueux des lois, des normes internationales, des droits de l’homme ! Et ce petit effronté de Bush n’a pas encore voulu répondre, bouche cousue, et personne d’autre n’a encore répondu.

Les autorités d’un pays frère, le Mexique, n’ont pas eu non plus le temps – beaucoup de travail sans doute – de répondre à ma question : est-ce que ça coûte tant, mon bon monsieur, de dire que Posada Carriles, cette brebis naïve, cette brebis ingénue et innocente, est entré au Mexique sur le bateau en question, pare le port en question et de la façon que Cuba a dénoncée ?

Voyez un peu le culot de ces gens-là : ils n’arrêtent pas de mentir, mais à peine vous leur posez une petite question naïve, une toute petite question toute simple, ils laissent passer les mois sans répondre… les mois passaient et ils ne savaient pas censément où se trouvait « Posadita ».

Cette autre jeune femme si intelligente… comment s’appelle-t-elle, celle qui est secrétaire d’Etat (rires), Condoleezza ou Condoliza, allons, Comtesse Rice (rires), ne sait rien non plus, elle ignore tout, et ses porte-parole, itou. En tout cas, ils n’ont dit aucun mensonge, ils n’ont pas commis le moindre péché véniel, ils sont purs, ils méritent les applaudissements et la confiance du monde.

Qu’ils torturent ? Mensonge. Qu’ils sont complices du terrorisme ? Mensonge. Qu’ils ont inventé le terrorisme ? Mensonge. Qu’ils torturent un peu partout ? Mensonge. Qu’ils ont utilisé du phosphore blanc à Falloudjah ? Mensonge. Non, pardon, là, ils l’ont reconnu, mais ils disent que c’est tout à fait légal, tout à fait légitime et tout à fait décent de le faire.

Alors, ces menteurs, à qui vont-ils faire peur ? Nous avons été témoins – et je m’en souvenais en voyant Abel et les autres compagnons – de la colossale bataille qui s’est livrée à Mar del Plata, dans le stade et dans les installations où se sont réunis les Présidents, et je ne vais pas faire de commentaires là-dessus, mais notre peuple a eu l’occasion de voir, d’observer – je connais les états d’opinion – cette bataille grandiose, l’une dans la rue et l’autre là où les chefs de gouvernement étaient réunis.

On n’avait jamais vu une telle bataille dans l’histoire de ce continent, face au chevalier à la triste figure… A la triste figure, non à cause de ses idéaux quichottesques, non, à la triste figure parce qu’il fait des grimaces, des trucs bizarres, comme s’il s’ennuyait, c’est clair. Bien sûr, on l’envoie au lit à minuit, et après lui le déluge… Allez savoir si un jour les avions ne vont pas décoller des porte-avions et bombarder ces maudits bandits qui, parce qu’ils étaient occupés, ont troublé le sommeil du cavalier qui tient les rênes de l’Empire, parce que, tandis qu’il dort, le cheval risque de suivre la route qu’il lui plaît… Au fond, il se peut très bien que le cheval conduise mieux les destinées de l’Empire que le cavalier qui doit se coucher tôt (applaudissements).

C’est vraiment dommage que la nuit ne dure pas plus longtemps, parce qu’au moins, le monde vivrait mieux.

Nous avons vu bien des choses qu’il ne faut pas oublier.

Certains se demandent si Cuba a pris la parole ou non, si Cuba a pris parti ou non. Je vous en avertis, parce que certains trament des intrigues ridicules à ce sujet. Cuba prend la parole quand elle doit la prendre et Cuba a des tas de choses à dire, mais elle est ni pressée ni impatiente. Elle sait très bien quand, où et comment il faut frapper l’Empire, son système et ses laquais.

Certains, semble-t-il, croient ou feignent de croire qu’il n’y avait pas un seul Cubain à Mar del Plata, qu’il n’y avait pas toute une force révolutionnaire cubaine de toute première classe dans cette marche glorieuse de dizaines de milliers de citoyens du monde, essentiellement argentins, que l’empereur a offensés en garant ses porte-avions devant leurs côtes, en amenant toute une armée, en louant tous les hôtels et en employant des milliers d’agents de police. Personne n’avait l’intention de le molester… S’il avait peur que quelqu’un lui lance des œufs pourris, il se trompait : il ne mérité pas un tel honneur (rises), en aucun cas.

Et les citoyens argentins si civilisés et les citoyens toujours plus experts et conscients de ce continent, où l’ordre en place est d’ores et déjà insoutenable et incurable, savent ce qu’ils font. Ils ont dit que ce serait une manif pacifique, qu’ils ne lanceraient même pas un pétale de rose, et le fait que tant de gens se soient mobilisés sous ce froid crachin, aient marché durant des heures en direction du stade et y aient formé une foule énorme a donné une leçon inoubliable à l’Empire, parce qu’ils ont prouvé que c’étaient des personnes, que c’étaient des peuples qui savent ce qu’ils font, et quiconque sait ce qu’il fait marche vers la victoire, est absolument sûr. Et ceux qui ne savent pas ce qu’ils font sont écrasés par les peuples.

Nous ne voulons pas donner l’occasion à l’Empire de monter son spectacle. Dans cette partie d’échecs à cinquante pièces, nous verrons bien à la fin quel est celui qui fera échec et mat.

Quand je dis l’Empire, je ne parle pas du peuple étasunien, qu’on me comprenne bien. Le peuple étasunien préservera de nombreuses valeurs morales, préservera de nombreux principes qui ont été oubliés, s’adaptera au monde où nous vivons, à supposer que ce monde puisse se sauver. Et ce monde doit se sauver. Et nous devons tous, et nous au premier rang, lutter pour que ce monde se sauve. Et sur ce point, nos meilleures armes, nos armes invincibles, ce sont les idées.

Quelqu’un parle de la Bataille d’idées. Oui, cette Bataille d’idées que nous livrons depuis quelques années est en train de se convertir en une bataille d’idées à l’échelle mondiale. Et les idées triompheront, et doivent triompher. Transmettons ce message, ouvrons-lui les yeux, à cette humanité vouée à l’extinction. Oui, elle ne va pas être éternelle, il est absolument probable que la lumière du Soleil s’éteindra un jour, il est presque sûr qu’il n’y aura pas moyen de transporter la matière vivante et solide à une distance se trouvant à des années-lumière de cette planète, et les lois physiques sont bien plus rigides, bien plus exactes que les lois historiques ou sociales.

Je pense de toute façon que cette humanité et les grandes choses qu’elle est capable de créer doivent être préservées tant que faire se peut. Une humanité qui ne se préoccuperait pas de la préservation de l’espèce serait comme le jeune étudiant ou le cadre qui sait que sa vie est tout à fait limitée à un nombre d’années réduit et ne se préoccuperait que de sa propre vie.

J’ai mentionné quelques noms de compañeros présents ; certains ont plus d’années devant eux, d’autres moins, et aucun ne sait combien, et je ne pense jamais que l’un d’entre eux pense à sa propre préservation sans s’inquiéter du sort de ce peuple admirable et merveilleux, hier semence et aujourd’hui arbre aux racines profondes, hier plein de noblesse en puissance et aujourd’hui plein de noblesse réelle, hier plein de connaissances en rêve et aujourd’hui plein de connaissances réelles, quand il vient à peine d’entrer dans cette gigantesque université qu’est Cuba aujourd’hui.

Et voyez comment sont apparus de nouveaux cadres, et des cadres jeunes. Vous avez par exemple Enrique, qui dirige cette armée des 28 000 travailleurs sociaux, et plus  de 7 000 en train de faire des études et de paufiner cette noble profession.

Nous sommes engagés, vous le savez, dans une bataille contre les vices, contre le détournement de ressources, contre le vol, et cette force sur laquelle nous ne comptions pas avant la Bataille d’idées est conçue pour la livrer.

Je vais vous dire quelque chose, pour voir si les travailleurs de la constructeur font appel à leur amour propre : quand ils le veulent, ils sont héroïques. Mais n’allez pas penser que le vol de matériaux et de ressources date d’aujourd’hui ou de la Période spéciale. Celle-ci l’a aggravé, parce qu’elle a causé beaucoup d’inégalité et a permis à beaucoup de gens d’avoir beaucoup d’argent.

Je me rappelle que nous étions en train de bâtir à Bejucal un centre très important de biotechnologie. Tout près, il y avait un cimetière. Et un jour, j’y suis allé : il y existait un marché colossal où les chefs et un grand nombre de bâtisseurs vendaient les produits, du ciment, des barres, du bois, de la peinture, tout ce qui sert à la construction !

Vous savez que le problème de la construction a toujours été sérieux, et encore aujourd’hui. Nous avons des ressources ; parfois on a manqué de matériaux, et nous avons maintenant la possibilité d’avoir toujours plus de ressources pour le bâtiment, mais quelle tragédie que les bâtisseurs, quelle faiblesse de la part des chefs de brigade, de la part de ceux qui doivent diriger.

Mais ce n’est pas nouveau. À l’époque dont je vous parle, il fallait huit cents kilos de ciment pour produire une tonne de béton, de bon béton, de celui qu’on utilise pour les planchers ou les colonnes, avant l’époque de la construction des forteresses du Morro et de la Cabaña qui durent bien plus que bien des choses que fabrique aujourd’hui le monde moderne. Or, en fait, il en faut seulement deux cents kg. Voyez un peu comment on gaspillait, comment on détournait des ressources, comment on volait !

Dans cette bataille contre les vices, il n’y aura de trêve contre personne, et chaque chose sera appelée par son nom, et nous ferons appel au sens de l’honneur de chaque secteur. Car nous sommes certains qu’il existe une dose élevée d’honneur en chaque être humain. Quand on est seul devant soi, on n’est généralement pas un juge sévère, bien que, de mon point de vue, le premier devoir d’un révolutionnaire soit d’être extrêmement sévère contre lui-même.

On parle de critique et d’autocritique, d’accord, mais nos critiques sont généralement dans le cadre d’un petit groupe, nous ne recourons jamais à une critique plus large, à une critique dans un théâtre par exemple.

Si un fonctionnaire de la santé publique, par exemple, a falsifié un chiffre au sujet de l’existence du moustique Aedes aegypti, on le convoque, on le critique tout simplement. J’en connais certains qui disent : « Oui, je fais mon autocritique », et ne changent absolument rien à leur conduite, comme si de rien n’était. Tu fais ton autocritique, c’est juste, mais tout le mal que tu as fait et les millions qui se sont perdus à cause de ta négligence ou de ta manière de faire ?

La critique et l’autocritique, c’est tout à fait correct, parce que ça n’existait pas auparavant, mais si nous allons mener une bataille, alors il faut utiliser des projectiles de plus gros calibre, il faut faire la critique et l’autocritique dans la salle de classe, dans la cellule du parti et ensuite hors de la cellule, et après dans la commune et après dans le pays.

Faisons jouer ce sens de l’honneur que les hommes possèdent sans aucun doute, parce que je connais bien des hommes, de ceux que nous qualifions de « sans honneur » qui, lorsque le journal local publie la nouvelle de ce qu’ils ont fait, retrouvent leur honneur.

Le voleur trompe, ou celui qui mérite une critique pour sa faute trompe, c’est aussi un menteur.

La Révolution doit utiliser ces armes, et elle va les utiliser si besoin était, même si ça ne devrait pas être nécessaire. La Révolution va établir les contrôles qui seront nécessaires.

Beaucoup de gens étaient aux anges. C’était le cas, par exemple, de ceux qui distribuaient clandestinement de l’essence aux taxis privés ou qui recevaient de l’argent des nouveaux riches qui ne voulaient même pas payer l’essence qu’ils consommaient.

Vous savez bien que ce que je vous dis est réel. Le désordre était général, pas seulement dans ce domaine, non. Mais dans ce domaine, en tout cas, on peut chiffrer les pertes à plusieurs dizaines de millions de dollars, peut-être quatre-vingt millions – et quatre-vingt millions, c’est un tas de millions ! – ou peut-être même cent soixante, ou deux cent millions. Vous savez ce que sont deux cent millions de dollars ? Vous avez étudié les maths. Mais vous avez entendu parler des universités du pays, n’est-ce pas ? Oui ou non ? Vous êtes des dirigeants universitaires, et tous les étudiants sont inscrits dans une catégorie ou un autre : des cours réguliers de jour, des cours du soir, des étudiants pour ci, des étudiants pour ça. Et vous savez combien il y a d’étudiants dans notre pays ? Si vous ne le savez pas, je vous le dis, parce que je suis entré ici, j’ai demandé le chiffre, et on m’a dit 360 000 étudiants, comme conséquence de l’universalisation de l’enseignement supérieur.

Vecino Allegret doit sûrement le savoir. Ne vous fâchez pas, Vecino, si je vous le demande, et si vous ne le savez pas, eh bien ce n’est pas grave.

Combien y a-t-il d’étudiants des cours réguliers de jour dans tout le pays, y compris les écoles militaires ? Si Vecino ne le sait pas, quelqu’un doit le savoir.

(On lui dit : 230 000.)

Enrique, ça coïncide avec tes chiffres ?

(Enrique explique comment les étudiants sont composés.)

Oui, 500 000, mais il faut continuer d’ajouter.

Ce sont les chiffres de l’universalisation, tous ceux des cours réguliers de jour, ces deux chiffres donnent un total de 500 000.

Mais il existe d’autres catégories, je les ai ici.

(Enrique précise qu’on a inclus les professeurs auxiliaires, soit 75 000, et les 25 000 professeurs universitaires, soit un total proche de cent mille.)

J’ai ici les chiffres par catégorie. « 141 0oo étudiants des cours réguliers de jour. »

Nous sommes d’accord là-dessus ?

« 141 000 étudiants des cours de travailleurs. »

Ce sont les mêmes ? Ils sont inclus dans les 360 000 du programme d’universalisation ? Oui ou non ?

(Enrique explique que c’est indépendant, qu’il y a les cours réguliers de jour, les cours de travailleurs et l’universalisation.)

Des cours réguliers de jour, dis-tu ? (On lui précise que c’est le chiffre actuel.)

Il existe des cours de travailleurs qui sont déjà à l’université. Quand ils entrent en l’université, je suppose qu’ils entrent dans le concept des 360 000. Il y a 32 000 étudiants par télé-enseignement, ceux-là, dans quelle catégorie sont-ils ? Dans celle des 360 000 ? Ils ne suivent pas les cours réguliers de jour, ils ne suivent pas les cours de travailleurs, et ils sont pourtant étudiants dans le cadre de cet enseignement à distance.

Bien, nous allons prendre les chiffres les plus bas, qui suffisent pour ce que je veux prouver.

Actuellement il y a plus de 500 000 étudants.

Vous savez aussi qu’il existe 958 collèges universitaires. Ce n’est pas pour rien que vous, de la FEU,  vous êtes allés en province où l’on étudie quarante-cinq carrières universitaires qui augmentent tous les ans ; il existe 169 collèges universitaires municipaux, rattachés au ministère de l’Enseignement supérieur, 130 collèges universitaires Alvaro Reynoso, dont 84 dans des sucreries et dont beaucoup apparaissent dans les chiffres précédents ; il existe 18 sièges dans les prisons, accueillant 594 étudiants de licences socio-culturelles, ce qui n’est pas beaucoup ; il existe 240 collèges universitaires rattachés à l’INDER, dont 19 dans des prisons avec 579 inscrits, et 200 qu ont conclu la première année. Ça aussi, c’est nouveau, ces collèges universitaires dans des prisons. On compte aussi 169 collèges universitaires de santé publique, 1 352 dans des polycliniques, des centres de santé et des banques du sang, où les études concernent des matières ayant à voir avec la santé publique.

Il existe presque cent mille professeurs universitaires et auxiliaires, parce que beaucoup de ceux qui faisaient partie de l’administration des sucreries et ailleurs qui font classe à titre de professeurs auxiliaires. La quantité de professeurs a donc augmenté. Ce qui fait un total, entre étudiants et professeurs, - je ne parle pas des autres travailleurs des universités – d’environ 600 000 personnes, dont presque 90 000 faisaient partie de ceux qui ne travaillaient pas ni n’étudiaient, des jeunes, dont beaucoup sont issus de milieux modestes et qui ont d’excellents résultats universitaires.

Je pose des questions ou je donne plus ou moins les chiffres que j’ai ?

J’ai demandé presque jusqu’au dernier moment quel était le budget des établissements d’enseignement supérieur. Carlitos m’a donné un chiffre, de 830, je crois. Vecino doit le savoir, parce qu’il connaît tous ces chiffres. Tu te souviens du chiffre, Vecino ?

(Vecino dit que l’an dernier, le budget a été de 230 millions de pesos.)

Non, ce serait un rêve. C’est un chiffre que quelqu’un doit connaître.

Ça, c’est le ministère des Finances. Celui-ci, c’est le chiffre de l’an 2004,  mais je demande celui de cette année-ci, 2005. parce qu’il a dû augmenter énormément. Celui de l’an dernier est périmé, Vecino.

Bon, ça nous arrive à tous pareil, Vecino. Et c’est une question vitale. Voilà quelques jours, je me trouvais devant deux cents spécialistes universitaires bien préparés et je leur ai demandé : « Qui de vous sait à combien se monte sa facture d’électricité ? » Combien, selon vous, m’ont répondu ? Faites un calcul, selon la logique.

Qu’est-ce que tu en penses, toi, qui a pris la parole ici ? Vous êtes tous intelligents, mais certains ont plus de facilité de parole que d’autres. À ton avis, combien de ces deux cents spécialistes universitaires ont répondu à ma question ? (Il repond : cent.)

Qu’en penses-tu ? Et toi, tu sais combien tu consommes ? (Il répond qu’il a une idée.) Et combien est ton idée ? En pesos, en kilowatts ? (Rires.) Non, attends, je vais te le dire, si tu me dis combien d’ampoules incandescentes tu as, de quelle marque est ton réfrigérateur, quel téléviseur tu as, en blanc et noir ou en couleurs et de quelle année, quel ventilateur tu as, combien d’eau tu fais bouillir par jour, dans quoi tu la fais bouillir, avec du gaz de ville, du butane ou du pétrole lampant… Non, non, je ne vais pas vous poser la question à vous, tout ce que je vous ai demandé, c’est me dire combien de ces universitaires à votre avis savaient à combien se montait leur facture d’électricité.

Toi qui ris, dis-moi un chiffre approchant, 50, 70, 120… (Il lui répond : le tiers.) Et toi ? (Il lui répond : moins de cent.) Tu dois essayer de te rappeler quelle est ta facture, de peur que je te le demande, mais je ne vais pas le faire (rires).

Savez-vous combien de ces deux cents ont répondu à ma question ? Savez-vous combien ? Zéro à l’infini. Vous avez étudié les maths, vous pouvez comprendre. Aucun, absolument aucun !

Je pense que tous nos compatriotes devraient réfléchir là-dessus.

Puis-je vous poser une question ? Pourquoi ce genre de chose arrive-t-il ? Allez, réfléchissez. Nous avons dit qu’il faut changer le monde, qu’il faut le sauver, que le monde vit une heure critique, s’approche d’une fin tragique, et je n’exagère pas pour vous impressionner. Vous êtes plus jeunes que moi et ça arrive. Je parle pour vous et pour vos enfants, et pour vos frères, plus grands ou plus petits. C’est la première fois qu’on peut l’affirmer dans l’histoire brève de l’homme,  non dans l’histoire sauvage d’avant, quand il était déjà un homme et qu’il avait développé une capacité mentale, même s’il ne vivait pas encore en société, ni n’avait mis au point une écriture ni même une technique rudimentaire.

Pourquoi ? Vous êtes obligés de penser. Quels dirigeants universitaires êtes-vous donc ? Carlitos, d’où est donc sortie cette troupe qui n’est pas capable d’avoir une idée des raisons pour lesquelles deux cents spécialistes universitaires ne peuvent répondre à une question relative à leur facture d’électricité ? Combien de temps voulez-vous pour réfléchir ? Une minute vous suffit ? (L’un d’eux explique que c’est parce que la famille cubaine peut payer, que c’est différent d’autres endroits où elle doit être au courant de cette situation.) Et toi, que penses-tu ? (Il dit que c’est parce qu’aucun universitaire n’a à aller chercher de quoi payer la facture d’électricité.)

Et toi, qu’en dis-tu ? (Il dit que ça arrive parce que les tarifs sont dérisoires.) Et toi ? (Il estime que la Révolution subventionne le plus gros des dépenses de la population et qu’économiser ne doit être une préoccupation.)

Je vais maintenant vous poser une autre question. Vous vous approchez de la raison exacte, du moins telle que je la vois, et pas seulement dans ce domaine. Certaines questions peuvent être un peu plus compliquées, mais il faut faire penser les gens et lancer un appel à tous nos compatriotes honnêtes et même les malhonnêtes, parce qu’il peut y en avoir un qui dise : « Oui, c’est la vérité. » De fait, l’électricité, nous en faisons quasiment cadeau. Et je peux le démontrer.

On peut aussi poser d’autres questions. Combien gagnons-nous ?  Et à partir de cette question, on commencerait à comprendre le rêve que chacun vive de son salaire ou de sa très juste pension.

Ajoutez-y un tout petit peu : quand vous pensez à deux sœurs dont l’une était institutrice. Maintenant, elles sont ensemble, elles ont des problèmes, des difficultés. Elles avaient une pension de quatre-vingts pesos, parce qu’avant les salaires étaient plus bas, et des périodes sont arrivées. « Je te paie pour un horaire anormal, je te paie parce que tu viens l’après-midi, je te paie plus parce que c’est la nuit, je te paie plus parce que tu as dû venir un dimanche », mais rien de tout n’influait sur le salaire de base, ça influait sur les revenus individuels, mais pas sur le salaire de l’instituteur, et les pensions étaient fonction de lois dont certaines étaient très vieilles. Nous devions donc commencer à les liquider, et je peux vous assurer que nous avons pris conscience et que toute la vie est un apprentissage, jusqu’à la dernière seconde, et bien des choses, vous commencez à les voir en un moment. Et parmi les millions de question auxquelles vous pensez, vous vous distrayez, vous ne vous rendez pas compte d’un phénomène, à savoir que presque toutes les augmentations de revenus, quand la Période spéciale est arrivée, se sont faites à travers ces normes, et non par une hausse du salaire de base. Voilà pourquoi nous n’avons absolument pas hésité, récemment, à élever la pension minimale du travailleur à cent cinquante pesos. Et la femme gagnait quatre-vingts pesos ; la pension minimale était de cinquante pesos dans une catégorie, de cent quatre-vingt-dix dans une autre et de deux cent trente dans une autre. Alors, imaginez un peu cet instituteur, ou cette institutrice qui a travaillé pendant quarante ans, avant que n’apparaisse le marché agricole libre et que les intermédiaires n’assaillent la République ! Oui, parce que tout le monde sait que le paysan ne va pas se rendre sur ce marché pour y vendre un kilo et demi de riz. Le paysan n’est pas un commerçant, c’est un producteur. Et alors quelqu’un possède un camionnette, qu’il a volée ou qu’il a achetée, ou parce qu’il a volé et qu’il y a installé un moteur... Des tas de choses comme ça.

Non, ce n’est pas dire du mal de la Révolution. Au contraire, c’est en dire du bien, parce qu’elle peut justement parler de tout ça et qu’elle peut attraper le taureau par les cornes mieux qu’un torero de Madrid. Il y a en un qui brandit une étoffe rouge, et puis un autre arrive qui ferme les yeux, et qui lui plante des banderilles, ce qui rend le taureau furieux, mais il lui faut attraper le taureau par les cornes pour recevoir la récompense.

Je ne suis pas un aficionado, bien que j’aie lu Hemingway, mais j’allais de temps à autre à la corrida à Mexico. Et le beau torero recevait la queue, l’oreille. Celui qui le faisait parfaitement avait droit aux deux oreilles. La fête romaine du taureau. Mais je ne veux pas me mêler de ça.

Je me rappelle qu’au début de la Révolution, je ne sais qui d’entre nous s’est mis à parler des corridas, parce que nous en avions vu à Mexico et que ça pouvait attirer le tourisme. Voyez un peu combien nous étions savants et nous nous croyions très révolutionnaires !

Vous riez, et je m’en réjouis, parce que ça me pousse à vous raconter d’autres choses.

J’ai tiré une conclusion au bout de bien des années : parmi les nombreuses erreurs que nos avons tous commises, la plus grosse a été de croire que quelqu’un savait ce qu’était le socialisme, ou comment on fait le socialisme. Ça semblait une science toute mâchée, autant que le système électrique conçu par certains qui s’estimaient des experts en la matière. Quand ils vous disaient : « C’est la formule », tout était dit. Un peu comme devant le médecin. Vous n’allez pas discuter avec le médecin d’anémie, de problèmes intestinaux. On ne discute jamais devant le médecin. Vous pouvez croire qu’il est bon ou mauvais, vous pouvez l’écouter ou non, mais en tout cas vous ne discutez pas. Qui de nous va discuter devant un médecin ou un mathématicien ou un expert en histoire, en littérature ou en n’importe quelle matière ? En tout cas, nous sommes des idiots si nous croyons, par exemple, que l’économie – et que les dizaines de milliers d’économiste de notre pays me pardonnent – est une science exacte et éternelle, qu’elle remonte à Adam et Ève.

Vous perdez tout votre sens de la dialectique si vous croyez que cette économie d’aujourd’hui est la même qu’il y a cinquante ans, ou cent ans ou cent cinquante ans, qu’elle est pareille qu’à l’époque de Lénine ou à celle de Karl Marx. Je suis à mille lieues d’être un révisionniste, je rends un vrai culte à Marx, à Engels et à Lénine.

J’ai dit un jour : « C’est dans cette université que je suis devenu révolutionnaire. » Et c’est justement parce que je suis entré en contact avec leurs ouvrages. De toute façon, avant de les rencontrer, de moi-même et sans jamais avoir lu un seul de ces livres, je mettais en cause l’économie politique capitaliste, parce que, dès cette époque, elle me semblait irrationnelle. On étudiait l’économie politique dès la première année, le cours de Portela, neuf cents pages ronéotées, extrêmement ardu, au point que tout le monde ou presque collait. Ce prof était une vraie terreur.

Le cours expliquait les lois du capitalisme, mentionnait les différentes théories sur l’origine de la valeur, et mentionnait aussi les marxistes, les utopistes, les communistes. Bref, il passait en revue les différentes théories économiques. Et c’est en étudiant l’économie politique du capitalisme que j’ai commencé à avoir beaucoup de doutes, à remettre en question ceci et cela, parce qu’en plus j’avais grandi au milieu de latifundios et que je me souvenais de certaines choses. J’avais des idées spontanées, comme tant d’utopistes dans le monde.

Après, j’ai découvert que j’étais un communiste utopique, parce que toutes mes idées avaient pour point de départ : « Ceci n’est pas bien, ceci est mauvais, ceci est insensé… Comment les crises de surproduction peuvent-elles arriver, et la faim, quand il y a plus de charbon, plus de froid, plus de chômeurs, puisqu’il y a justement plus de capacités de créer des richesses. Ne serait-il pas plus simple de leur produire et de les distribuer ? »

Il semblait à cette époque, tout comme il semblait à Karl Marx dans son Programme de Gotha, que les limites de l’abondance sociale reposaient dans le système social, qu’à mesure que les forces productives se développaient, les hommes pouvaient produire quasiment sans limites tout ce dont ils avaient besoins pour assouvir ses besoins essentiels de type matériel, culturel, etc.

Vous avez tous lu ce Programme qui est assurément très respectable : il établissait clairement quelle était la différence entre distribution socialiste et distribution communiste, même si Marx n’aimait pas prophétiser l’avenir. Là-dessus, il était extrêmement sérieux et il ne s’est jamais risqué à ça.

Quand vous lisez des livres politiques comme Le 18-Brumaire ou Les luttes civiles en France, vous vous rendez compte que vous êtes devant un génie, que ses interprétations étaient extrêmement claires. Son Manifeste communiste est un grand classique. Vous pouvez l’analyser, et vous pouvez être plus ou moins d’accord avec telle ou telle chose, mais vous êtes bien forcés de le reconnaître.

Je suis passé du communisme utopique à un communisme qui se fondait sur des théories sérieuses du développement social comme le matérialisme historique et, du point de vue philosophique, sur le matérialisme dialectique. Beaucoup de philosophies, beaucoup de rivalités et de disputes. Il faut toujours prêter l’attention requise, bien entendu, aux différents courants philosophiques.

Tout stratège et tacticien révolutionnaire doit concevoir une stratégie et une tactique qui conduise à l’objectif clef : changer ce monde réel, parce qu’il faut le changer. Mais aucune tactique ou stratégie qui désunisse n’est bonne.

J’ai eu le privilège de connaître certains théologiens de la Libération au Chili, quand j’ai rendu visite à Allende en 1971. J’y ai rencontré de nombreux prêtres et des représentants de différentes religions, et leur idée était de joindre des forces et de lutter, indépendamment de leur foi religieuse.

Le monde a désespérément besoin d’unité, et si nous n’en obtenons pas un minimum, nous n’aboutirons nulle part.

Je disais hier au cours d’une réunion avec le représentant du Saint-Siège dans notre pays, pour le soixante-dixième anniversaire des relations ininterrompues entre Cuba et le Vatican, qu’une des choses que j’appréciais beaucoup de Jean-Paul II, c’était son esprit œcuménique. En effet, j’ai fait toutes mes études dans des écoles religieuses chez les frères des Ecoles chrétiennes et chez les jésuites, et il fallait aller à la messe tous les jours. Je ne critique pas celui qui veut y aller, mais je m’oppose en revanche à ce qu’on vous oblige, comme moi, à y aller tous les jours. J’ai donc conversé hier avec les évêques de beaucoup de ces questions, d’une façon respectueuse et dans un bon esprit. Au sujet de l’oecuménisme, donc, je me rappelle qu’à mon époque, les différentes religions se livraient une lutte à mort, la catholique contre la judaïque, la protestante, la musulmane, etc. Elles ne se parlaient pas entre elles.

Des années plus tard, j’ai constaté avec surprise qu’après le Concile Vatican II, les choses s’arrangeaient, qu’un esprit œcuménique fortement influencé par ce concile affleurait et que chaque religion respectait mieux les autres.

Et ce sont de puissantes religions, le catholicisme, l’ensemble des autres Eglises chrétiennes, l’islam… J’observe des choses extrêmement intéressantes que j’ignorais au sujet, par exemple, des cultures, des croyances et des coutumes religieuses très fortes des musulmans. Nos médecins sont à pied d’œuvre dans un pays musulman en train de sauver des vies, et on les traite avec beaucoup d’affection et de respect. Ce sont là des choses qui touchent. Oui, il existe plusieurs religions très fortes, dont certaines remontent à deux mille ou trois mille ans, d’autres à deux mille et d’autres encore à des centaines d’années.

C’est un bon exemple, parce que, quelles que soient les idées morales ou les valeurs morales, les objectifs que poursuivent les religions, elles n’y arriveront jamais si elles luttent entre elles et se repoussent les unes les autres. Et il y a des dizaines d’·Eglises.

Si je pense à ça, c’est qu’il y a pour moi une idée très claire : les valeurs morales sont essentielles ; sans valeurs morales, il n’y a pas de valeurs révolutionnaires.

Je ne sais pourquoi on a imputé aux communistes cette philosophie selon laquelle la fin justifie les moyens, et je me demande même pourquoi les communistes ne se sont pas plus défendus contre cette accusation. Je me l’explique même pour des raisons historiques, du fait de l’énorme influence exercée par le premier Etat socialiste et par la première véritable révolution socialiste, la première de l’Histoire, surgie dans un pays féodal, aux us et coutumes en grande partie féodales, avec une population majoritairement analphabète. La première révolution prolétarienne surgie à partir des idées de Marx et Engels, développée par cet autre grand génie que fut Lénine.

Lénine a surtout étudié les questions de l’État ; Marx n’avait pas parlé de l’alliance ouvrier-paysan parce qu’il vivait dans un pays à grand essor industriel. Lénine, lui, a connu le monde sous-développé, a vu ce pays où de 80 à 90 p. 100 des gens étaient paysans, même s’il y existait une puissante force ouvrière dans les chemins de fer et dans certaines industries ; et il a constaté avec une clarté absolue la nécessité de cette alliance entre les ouvriers et les paysans, ce dont personne n’avait encore parlé. Tout le monde avait philosophé, mais personne n’en avait parlé. Et c’est dans un immense pays semi-féodal, semi-sous-développé qu’éclate la première révolution socialiste, la première tentative véritable de créer vraiment une société égalitaire et juste, puisque aucune des précédentes – esclavagiste, féodale, médiévale ou antiféodale, bourgeoise, capitaliste – même si la société bourgeoise a beaucoup parlé de liberté, égalité et fraternité, ne s’est jamais proposé de fonder une société juste.

Le premier effort de l’homme tout au long de l’Histoire pour créer une société juste date de moins de deux cents ans : c’est en 1850, je crois, que Marx et Engels ont écrit le Manifeste communiste. Il manque donc encore quarante-cinq ans pour faire ces deux cents ans. Et la pensée révolutionnaire a continué d’évoluer.

On ne serait jamais arrivé à une stratégie en faisant preuve de dogmatisme. Lénine nous a beaucoup appris à cet égard. Marx nous a appris à comprendre la société ; Lénine nous a appris à comprendre l’État et son rôle.

Tous ces facteurs historiques ont eu une puissante influence sur la pensée révolutionnaire, même si on a constaté ensuite des pratiques abusives et parfois répugnantes.  Ce sont elles qui ont nourri cette imputation calomnieuse selon laquelle, pour un communiste, la fin justifie les moyens.

J’ai beaucoup pensé au rôle de la morale. Quelle est la morale d’un révolutionnaire ? Toute pensée révolutionnaire débute par un peu de morale, par un peu de valeurs. À cet égard, les parents, les professeurs jouent un grand rôle. Le révolutionnaire n’a pas ces idées infuses, pas plus qu’il ne naît en sachant déjà parler. Quelqu’un doit le lui apprendre. L’influence de la famille est aussi très grande.

Quand, dans le cadre de la Bataille d’idées, nous avons commencé à faire toutes sortes d’études sociales et à étudier les cas des jeunes de vingt à trente ans en prison, nous avons évalué leur origine, les niveaux culturels de leurs parents, pour nous rendre compte que ceux-ci avaient une influence décisive et que la délinquance à Cuba était étroitement associée au niveau culturel et au statut social des parents. Ainsi, le taux d’enfants délinquants de professions libérales, d’universitaires et d’intellectuels était incroyablement bas. Tout comme était incroyablement élevé le taux de ceux provenant de familles modestes sans base culturelle. Un autre problème influe aussi beaucoup : le divorce dans une famille modeste à bas niveau culturel. Certains enfants ne restaient ni avec le père ni avec la mère, mais avec une tante, une grand-mère ayant des problèmes de santé ou autres. Ceci exerce une influence notable sur la destinée de l’enfant.

C’est alors que nous avons utilisé ces brigades universitaires pour se rendre dans les quartiers les plus pauvres, et que nous avons décidé un jour de mobiliser sept mille étudiants auxquels j’ai remis ensuite un diplôme, un à chacun… Je les ai signés en avion en rentrant d’Afrique, je ne sais combien j’ai passé d’heures du trajet à les signer tellement j’attachais d’importance à leur travail. Je leur ai rendu visite en cours de travail… Si vous saviez combien nous avons appris ! Il fallait voir ce qu’il se passait dans la société. Nous croyons savoir beaucoup de choses, nous croyons savoir comment les gens vivaient, et nous ne le savions pas.

C’est alors que nous avons découvert, par exemple, qu’une maman pouvait travailler, toucher un salaire et avoir aussi un enfant à arriération mentale sévère, devant être alité et ayant besoin de soins continus, parce qu’il fallait tout lui faire. Quelqu’un de la famille restait avec lui, tandis que la maman travaillait. Un beau jour, ce quelqu’un partait ou mourait, et la pauvre femme se retrouvait à devoir choisir entre le travail qui le faisait vivre et son enfant.

C’est devant des faits de ce genre que nous avons pris la décision que toute maman dans ces conditions devait pouvoir choisir, en fonction de son emploi, en fonction du besoin et de l’importance de son travail pour la société, soit de toucher un salaire pour s’occuper de son enfant, soit de recevoir de l’État une allocation pour payer le salaire d’une personne qui s’en occuperait tout le temps qu’elle serait au travail. C’est là un exemple parmi bien d’autres.

Les brigades étudiantes ont aussi contribué à sauver des vies, par exemple des gens qui voulaient se suicider à cause d’une maladie mentale ou d’une dépression. Comme nous avons découvert de choses ! Il y avait, je ne sais, de vingt à trente mille personnes de plus de soixante ans qui vivaient seules et dont beaucoup ne disposaient même d’une sonnerie pour avertir quelqu’un si elles souffraient tout d’un coup d’une forte douleur de poitrine ou d’un autre problème de ce genre. C’était la société.

Nous avons analysé les revenus que chaque citoyen touchait par la pension ou l’assistance sociale. Bien des chiffres n’apparaissaient sur aucune statistique, sur aucun recensement. Et nous sommes mis à découvrir, à découvrir, à découvrir… et à faire des choses, à générer des idées. C’est ainsi que nous avons fini par mettre en place plus d’une centaine de programmes sociaux, dont beaucoup sont en route depuis déjà pas mal de temps. Nous n’avons pas claironné sur les toits ce que nous faisions. Oui, des jours glorieux que ceux où, partant essentiellement des cadres de l’Union des jeunes communistes et avec le soutien du parti et de toutes les institutions, la Bataille d’idées a commencé à se dérouler autour du retour du petit Cubain kidnappé aux Etats-Unis !

Nous devrons être reconnaissants toute la vie aux circonstances qui ont accéléré à ce point notre connaissance de la société et notre apprentissage, car, si nous n’avions pas vécu cette expérience, nous ne serions peut-être pas en train de faire ce que nous faisons aujourd’hui.

Nous avons ouvert le premier cours pour travailleurs sociaux. Il a fallu savoir quels étaient les salaires minimums. Sachez que leur hausse a été décidée après une étude dans tout le pays. L’assistance sociale, elle, n’était alors que le tiers de la prestation payée maintenant, quand elle a été élevée à cent vingt-neuf pesos en moyenne. Les pensions de retraite ont été élevées encore plus, puisque le minimum a passé à cent cinquante pesos, celle de la seconde catégorie à cent quatre-vingt-dix et celle de la troisième à deux cent trente. Le salaire minimum a aussi été fortement élevé.

Je parlais donc de l’importance du facteur moral. Et je cherchais à comprendre les raisons pour lesquelles on associait aux communistes l’idée que la fin justifie les moyens. Je pense que des événements internationaux ont dû influer. Des événements bien difficiles à accepter et j’en ai parlé plusieurs fois : même s’il est avéré que les deux plus grandes puissances coloniales et impérialistes de l’époque, l’Angleterre et la France, tentaient de lancer Hitler contre l’URSS, ça ne peut justifier en aucun cas le pacte de Staline avec Hitler. Un pacte bien difficile à avaler, si bien que les partis communistes, qui se caractérisaient par leur discipline, ont été contraints de défendre le pacte Molotov-Ribbentrop et à se discréditer politiquement parlant.

Avant ce pacte-là, la nécessité d’union dans la lutte antifasciste avait conduit les communistes cubains à s’allier à Batista, qui avait déjà réprimé la fameuse grève d’avril 1934 après son coup de main contre le gouvernement provisoire de 1933, un gouvernement incontestablement révolutionnaire issu en grande partie de la lutte héroïque du mouvement ouvrier et des communistes. Avant cette alliance antifasciste, Batista avait assassiné on ne sait combien de gens, il avait volé on ne sait combien d’argent, mais l’ordre est venu de Moscou : organiser les fronts antifascistes. Autrement dit, pactiser avec le diable. Ici, les communistes ont pactisé avec l’ABC, un parti fasciste, et avec Batista, un fasciste d’un autre genre, un criminel, un pillard des deniers publics.

Ce sont des événements très difficiles à comprendre. Et ils se sont succédés. Et les partis communistes les plus disciplinés du monde – je le dis avec un respect sincère – étaient ceux d’Amérique latine, entre autres celui de Cuba dont j’ai toujours eu une idée très élevée.

Aujourd’hui, nous pouvons parler de ces questions parce que nous marchons vers de nouvelles étapes.

Les militants du Parti communiste cubain étaient les citoyens les plus disciplinés, les plus honnêtes et les plus dévoués de ce pays ; les législateurs du parti lui reversaient une part de leurs émoluments, c’étaient les gens les plus honnêtes de ce pays, indépendamment de la ligne erronée que Staline avait imposée au mouvement international. Comment les en accuser ? Ils se retrouvaient devant le dilemme d’accepter quelque chose qui est de mon point de vue absolument correct : l’union de tous les communistes – « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » - ou de rompre ouvertement, dans de telles circonstances, avec la discipline.

Je ne suis pas de ceux qui se mettent à critiquer des personnages historiques satanisés par la réaction pour faire plaisir aux bourgeois et aux impérialistes, mais je ne suis pas non plus assez idiot pour ne pas oser dire ce qu’il faut dire en un jour pareil. Nous devons avoir le courage de reconnaître nos erreurs, car ce n’est qu’ainsi qu’on peut atteindre l’objectif désiré. Eh bien, oui, on a vu s’imposer ce vice terrible de l’abus de pouvoir, de la cruauté, en particulier l’habitude d’imposer l’autorité d’un pays, d’un parti hégémonique aux autres pays et aux autres partis.

Voilà maintenant plus de quarante ans que nous avons des relations avec le mouvement révolutionnaire latino-américain, des relations extrêmement étroites, et il ne nous est jamais venu à l’idée de lui dire ce qu’il devait faire. D’autant que nous avons fini par découvrir combien chaque mouvement révolutionnaire défend jalousement ses droits et ses prérogatives.

Je me souviens de moments cruciaux, et je ne vais en évoquer ici qu’une petite partie, quand l’URSS s’est effondrée et que bien de gens se sont retrouvés seuls, entre autres nous, les révolutionnaires cubains. Mais nous savions ce que nous devions faire, quels étaient nos choix. Les autres mouvements révolutionnaires continuaient de se battre à bien des endroits. Et certains – je ne vais pas dire lesquels, mais il s’agissait de mouvements très sérieux – nous ont demandé s’ils devaient continuer de se battre ou s’ils devaient négocier dans cette situation désespérée avec leurs adversaires à la recherche de la paix, alors que tout le monde savait où menait cette paix.

Je leur disais : « Vous ne pouvez pas nous demander notre opinion, car c’est vous qui vous battez, c’est vous qui mourez, pas nous. Nous savons ce que nous ferons et nous sommes prêts à le faire, mais vous êtes les seuls à pouvoir en décider. » Nous avons fait preuve du plus grand respect envers les autres mouvements, nous n’avons jamais tenté, profitant de notre expérience et de nos connaissances et de l’immense respect qu’ils sentaient envers notre Révolution, de leur imposer nos points de vue. À un moment pareil, nous ne pouvions pense aux avantages ou aux inconvénients que les décisions qu’ils prendraient auraient pour Cuba. « Décidez vous-mêmes », leur disions-nous. Et chacun a suivi sa ligne à ces moments décisifs.

Nous sommes un petit pays des Caraïbes, à cent cinquante kilomètres de l’Empire et à quelques pouces de sa base illégale, nous sommes mille fois plus faible que ne l’était l’URSS quand elle a signé son pacte avec Hitler, ou quand elle donnait des ordres aux dirigeants des partis communistes.

L’Allemagne vivait alors ce qu’on a appelé la République de Weimar, née après la première guerre mondiale. La crise économique incroyable qu’elle traversait, fruit du Pacte de Versailles imposé par l’Angleterre, la France et les Etats-Unis, avait renforcé le mouvement révolutionnaire d’une part et les forces nationalistes réactionnaires de l’autre.

Hitler remporte les élections face à des partis bourgeois libéraux et face à des forces communistes combatives et révolutionnaires. De fait, le terrible ressentiment du peuple allemand à cause des conditions léonines imposées par les vainqueurs a joué davantage dans cette situation. C’est ainsi qu’Hitler monte au pouvoir. Il avait écrit noir sur blanc, dans un livre, qu’il avait  besoin d’un espace vital en URSS au profit de la race allemande, et aux dépens des Russes qui étaient, selon lui, une race inférieure. Tout était écrit noir sur blanc. Et le mouvement communiste, de son côté, s’était éduqué dans des idées et des concepts très clairs contre le nazi-fascisme.

Dans notre pays où tant de révolutionnaires étaient tombés, alors que les communistes étaient les plus conscients, les meilleurs militants, les gens les plus honnêtes, le parti marxiste-léniniste avait pourtant été poussé à cette alliance avec Batista, qui avait tant réprimé les étudiants et le peuple en général. Les ouvriers, qui voyaient que les dirigeants communistes ne cessaient de défendre leurs intérêts, restaient fidèles au parti, mais il existait en revanche, et à juste titre, une très forte opposition à Batista chez les jeunes et dans de vastes secteurs populaires.

Je pense que l’expérience du premier État socialiste – qu’il aurait fallu arranger, et non détruire – a été très amère. N’allez pas croire que je n’ai pas pensé très souvent à ce phénomène terrible par lequel l’une des plus grande puissances au monde, qui avait réussi à équilibrer ses forces avec celles de l’autre superpuissance, le pays qui avait payé de la vie de plus de vingt millions de ses citoyens sa victoire sur le fascisme, le pays qui avait écrasé celui-ci, a fini par s’effondrer comme il s’est effondré.

Les révolutions sont-elles vouées à l’effondrement, ou est-ce que ce sont les hommes qui peuvent les faire s’effondrer ? Les hommes peuvent-il empêcher ou non, la société peut-elle empêcher ou non les révolutions de s’effondrer ? Je pourrais ajouter tout de suite une autre question : croyez-vous que cette Révolution socialiste-ci puisse s’effondrer ? (Exclamations de : « Non ! ») Y avez-vous pensé une fois ? Y avez-vous pensé en profondeur ?

Connaissiez-vous toutes ces inégalités de notre société dont je vous parle ? Connaissiez-vous certaines habitudes généralisées ? Saviez-vous que certains gagnaient tous les mois de quarante à cinquante fois plus qu’un médecin, de ceux qui font partie du contingent Henry Reeve et qui soignent dans les montagnes guatémaltèques ? Ou même encore plus loin, en Afrique, ou à des milliers de mètres d’altitude, sur les contreforts de l’Himalaya, et qui sauvent des vies ? Et qui gagnent 5 ou 10 p. 100 de ce que gagne un de ces gangsters qui vendent de l’essence aux nouveaux riches, qui détournent des ressources des ports par camions entiers et par tonnes entières, qui volent dans les magasins vendant en devises, qui volent dans les hôtels cinq étoiles, au mieux en remplaçant une bouteille de très bon rhum par une autre de bien moindre qualité et vendant ensuite au prix fort son contenu au détail, par verres.

Combien de façons de voler existe-il dans ce pays ? Je lis tous les jours les états d’opinion, et beaucoup se demandent quand les jeunes travailleurs sociaux vont se rendre dans les magasins vendant en devises, dans les pharmacies, et à d’autres endroits… Ces jeunes travailleurs sociaux issus de milieux très modestes et bien formés ont forcé l’admiration et la sympathie.

Je les ai dévisagés, eux, comme je peux vous dévisager, vous, et les visages disent plus que n’importe que livre, que n’importe quel article, que n’importe quel cliché. Vous savez très bien que depuis que la civilisation existe, depuis que la propriété privée existe, les différences de classe existent aussi, et que le monde n’a connu jusqu’ici que la société de classe. La préhistoire, quoi.

Comment puis-je savoir que vous êtes issus de secteurs modestes ? Aucun de vous n’est entré à l’université parce qu’il est le fils d’un gros propriétaire foncier qui possède de grandes étendues de terres.

Prenez mon cas, puisque vous m’avez fait l’honneur de me placer ici. Qui de vous a un père qui possède mille ou dix mille hectares ? Je ne vais pas vous le demander à chacun, il me suffit de vous regarder… Fils d’une profession libéral, peut-être, ou des classes moyennes. Vous avez applaudi, parfait, parce que je sais très bien d’où vous venez. Et vous savez aussi que plus personne ne coupe la canne à la main maintenant. Et quels étaient ceux qui la coupaient ?

On peut aussi s’expliquer pourquoi nous ne coupons plus la canne à la main aujourd’hui. De leur côté, les lourds engins détruisent les plantations. De plus, à quoi bon la couper, puisque les abus et les subsides du monde développé ont fait chuter les cours du sucre sur le marché mondial à des niveaux dérisoire, tandis que l’Europe le paie à ses agriculteurs deux ou trois fois plus cher.

Quand l’URSS nous payait notre sucre de canne à vingt-sept ou vingt-huit centimes en échange de pétrole, ça lui coûtait moins cher que de produire elle-même du sucre de betterave d’une manière presque artisanale, parce que son économie avait grandi non d’une manière intensive, mais d’une manière extensive, si bien qu’elle n’avait jamais assez de force de travail et que l’industrie betteravière occupait beaucoup de gens.

Donc, nous devons nous poser cette question – en tout cas, moi, je me la suis posée depuis bien longtemps – de l’effondrement d’une révolution face à l’Empire hyperpuissant qui est à l’affût, qui nous menace, qui a mis au point des plans de transition politique et des plans d’action militaire dans l’attente d’un moment déterminé.

Ces gens-là attendent un phénomène naturel et absolument logique : un décès. En l’occurrence, ils me font l’honneur considérable de penser à moi. C’est avouer en tout cas qu’ils n’ont pu rien faire depuis bien longtemps ! Si j’étais vaniteux, je pourrais être fier que ces sinistres individus soient obligés d’avouer qu’ils doivent attendre ma mort. Ils attendent donc que je meure, ce qui ne les empêche pas d’inventer tous les jours quelque chose : Castro a ceci, Castro a cela. Leur dernière invention, c’est que Castro a la maladie de Parkinson…

Oui, j’ai fait une très forte chute, et je suis toujours en train de me rétablir de ce bras (il le signale) et je vais mieux. En fait, je devrais me réjouir de cette fracture du bras parce qu’elle m’a contraint à encore plus de discipline, à encore plus de travail, à consacrer plus de temps, presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à mon travail. Si je le faisais avant, je lui consacre maintenant chaque seconde et je me bats plus que jamais. Et puis, par bonheur, je me sens mieux que jamais, parce que je suis plus discipliné et que je fais plus d’exercices (applaudissements).

J’ai donc la maladie de Parkinson, selon ces gens-là. Je me rappelle que, le lendemain de ma chute, les médecins m’ont parlé de fissures multiples à la partie supérieure de l’humérus, et que c’est quand j’allais l’écrire pour en informer la population qu’ils m’ont précisé que des fissures multiples équivalaient à une fracture. Et je n’ai pas eu d’autres solutions que de dire : « Mettez donc fissure, et j’expliquerai ensuite à la population qu’il s’agissait non d’une fissure, mais de plusieurs fissures. » Je l’aurais dit, parce que je ne crains l’ennemi en aucune circonstance. Mais je croyais être en possession de toutes mes facultés, qu’il s’agissait d’un simple accident, que ma tête n’avait pas heurté le sol – si ç’avait été le cas, je ne serais sûrement pas ici – et je suis donc monté dans l’ambulance et je suis rentré à La Havane. Ici, on m’a fait une rotule nouvelle à partir des huit fragments de l’antérieure et toutes les autres choses. Ceux qui m’ont tué tant de fois devaient jubiler sans doute, mais ils vont de déceptions en déceptions. En tout cas, cet accident m’a contraint à travailler dur en matière de rétablissement, et tous les jours, pour faire fonctionner la rotule. D’autant que deux litres de sang s’étaient épanchés dans l’épaule et dans le haut du bras, qui n’apparaissaient pas aux rayons X.

J’ai fait des efforts et je continue. Ce que j’ai appris, c’est que je vais faire des exercices presque jusqu’à la dernière seconde. Je ne néglige rien, et j’ai plus de volonté que jamais pour manger ce qu’il faut et pas un gramme de plus qu’il ne faut.

On dit donc que la CIA a découvert que j’avais la maladie de Parkinson. Exactement comme la crapule qui a découvert que j’étais l’homme le plus riche du monde. Quelle crétinerie ! Mais je lui réserve un chien de ma chienne. Je n’en ai parlé parce que je n’ai pas un espace de libre à la télévision ces derniers temps : entre Posada Carriles d’un côté, les bandits de l’autre, des tas de choses. Mais je me réserve d’aborder cette histoire à dormir debout. Et la crapule et tous ceux qui l’ont soutenue vont passer un mauvais moment, vous pouvez le croire, pour avoir commis une bourde pareille. Mieux vaudrait qu’ils rectifient.

Je souffre donc de la maladie de Parkinson, dit-on. Quand vous faites des exercices, le bras finit par se renforcer muscle après muscle. Combien de personnes n’ai-je dû pas saluer ? Des milliers, et certains vous arrachent presque le bras. Vous devez faire comme certains qui, lorsque vous les touchez là, durcissent l’épaule pour que vous faire croire qu’elle est très costaud, qu’elle est d’acier. Je le fais chaque fois qu’on me donne la main. Et maintenant celui-ci est plus fort que celui-là (il indique le bras droit). Qu’est-ce que vous en dites ?

Donc, la CIA a découvert que j’avais le Parkinson. Et qu’importerait, après tout ? Le pape l’avait, et il a passé je ne sais combien d’années à visiter le monde, il avait une grande volonté, il a été victime d’attentats… Je me suis dit : « Voyons voir comment va mon Parkinson, laissez-moi viser (il vise de l’index, sans trembler ; applaudissements et exclamations). Je dis alors : « C’est la droite. »

J’ai toujours bien visé, heureusement, et je vise toujours bien, sans lunette télescopique, bien entendu.

Le lendemain de l’accident, on vous sort de l’hôpital où on vous a mis, on vous conduit ailleurs, vous ne protestez pas, mais vous savez tout ce qu’on fait de vous. Avec moi, en tout cas, les médecins ont dû discuter de l’opération, et qu’est-ce qu’ils allaient faire du genou et comment ils allaient le faire, et qu’est-ce qu’ils allaient faire au bras. Je leur ai dit : « V0us me faite une anesthésie locale », parce que si, vraiment, je ne me sens pas en conditions de faire ceci ou cela, j’en informe le parti : « Écoutez, je ne suis pas en conditions de faire ceci ou cela… » Et si j’ai fait quelques critiques aux médecins, c’est d’avoir diminué un peu la gravité de l’accident. Je leur ai dit : « Le genou, chirurgie ; l’épaule, physiothérapie. » Et j’ai ajouté : « De toute façon, je ne vais pas être lanceur au prochain championnat de baseball ni participer aux Jeux olympiques. » C’était bien plus risqué de me soumettre à une opération avec des clous et des tas de choses comme ça. Vous pouvez et devez le faire à quelqu’un de vingt ou vingt-cinq ans. Bref, il fallait faire ce qui était correct. Si vous savez que vous n’êtes pas en conditions de remplir votre devoir, vous devez dire : « Il m’arrive ceci ou cela, s’il vous plaît que quelqu’un prenne le commandement, je ne peux pas dans ces circonstances. » Si je dois mourir, eh bien, soit ; si je ne meurs pas et que je recouvre mes facultés, j’ai encore un peu d’expérience, j’ai encore une certaine autorité, et pas gagnée à coups de mensonges et de malhonnêteté. Je devais me préoccuper de ces choses à ce moment-là.

J’ai dit une fois que le jour où je mourrai pour de bon, personne n’allait le croire et que je pourrai continuer de faire comme le Cid Campeador, qui, bien que mort, continuait de gagner des batailles à cheval.

Il ne faut pas faire confiance à l’impérialisme, jamais ; il est traître et capable de n’importe quoi : des tortures à Guantánamo ; des tortures dans les prisons iraquiennes ; des prisons à tortures dans d’anciens pays socialistes ; du phosphore blanc. Et après il vous affirme : « C’est la plus innocente et la plus légitime des armes. » 

On peut supposer que quelqu’un dans mon cas possède une arme en toutes circonstances et qu’il est en mesure de s’en servir. Je respecte ce principe. J’ai une Browning de quinze balles. J’ai beaucoup tiré dans ma vie.

La première chose que j’ai voulu vérifier, c’est si mon bras était encore assez fort pour manier cette arme que j’ai toujours utilisée. Elle est toujours près de moi. J’ai mis le chargeur, j’ai fait passer une balle, j’ai mis le cran de sûreté, je l’ai ôté, j’ai retiré le chargeur, j’ai enlevé la balle et je me suis dit : Parfait. C’était le lendemain. J’avais assez de force pour tirer.

Nous avons prévu et pris des mesures pour qu’il n’y ait pas de surprises, et notre peuple doit savoir exactement quoi faire dans chaque cas. Ecoutez bien : il faut savoir quoi faire dans chaque cas.

Nous n’allons pas lui raconter bien entendu quelles mesures nous avons prévues. Je peux lui dire en tout cas : « Ecoutez bien, monsieur Bûche, vous allez au casse-pipe, à moins qu’on ne vous ait flanqué avant un bon coup de pied et mis à la porte pour avoir violé les lois des Etats-Unis. »

Oui, parce que tout le monde est en train de s’insurger là-bas, et qu’on ne cesse de découvrir des crimes, des crimes, des crimes…

Je ne veux pas aujourd’hui – et j’espère ne pas avoir à le faire – suggérer à la CIA, au lieu d’enquêter sur mon état de santé et sur mon prétendu Parkinson, de faire un certain nombre d’enquêtes au sujet de l’empereur.

Ne voyez pas là des offenses personnelles. Tout ce que je dis reflète tout simplement le mépris que nous éprouvons, indique que nous sommes très conscients de leur médiocrité, de leur stupidité et bien d’autres choses encore. Mais je ne veux pas aborder certains points, même si je dispose de tout un tas de choses. Et je peux donc suggérer à la CIA – qui est furieuse, soit dit en passant, parce qu’on l’a ignorée, parce qu’on l’a humiliée – quelques recherches sur la santé de l’empereur.

Bien entendu, la CIA n’a pas non plus dit un traître mot de la façon dont Posada Carriles est entré aux USA. Personne, d’ailleurs, absolument personne !

Je vous ai posé une question, compañeros étudiants, que je n’ai pas oubliée, tant s’en faut, et je prétends que vous ne l’oubliiez jamais non plus, parce que c’est une question qui se pose toute seule face aux expériences historiques que nous avons connues. Oui, je vous demande à tous, sans exception, d’y réfléchir : une révolution peut-elle être ou non irréversible ? Quelles seraient les idées ou quel serait le degré de conscience qui rendrait impossible la régression d’une révolution ? Que faire et comment le faire quand ceux qui ont été parmi les premiers, les vétérans, disparaîtront et céderont la place à de nouvelles générations de leaders ?

De fait, nous avons été témoins nous-mêmes de nombreuses erreurs et nous ne nous en sommes pas rendu compte !

Il est énorme, le pouvoir d’un dirigeant quand il jouit de la confiance des masses, quand celles-ci confient en ses capacités. Mais elles sont terribles, aussi, les conséquences d’une erreur de la part de ceux qui ont le plus d’autorité, et c’est arrivé plus d’une fois dans les révolutions.

Ce sont là des choses sur lesquelles on réfléchit. On étudie l’histoire : que s’est-il passé ici, ou là, ou là encore, on réfléchit sur ce qui est arrivé aujourd’hui et sur ce qui arrivera demain, on se demande où va chaque pays, où ira le nôtre, comment il marchera, quel rôle jouera Cuba…

Notre pays a connu des limitations de ressources, énormément de limitations, mais il faut dire qu’il les a gaspillées, tout simplement, alors qu’on vous distribuait tous les mois une savonnette sans aucun parfum et du dentifrice pour que vous brossiez les dents, je ne sais combien… Quoiqu’on ait abandonné dans certaines écoles des activités données qui avaient permis à nos jeunes d’exhiber cette excellente denture… Oui, il y a même des abandons de ce genre.

Certains ont cru qu’on pouvait mettre en place le socialisme avec des méthodes capitalistes. C’est une des grandes erreurs historiques. Je ne veux pas en parler, je ne veux pas théoriser, mais j’ai une foule d’exemples qui prouvent qu’on a fait des gaffes dans un tas de choses qu’on a faites, de la part de ceux qu’on supposait des théoriciens, qui s’étaient gavés jusqu’à la moelle des livres de Marx, d’Engels, de Lénine et de tous les autres.

Voilà pourquoi j’ai dit que l’une de nos plus grandes erreurs au début et bien souvent tout au long de la Révolution a été de croire que quelqu’un savait comment on édifiait le socialisme.

Aujourd’hui, à mon avis, nous avons des idées assez claires de la façon dont on édifie le socialisme, mais nous avons besoin de beaucoup d’idées bien claires et bien des questions vous sont adressées à vous qui sont les responsables de la façon dont on peut préserver ou dont on préservera à l’avenir le socialisme.

Quelle serait donc notre société si, quand nous nous réunissons dans un endroit comme celui-ci, en un jour comme celui-ci, nous ne savions pas un minimum de ce que nous devons savoir afin que cette île héroïque, ce peuple héroïque, ce peuple qui a écrit des pages que nul autre n’a encore écrites dans l’histoire de l’humanité, préserve sa Révolution ? Ne pensez pas que celui qui vous parle est un vaniteux, un charlatan, un bluffeur.

Quarante-six ans se sont écoulés, et on connaît l’histoire de ce pays. En tout cas, ses habitants la connaissent. Et celle, aussi, de cet Empire voisin, sa grandeur, son pouvoir, sa force, sa richesse, sa technologie, sa domination sur la Banque mondiale, sa domination sur le Fonds monétaire, sa domination sur les finances mondiales, cet Empire qui nous a imposé le blocus le plus rigoureux et le plus incroyable, que les Nations Unies viennent de repousser une fois de plus par cent quatre-vingt-deux voix, s’exprimant librement malgré les risques qu’entraîne un vote déclaré contre l’Empire. Voilà ce que cette petite île est capable d’obtenir, et nous ne sommes plus à l’époque où elle bénéficiait du soutien du camp socialiste, qui a disparu, tout comme l’URSS.

Non seulement nous avons fait et maintenu cette Révolution à nos risques et périls pendant tout un tas d’années, mais nous étions même convaincu à un moment donné que si les Etats-Unis nous attaquaient un jour directement, ce camp socialiste ne lutterait jamais pour nous et que nous ne pouvions même pas le lui demander ! Compte tenu du perfectionnement des techniques modernes, il était naïf de penser que cette grande puissance – ou de le lui demander ou de l’attendre – lutterait contre l’autre si celle-ci intervenait dans la petite île se trouvant à cent cinquante kilomètres, et nous sommes arrivés à la conviction absolue que ce soutien ne nous serait jamais accordé. Bien mieux, nous le lui avons demandé un jour directement, plusieurs années avant sa disparition : « Dites-le-nous franchement. » La réponse a été celle que nous attendions : non. Dès lors, nous avons accéléré plus que jamais le développement de notre conception et nous avons perfectionné les idées stratégiques et tactiques à partir desquelles notre Révolution avait triomphé et vaincu, alors qu’elle ne pouvait disposer au départ que de sept hommes armés, un ennemi qui pouvait compter sur quatre-vingt mille hommes, entre marins, soldats, policiers, etc., sur des chars, des avions et sur tout l’armement moderne de l’époque. Oui, la différence entre nos armes et celle de ces forces armées, entraînées par les USA, soutenues par les USA, équipées par les USA, était infinie. Donc, après cette réponse de l’URSS, nous nos sommes confortés plus que jamais dans nos convictions, nous les avons enrichies et nous nous sommes renforcés à tel point que nous pouvons affirmer aujourd’hui que notre pays est du point de vue militaire invulnérable. Mais pas grâce à ses armes de destruction massive !

Eux, ils ont des chars à ne savoir qu’en faire ; nous, nous n’en avons aucun de trop. Aucun ! Toute leur technologie s’effondre, comme de la glace à midi au milieu d’un parc en plein soleil. Avant, nous n’avions que sept misérables fusils et quelques balles ; aujourd’hui, nous avons bien plus de sept fusils : nous avons tout un peuple qui a appris à manier les armes ; tout un peuple qui, malgré nos erreurs, possède un tel niveau de culture, de connaissances et de consciences qu’il ne permettra jamais que son pays redevienne leur colonie.

Ce pays-ci peut s’autodétruire ; cette Révolution-ci peut se détruire. Ceux qui ne peuvent pas la détruire, ce sont eux ; nous, en revanche, nous pouvons le faire, et ce serait notre faute.

J’ai eu le privilège de vivre longtemps. Ce n’est pas un mérite, bien entendu, mais ça m’offre l’occasion exceptionnelle de vous dire ce que je viens de vous dire, de le dire à tous les dirigeants de l’Union des jeunes communistes, à tous les dirigeants des organisations de masse, à tous les dirigeants du mouvement ouvrier, à ceux des Comités de défense de la Révolution, de la Fédération des femmes cubaines, des paysans, de l’Organisation des combattants de la Révolution organisés partout, aux combattants qui durant tant d’années, par centaines de milliers, ont rempli de glorieuses missions internationales, aux étudiants comme vous, intelligents, bien formés, en bonne santé, organisés qui êtes partout, dans chacun des neuf cents et quelque collèges universitaires et dans chacune des deux mille et quelque que nous ouvrirons sans retard, au point que nous compterons plus de cinq cent ou six cent mille étudiants, et s’ils ne sont pas plus nombreux, c’est que beaucoup concluront leurs études chaque année… Et ceux qui les concluront étudieront tous, comme nos médecins au Venezuela, à partir d’ordinateurs, des magnétoscopes et de cassettes, à partir des moyens audiovisuels nécessaires, à la recherche d’un titre scientifique, d’une maîtrise ou d’un doctorat en sciences médicales. Tous. Cent pour cent.

On peut parler aujourd’hui de dizaines de milliers de spécialistes en médecine générale intégrale, et on devra parler demain, même si on ne veut pas, de dizaines de milliers de titres de maîtrise et de doctorat en sciences médicales, pour ne parler que d’une seule branche. N’oubliez pas que nous nous sommes retrouvés avec seulement trois mille médecins, et sans professeurs universitaires, parce qu’un bon nombre de cette université, par exemple, sont partis. Et pourtant on peut dire maintenant que nous compterons dans quelques années cent mille médecins. Et quand il en faudra cent cinquante mille, nous les aurons. Et certains seront professeurs universitaires, de la même manière que nous aurons des dizaines de milliers de programmeurs et de concepteurs de programmes et de chercheurs dans de nombreux domaines, parce que nous devons savoir beaucoup de choses à la fois, bien plus que la quantité de titres que nous obtiendrons.

Je vous parlais d’une bataille, je vous en demandais le coût. N’allez pas croire que ces vingt-huit mille travailleurs sociaux vont suer et perdre leur temps. Je vous ai dit comment je m’étais rendu compte qu’ils faisaient partie des secteurs les plus modestes de la population, je le voyais sur leurs visages. Sans le vouloir, j’ai pris l’habitude de deviner même de quelle province viennent nos compatriotes. J’ai dit en blaguant aux travailleurs sociaux – et je le dis aux médecins qui partent en mission – que chacun d’eux appartient à une micro-tribu. Je sais reconnaître ceux qui viennent de Manzanillo, par exemple, ou de La Havane, ou de Guantánamo, ou ceux de Santiago. Que c’est impressionnant de voir les secteurs sociaux les plus modestes de ce pays convertis en vingt-huit mille travailleurs sociaux et en des centaines de milliers d’étudiants ! Quelle force ! Et nous verrons bientôt en action ceux qui ont reçu leur diplôme voilà pas longtemps à la Cité des sports.

La Cité des sports nous enseigne au sujet du marxisme-léninisme ; la Cité des sports nous enseigne au sujet des classes sociales ; la Cité des sports a réuni voilà peu environ quinze mille médecins et élèves de médecine et certains élèves de l’Ecole latino-américaine de sciences médicales, et d’autres qui sont venus de Timor de l’Est pour faire des études de médecine. Un spectacle inoubliable ! Je ne crois pas que ce soit mon seul sentiment.

Cette société-ci n’oubliera jamais ce spectacle des quinze mille blouses blanches qui se sont réunis là le jour où les élèves de médecine ont reçu leur titre, le jour de la création du contingent Henry Reeve dont une bonne quantité de membres sont déjà partis à des endroits où ont eu lieu des catastrophes exceptionnelles, et ce bien plus tôt que nous ne l’aurions pensé.

Peu après, nous avons remis leurs titres à plus de trois mille jeunes animateurs culturels, la seconde promotion, car la première avait eu lieu à Santa Clara. Trois mille nouveaux, déjà sur le terrain, et les trois mille autres de dernière année de cours sont aussi déjà sur le terrain. Ils vont se multiplier, et nous réunirons un jour au moins la moitié des travailleurs sociaux qui sont en train de mener une des tâches les plus capitales qu’un groupe de jeunes spécialiste en matières sociales ait jamais réalisée, de concert avec de jeunes étudiants.

Que pourra-t-il découler du travail de ces jeunes gens ? Eh bien, que nous allons mettre un terme à de nombreux vices : des vols, des détournements de ressources et de nombreuses sources alimentées par l’argent des nouveaux riches.

Quelqu’un pense-t-il que nous allons confisquer l’argent ? Non, l’argent est sacré : l’argent placé dans une banque est intouchable.

C’est donc du nouveau : nous allons combattre une série abondante de vices, de vols, de détournements, un par un, dans un ordre que personne ne sait. Ils le soupçonnent ? Eh bien, tant mieux.

Mais que certains vices sont profondément enracinés ! Nous avons commencé par Pinar del Río pour voir ce qu’il se passait dans les stations-service qui vendaient de l’essence en devises. Et on a tôt fait de découvrir que la quantité volée était au moins aussi grande que celle qui entrait. On en volait presque la moitié et à certains endroits plus de la moitié.

Que se passe-t-il à La Havane ? Vont-ils s’amender ? Eh bien, non, ils sont aux anges… Ils ont peut-être pensé que ces travailleurs sociaux étaient des gamins et des gamines un peu niais. Car, et c’est un point intéressant, 72 p. 100 des travailleurs sociaux sont des femmes – je ne sais si on n’a jamais vu quelque chose de pareil – tout comme le sont les médecins qui sont en train de couvrir notre pays de gloire, lui obtenant un énorme prestige et frayant des voies pour qu’il puisse déployer son capital humain, qui vaut bien plus que le pétrole. Je le répète : qui vaut bien plus que le pétrole ou l’or. Tout pays qui a du pétrole se dit : « Quelle chance que je possède cette ressource naturelle qui s’épuise ! » Nous aussi, nous en avons, et nous allons en augmenter la production, bien entendu. C’est une chance de ne l’avoir pas découvert avant, pour ne pas le gaspiller.

Le capital humain n’est pas un produit non renouvelable : il est non seulement renouvelable, mais aussi multipliable. Il augmente toujours plus chaque année, et bénéficie de ce qu’on appelait à mon époque des intérêts composés : il vaut ce qu’il vaut et il touche des intérêts pour ce qu’il valait, de sorte que ce qu’il gagne en cinq ans par exemple est bien supérieur. Alors, pensez en cent ans !

Je dois vous dire que le capital humain est – ou du moins le devient à toute allure – la ressource la plus importante du pays, bien supérieur à presque toutes les autres ensemble. Je n’exagère pas.

Je demandais combien coûtaient toutes nos universités.

Rien qu’avec les nouveaux revenus des stations-service – bien entendu, vous n’allez pas y être tout le temps, n’imaginez pas ça – d’ici à trois mois, et si l’an prochain vous étiez la moitié de plus, ils encaissent ce qu’il faut en quatre mois. Rien qu’en obligeant les nouveaux riches à payer l’essence qu’ils consomment, on pourrait en une année payer au moins quatre fois ce que coûtent les six cent mille étudiants et leurs professeurs. C’est déjà quelque chose, n’est-ce pas ?

Vous savez ce que c’est que la ñapa ? Ceux de Santiago le savent. Quand vous achetiez chez l’épicier, celui-ci vous donnait en prime une petite pâtisserie de coco ou quelque chose dans ce genre. C’était ça, la napita. Eh bien, les travailleurs sociaux paient les frais universitaires avec une simple ñapita de ce qu’ils encaissent.

Ils sont arrivés à La Havane, et tout d’un coup, les stations-service ont commencé à encaisser le double. Et les vendeurs d’avant, ils n’encaissaient pas plus ? Eh bien, non, il a fallu que les travailleurs sociaux s’en chargent. Je me suis dit : « Sapristi, ils ne vont donc prendre un peu peur, rectifier d’eux-mêmes ? »

En fin de compte, ceux qui ne veulent pas comprendre vont devoir se corriger eux-mêmes, mais d’une autre manière : oui, ils vont s’enfoncer dans leurs propres ordures.

Que se passait-il entre temps à Matanzas et dans la grande banlieue de La Havane ? Les recettes n’ont augmenté qu’un tout petit peu, 12 p. 100, 15 p. 100, 20 p. 100. Mais la situation était pareille qu’en Pinar del Río et à La Havane avant que les stations-service ne passent sous contrôle.

Dans la grande banlieue de La Havane, beaucoup de gens ont appris à voler à tire-larigot.

Aujourd’hui, les travailleurs sociaux sont dans les raffineries de pétrole, ils grimpent sur un camion-citerne de vingt ou trente mille litres, pour voir en gros où il va et s’il change d’itinéraire. En effet, on a découvert des stations-service clandestines alimentées de l’essence qu’apportaient des chauffeurs de camion-citerne !

On sait en tout cas que beaucoup de camionneurs publics vont où ils veulent, et celui qui en fait le moins va rendre visite avec à un parent, à un ami, à la famille, à la petite amie.

Je me souviens d’une anecdote datant de bien avant la Période spéciale : je roulais sur la 5e avenue quand j’ai vu passer à toute allure une rétrochargeuse Volvo flambant neuf, qui valait à cette époque de cinquante à soixante mille dollars. Je suis piqué par la curiosité et je demande à mon garde-corps : « Freine-le et demande-lui où il allait à une telle allure. Qu’il réponde franchement. » Et l’homme a avoué qu’il allait rendre visite à sa fiancée, sur ce Volvo qui roulait à toute allure sur la 5e avenue…

Ah, si les pierres pouvaient parler !

Oui, des choses de ce genre se passaient. En règle générale, nous savons tout. Et beaucoup se disaient : « La Révolution ne peut rien faire, c’est impossible qu’on puisse arranger ça. » Eh bien, moi je vous dis que c’est le peuple qui va arranger ça, que c’est la Révolution qui va arranger ça. Comment ? Est-ce seulement une question d’éthique ? Oui, c’est avant tout une question d’éthique, mais c’est aussi une question économique vitale.

Nous sommes un des peuples de la Terre qui gaspillent le plus d’énergie combustible. On vient de le prouver ici, et vous l’avez dit très honnêtement, ce qui est très important : personne ne sait ce que coûte l’électricité, personne ne sait ce que coûte l’essence, personne ne sait leur valeur sur le marché. Et c’est très triste, parce que la tonne de pétrole peut atteindre maintenant quatre cents dollars et celle d’essence cinq cents, ou six cents, ou sept cents, et parfois jusqu’à mille dollars, et que c’est un produit dont les cours ne vont pas descendre, sauf dans certaines circonstances données et pas pour longtemps, parce que c’est un produit qui s’épuise physiquement, tout simplement, tout comme de nombreux minéraux vont s’épuiser un jour ou l’autre.

Nous le voyons dans nos mines de nickel, qui nous laissent de grands trous là où il y avait avant beaucoup de minerai. La même chose arrive avec le pétrole ; on découvre de moins en moins de grands gisements. C’est une question à laquelle nous avons dû beaucoup penser.

Savez-vous par exemple combien un camion russe Zil-130 fait de kilomètres au litre ? Un kilomètre six cents ! Qu’il transporte de la canne à sucre ou le goûter des lycéens… Quand on a demandé au ministère de l’Industrie sucrière combien il avait de camions en trop pour aider le ministère de l’Industrie alimentaire à distribuer le goûter des lycées, qui touche maintenant quatre cent mille élèves, une collation gratuite, avec yaourt, le pain, etc., vous savez ce qu’il a fait ? Il a fourni les camions qui dépensaient le plus, les camions à essence !

Si vous remplacez ce Zil-130, avec son 1,6 km au litre, un autre qui ait au moins la taille requise : le Zil est un 5 tonnes, et il vaut mieux bien entendu utiliser un camion de deux tonnes ou même une camionnette de 1,2 t, eh bien vous commencez déjà à économiser. C’est ce dont nous avons commencé à nous rendre compte lors d’une discussion avec l’entreprise électrique qui a soulevé la question des camions utilisé pour réparer les câbles aériens : « Nous devons changer quatre cents engins soviétiques gros consommateurs d’essence, nous consommons tant et tant… » Et on a donc analysé la consommation en détail, cas par cas, et analysé par quoi il fallait les substituer. Il a fallu discuter pas mal, n’allez pas croire, car les directeurs de nos entreprises n’ont pas beaucoup l’habitude de la discipline. Et ils ne sont pas tous ravis, croyez-moi, mais c’est mon devoir de les en avertir parce que la lutte va être dure. Aucun n’a protesté à ce jour. Il y avait, si j’ai bonne mémoire, environ trois mille sociétés qui disposaient elles-mêmes de leurs devises convertibles et décidaient assez librement de ce qu’elles faisaient de leur profits, si j’achète ceci ou cela, si je repeins l’immeuble, si j’achète une meilleure voiture pour remplacer la vieille bagnole… Nous nous sommes rendus compte que, dans les conditions de notre pays, il fallait supprimer tout ça, et les choses ont commencé à changer après une réunion avec les principales entreprises.

Si vous êtes en guerre et que vous avez beaucoup de balles, peu vous importe que les fusils tirent plus ou moins ; mais pas si vous avez peu de balles, ce qui nous arrivait toujours durant la guerre ; il nous fallait connaître les balles de chaque fusil et jusqu’aux marques des balles, parce que, même si elles étaient du même calibre, certaines fonctionnaient mieux que d’autres avec des fusils déterminés, tandis que d’autres s’enrayaient. Parfois même, pour économiser les balles, il fallait interdire de tirer, sauf si l’ennemi venait vous enlever votre tranchée. Il n’y a rien de pire dans ce sens qu’une arme automatique pour gaspiller des balles. Telle était notre situation.

Nous avons d’excellentes institutions bancaires. Aujourd’hui, les ressources pour toutes les dépenses du pays sont gérées et assignées par les banques en fonction d’un programme préétabli. Aucun directeur de banque ne va déjeuner avec le représentant d’une puissante société, pas plus qu’il n’accepte son invitation au restaurant, ou à se rendre en Europe pour loger chez le patron de la société ou dans un hôtel de luxe… En fin de compte, certains de nos fonctionnaires faisaient des achats pour des millions de dollars, et vous pouvez supposer qu’avec des achats pour des millions de dollars, d’une part, et, de l’autre, l’art de corrompre que pratiquent de nombreux capitalistes, plus subtils qu’un serpent et parfois pires que les rats, qui sont des animaux capables de vous anesthésier à mesure qu’ils vous dévorent, si bien que vous ne vous rendez même pas compte qu’ils vous ont emporté un morceau de chair durant votre sommeil… Pareil pour la Révolution : ils l’endormaient et lui arrachaient la chair. Les fonctionnaires dans ce cas n’étalaient pas leur corruption en plein jour, bien entendu, mais ça finissait par se savoir ou par se suspecter à cause du niveau de vie : on change de voiture, ou alors on la repeint, ou alors on lui met des enjoliveurs et des gadgets partout, parce que les gens deviennent vaniteux… Combien de fois n’avons-nous pas entendu parler de ça ? Et il fallait prendre des mesures. Mais ce n’était pas facile à régler.

Donc, des détournements de ressources dans les stations-service. Nous avions donné différentes facultés aux dirigeants pour distribuer de l’essence à telle ou telle personne dont la voiture pouvait être utile à l’entreprise. Mais allez savoir si cette personne n’est pas votre grand copain… Il existe des dizaines de manières de ce genre de gaspiller o de détourner des ressources, et si les contrôles obligatoires ne fonctionnent pas, ce phénomène se répète tant que nous n’avons pas découvert la vraie manière d’y mettre un terme.

Notre pays est en mesure d’économiser plus d’énergie que n’importe quel autre. Il compte en effet deux millions quatre cent mille réfrigérateurs familiaux obsolètes qui dépensent de quatre à cinq fois plus d’électricité par heure, et ce, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Un petit chiffre, pour que vous n’oubliiez pas : Pinar del Río compte 143 000 réfrigérateurs, dont 136 000 sont de l’INPUD, de fabrication nationale, donc, de l’URSS (des Minsk et d’autres marques de ce pays), de Frigidaire et d’autres marques capitalistes, et ces réfrigérateurs consomment au moins 20 p. 100 – d’autres chiffres donnent des taux plus élevés, mais je vais me borner à celui-ci – de l’électricité que les centrales électriques produisent pour cette province aux pics de consommation.

Je vous ai parlé avant des Zil. Et des camions comme ça, nous en avons des milliers et des milliers. Il y a des choses pires : de nombreux organismes conservent encore leurs camions sans les utiliser, tandis que l’administration centrale de l’Etat s’est habituée de son côté à négocier avec les ministères. L’administration centrale de l’Etat n’a pas à négocier avec un ministre ! Elle doit lui donner des ordres, un point c’est tout : « Combien de camions as-tu ? » Elle doit analyser les problèmes à fond et prendre des décisions.

L’industrie sucrière produisait autrefois huit millions de tonnes de sucre, et elle en produit aujourd’hui à peine un million un demi. Il a fallu en effet arrêter radicalement les labours et les semailles quand les cours du pétrole étaient à quarante dollars le baril et que c’était la ruine du pays, à plus forte raison quand vous ajoutiez des cyclones de plus en plus fréquents ou des sécheresses plus prolongées. De plus, avec les engins lourds, les champs de canne ne duraient que quatre ou cinq ans, contre quinze ou plus auparavant. Quand les cours du sucre sur le marché mondial étaient à sept cents la livre, je me rappelle avoir demandé un jour à une société de commercialisation de ce produit quels étaient les cours du sucre et quelle avait été la production fin mars : eh bien, cette société ne savait même pas combien de sucre on produisait par mois, et personne n’a pu me dire combien la production d’une tonne de sucre coûtait en devises. On ne l’a su qu’un mois et demi après.

Il fallait tout simplement fermer des sucreries et nous allions nous engloutir dans la fosse de Bartlett. Le pays comptait de nombreux économistes, beaucoup, et je ne veux pas les critiquer, mais, avec la même franchise avec laquelle je parle des erreurs de la Révolution, je peux leur demander pourquoi nous n’avions pas découvert qu’il était impossible de maintenir cette production, alors qu’il y avait belle lurette que l’URSS avait disparu, que le pétrole valait quarante dollars le baril et que les cours du sucre étaient au plus bas. Comment n’avions-nous pas découvert qu’il fallait rationaliser cette industrie et qu’il était insensé de semer presque deux cent soixante-dix mille hectares de terre chaque année, en vue de quoi il fallait labourer avec des tracteurs et des charrues lourdes, semer une canne qu’il fallait ensuite nettoyer avec d’autres machines, fertiliser avec de coûteux engrais, ou des herbicides tout aussi coûteux, etc. ? Aucun économiste de notre pays ne semblait s’en être rendu compte. Et il a fallu tout simplement donner des instructions, quasiment un ordre, d’arrêter ces labours. Si vous on dit : « Le pays est envahi », vous ne pouvez pas répondre : « Un moment, je dois me réunir trente fois avec des centaines de personnes. » C’est comme si nous avons dit au moment de Playa Girón : « Nous allons nous réunir et discuter trois jours des mesures à prendre contre les envahisseurs. »

Or, je vous assure que la Révolution a été, tout au long de son histoire, une vraie guerre, tandis que l’ennemi est constamment aux aguets, constamment prêt à frapper chaque fois que nous lui en donnons l’occasion.

En fait, j’ai fait venir le ministre et je lui ai dit : « Combien d’hectares as-tu déjà labourés ? » Il m’a répondu : « Quatre-vingt mille. » Je lui ai dit : « N’en laboure pas un de plus. » Ce n’était pas mon rôle, mais il ne me restait pas d’autre solution, vous ne pouvez pas laisser les gens couler le pays…

Nous avons fait des choses de ce genre, à en faire pleurer les pierres ! Ce n’est pas votre faute, mais je me demande : que nous arrivait-il ? Pourquoi ne nous rendions-nous pas compte ? Quelles choses mauvaises étions-nous en train de faire ? Que devions-nous rectifier ? Il y avait belle lurette que l’URSS s’était effondrée, que nous nous étions retrouvés du jour au lendemain sans carburants, sans matières premières, sans aliments, sans articles d’hygiène, sans rien. Peut-être a-t-il fallu que ça nous arrive, peut-être a-t-il fallu que nous souffrions ce que nous avons souffert, tout en étant prêts à nous donner notre vie cent fois plutôt que livrer la patrie ou de livrer la Révolution à laquelle nous croyions.

Peut-être tout ça a-t-il été nécessaire, parce que nous avons commis de nombreuses erreurs, des erreurs que nous essayons de rectifier ou, si vous voulez, que nous sommes en train de rectifier.

L’une des grandes rectifications engagées par le parti et par le gouvernement a été de mettre fin à la prérogative de trois mille citoyens de gérer les devises du pays. S’ils contractaient des dettes, personne ne savait s’ils pouvaient les rembourser ou non ; il pouvait s’agir d’un investissement inutile ou insensé ou subjectif, et l’État devait alors rembourser. Et si l’État ne le faisait pas, son crédit en souffrait d’autant.

Ce n’est plus le cas. Je tiens à vous dire que le pays rembourse jusqu’au dernier centime, sans prendre une seconde de retard, et son crédit ne cesse de s’élever. On ne jette plus l’argent par les fenêtres, comme c’était le cas de cette colossale stupidité qu’était l’industrie sucrière.

Que penseriez-vous si je vous disais que, selon les inventaires, ce ministère possède de deux à trois mille camions de plus que lorsqu’il produisait huit millions de tonnes de sucre ! C’est dur à dire, mais je dois le dire. Et je le dirai autant de fois qu’il le faudra. Et je le ferai en public, parce que je n’ai pas peur d’assumer les responsabilités que je dois assumer, parce que nous ne pouvons continuer d’être si coulants. Qu’on m’attaque, qu’on me critique, je sais très bien comment vont les choses. Beaucoup doivent se sentir un peu froissés : des rois, des tsars, des empereurs…

Est-ce que tous nos ministres sont comme ça ? Non. Certains de nos ministres ont été déficients, et même bien déficients. Et, de notre côté, nous avons été parfois coulant avec des fonctionnaires qui occupent des postes importants. Mais j’ai une vieille habitude : travailler d’ordinaire avec les compagnons qui ont commis des erreurs ; je l’ai fait bien souvent tout au long de ma vie, tant que je constate des qualités en eux ; bien souvent, les qualités existent, mais les orientations ne sont pas correctes ; ou alors il s’agit bien souvent de cécité, même si le pays dispose de tous les mécanismes et de toutes les institutions nécessaires pour se défendre, pour lutter, pour combattre honnêtement, sans abus de pouvoir. Ecoutez bien : sans abus de pouvoir ! Rien ne justifierait jamais l’abus de pouvoir de la part de l’un d’entre nous. En revanche, nous devons oser, nous devons avoir le courage de dire la vérité. Mais pas toutes les vérités : parce que vous n’êtes pas obligés de les dire toutes à la fois. Les batailles politiques se livrent selon une tactique, selon des informations adéquates. Je ne vais pas tout vous dire, je vais vous dire juste l’indispensable. Peu importe ce que les bandits diront demain ou après-demain, ou alors les dépêches. Rira bien qui rira le dernier.

À propos de dépêches, certaines affirment que Castro a lancé une offensive, que Castro a lancé les travailleurs sociaux, que nous renonçons aux avancées progressistes acquises… Les avancées progressistes, c’est qu’on vous vende une livre de riz à quatre pesos ! Qu’on escroque le citoyen ! Quel retraité peut acheter à ce prix ? Un retraité, d’une part, quatre-vingts pesos, cinq petites livres de riz sur le livret d’approvisionnement… A La Havane, non, elle était privilégiée, avec six livres, une livre de plus, ainsi que Santiago, d’ailleurs. Les autres provinces, c’étaient cinq livres. Il faut les peser une par une. Aujourd’hui, tout le pays reçoit deux livres de plus de riz. J’espère qu’un jour la production nationale suffira. Et ce moment n’est pas très très loin, à moins qu’on en alimente les poulets. Oui, le moment n’est pas loin où la production nationale suffira.

Mais nous sommes aussi en train de créer les conditions pour faire disparaître le livret d’approvisionnement. En effet, ce qui avait été indispensable dans des conditions données devient maintenant une gêne. Et quiconque voudra acheter plus de riz et moins de sucre pourra le faire, ou alors plus d’une chose et moins d’une autre, sans avoir à choisir entre l’un ou l’autre, entre haricots noirs et haricots rouges, par exemple. Je vous avertis : vous allez devoir prêter beaucoup d’attention à la cuisine, et vite.

Certains parlaient aussi du chocolat en poudre vitaminé, le fameux chocolatín. « Je le croirai quand je le verrai », disaient-ils. C’était la même chose avec l’autocuiseur. Qui a maintenant des millions de croyants ! D’autres disaient à propos du chocolatín : « C’est comment ? Combien vaut-il ? Huit pesos ! Pour un produit du livret, c’est pas donné ! » Moralité : tout ce qui est du livret doit être donné, comme l’électricité… Ça revient à combien, en dollars, après la revalorisation du peso ? Trente-deux centimes. Et que contient le chocolatín ? C’est un paquet de deux cents grammes : tous les onze grammes, sept de lait entier en poudre – les méfiants, qu’ils aillent à un laboratoire pour le faire analyser – et quatre de cacao, qui est très fort, aussi fort que salutaire, et Cuba est peut-être aujourd’hui le pays du monde à plus forte consommation de cacao par habitant. L’enfant en prend, mais le papa aussi, de la même manière que le papa prend le café de l’enfant. Comme l’enfant est né et inscrit sur le livret, alors il a droit automatiquement à un sachet de café, de cinq pesos ! Du café pour de bon. « Pour un produit du livret, c’est pas donné! » Disons alors : c’est moins donné.

La voie pour atteindre ce que je disais : que le travailleur gagne plus et quiconque travaille gagne plus, et que tout retraité touche plus, ce n’est pas celle du livret. Celle que nous disons, c’est plus de revenus et plus de produits.

Il y a en deux ici, devant moi, et ils ne sont pas mauvais. Certains découvrent d’ailleurs le chocolatín. Je sais que nos médecins, là-bas, au Cachemire, en prennent tous les soirs, de ce petit sachet qui « n’est pas donné », et ils peuvent y ajouter du lait. Celui de l’enfant, vous pouvez d’ailleurs lui ajouter de l’eau, ou du lait. Il contient des protéines.

Je peux vous assurer que nous calculons les protéines que contiennent chaque haricot et chaque œuf. Une grande partie du pays en reçoit cinq. La Havane, huit. Plus de cent communes en reçoivent dix, et chacun des nouveaux a reçu une augmentation. Si vous multipliez : 5 x 9 fait 45. Soit 4,50, plus cinq pour 15 centimes, 75. Autrement dit, avec 5,25 centimes, vous achetez dix œufs. Celui qui touche le moins, celui de l’assistance sociale, touche 50 pesos et peut donc acheter cinq nouveaux œufs pour 4,5. Exact.

Oui, mais après est venu le chocolatín, et il faut ôter 8, ou le cafetín, et il faut ôter 5, plus 8, soit 13 ; plus 5,25, égal 18,25.

Il y a deux livres de riz, à 90 centimes la livre, soit un peu moins de quatre centimes de dollar. Oui, c’est en plus, et le pays a dû dépenser quarante millions de dollars pour ces deux livres de riz, et il n’a pas hésité à le faire. Et celui auquel vous avez augmenté les revenus de cinquante pesos, bien entendu, il lui en reste un petit peu moins. Mais vous pensez alors combien vous allez augmenter tout de suite la pension du retraité pour qu’il puisse acheter ceci ou cela, et vous faites en sorte que l’argent soit garanti avant de le distribuer. Il n’est pas question d’imprimer des billets sans contrepartie en marchandises ou en services, parce que alors nos illustres intermédiaires vont faire payer cinq pesos le riz au lieu de trois, et des choses de ce genre. N’oubliez pas que ces gens-là sont des pirates, ils peuvent se faire payer n’importe quoi. Même une livre de haricot à huit pesos, si ça leur chante.

Je tiens à dire que tous ceux qui dans notre pays recevaient dix onces – soit dix millions de personnes – en reçoivent désormais vingt, et que tous ceux qui en recevaient vingt en reçoivent trente, et que ceux qui recevaient dix et ensuite vingt vont en recevoir trente. Soit le triple de la quantité de haricots, ou de grains, comme on dit maintenant, sans inclure le riz ou le maïs. Cinq millions, le triple, et le reste, 50 p. 100 de plus.

Ça aussi, ça nous a coûté quelques dizaines de millions de dollars. Je ne vais pas vous demander d’où nous les sortons ou comment nous nous débrouillons, parce que les grands théoriciens le discutent : « Ce n’et pas beaucoup. » Bien entendu, l’idéal serait le triple. Et d’où on le sort ? Vous pouvez me dire, mon cher monsieur, d’où on le sort ? Qui il faut agresser pour ça ? Ou est-ce que nous allons vous prendre pour des niais en vous donnant bien plus que ça pour que vous vous retrouviez grugé à la fin ?

Il y a un certain nombre de petites questions à poser aux sots. Ceux qui ont des opinions ne sont pas tous des sots, bien entendu, mais beaucoup de sottises proviennent de l’ignorance : c’est cher, c’est pas donné, tout est cher…

Les appartements, nous en avons fini par en faire cadeau. Certains en sont devenus propriétaires en payant cinquante pesos par mois, ou quatre-vingts. Si l’argent leur arrivait de Miami, au change ça leur coûtait trois dollars ! D’autres les vendaient, à quinze ou vingt mille dollars, alors qu’ils ne leur avaient coûté en fin de compte que cinq cents.

Le pays peut-il régler la question du logement en faisant cadeau des appartements ? Et qui en bénéficiait d’ailleurs, le prolétaire, les petits gens ? De fait, bien des petites gens qui avaient reçu un appartement quasiment donné le revendaient au nouveau riche. Combien le nouveau riche pouvait-il payer pour un appartement ? C’est du socialisme, ça ?

Ça a pu être une nécessité à un moment donné, mais ça a pu être aussi une erreur. Le pays a reçu un coup dévastateur, quand la grande puissance s’est effondrée du jour au lendemain et nous a laissés seuls, absolument seuls, et que nous avons perdu tous les marchés de notre sucre et que nous avons cessé de recevoir des vivres, du carburant, et jusqu’au bois pour enterrer chrétiennement nos morts. Et tout le monde se disait : « Ça va s’effondrer. » Et une bonne quantité de crétins continuent d’ailleurs de croire que ça va s’effondrer, si non maintenant, du moins demain. Et plus ils se font des illusions, et plus nous devons, nous, réfléchir et plus nous devons tirer des conclusions, pour que la défaite ne soit jamais le lot de notre glorieux peuple qui nous a tant fait confiance à tous (applaudissements).

Qu’il n’y ait jamais ici d’URSS, ni de camps socialistes dissous, éclatés ! Que l’Empire ne vienne pas ici installer des prisons secrètes pour torturer les hommes et les femmes progressistes du reste du continent qui se dresse aujourd’hui décidé à atteindre son seconde et définitive indépendance !

Mieux vaut qu’il ne reste même pas l’ombre du souvenir d’aucun de nous et d’aucun de nos descendants plutôt que de recommencer à vivre une vie si répugnante et si misérable.

Je vous disais que nous étions toujours plus révolutionnaires. Pourquoi ? Parce que nous connaissons toujours mieux l’Empire, parce que nous savons toujours mieux de quoi il est capable. De fait, auparavant, nous étions sceptiques au sujet de certaines choses qu’il pouvait faire et qui nous semblaient impossibles.

Ils ont trompé leur monde. Ils ont profité des médias pour s’emparer des esprits et ils ont gouverné non seulement à coups de mensonges, mais encore de réflexes conditionnés. Un mensonge est une chose, un réflexe conditionné en est une autre : le mensonge trouble la connaissance ; le réflexe conditionné trouble la capacité de penser. Et ce n’est pas pareil d’être désinformé et d’avoir perdu la capacité de jugement parce qu’on vous a inculqué des réflexes : « Ceci est mauvais, ceci est mauvais ; le socialisme est mauvais, le communisme est mauvais », et tous les ignorants et tous les pauvres et tous les exploités ressassent : « Le communisme est mauvais. »

« Cuba est mauvaise, Cuba est mauvaise », leur dit l’Empire. Il le leur dit à Genève, il le leur a dit à des tas d’endroits différents, et tous les exploités de ce monde, tous les analphabètes et tous ceux qui ne reçoivent pas de soins médicaux ni d’éducation, qui n’ont pas un emploi garanti, qui n’ont absolument rien de garanti, en fait, ressassent : « La Révolution cubaine est mauvaise, la Révolution cubaine est mauvaise. » On a beau leur dire : « Oui, mais la Révolution a fait ceci et cela... Oui, mais il n’y a pas d’analphabète… Oui, mais la mortalité infantile est à ce niveau-là… Oui, mais tout le monde sait lire et écrire… Oui, mais il ne peut pas y avoir de liberté sans culture… Oui, mais il ne peut y avoir de libre choix sans connaissance… »

Est-ce la faute de l’analphabète ? Comment peut-il savoir si le Fonds monétaire est bon ou mauvais, ou alors que les intérêts sont plus élevés, ou que le monde est soumis à un pillage permanent à travers les milliers de méthodes de ce système-là ? Il ne le sait pas.

Ce système-là n’apprend aux masses à lire et à écrire. Il est capable de dépenser un billion de dollars tous les ans en publicité. Et ce n’est pas seulement ce qu’il dépense, mais à quoi il le dépense : il le dépense à créer des réflexes conditionnés, pour que vous achetiez Palmolive, et l’autre Colgate et l’autre encore Cadum, tout simplement parce qu’on vous l’a répété cent fois, que vous l’a associé à une photo bien léchée, qu’on vous a fourré ça dans le crâne. Eux, qui parlent tant de lavage de cerveau, ce sont eux qui vous sculptent le cerveau, qui vous le modèlent, qui lui donnent une forme, qui vous enlèvent votre capacité de penser. Et encore sils enlevaient sa capacité de penser à quelqu’un qui sort d’une université et qui peut au moins lire un livre, ce serait moins grave. Mais l’analphabète, que peut-il donc lire ? Comment va-t-il savoir qu’on le berne ? Comment apprend-il que le plus gros mensonge de ce monde-ci, c’est de dire que c’est de la démocratie, le système pourri qui règne dans ce pays-là et dans la plus grande partie des autres pays qui l’ont copié ? Tout ceci fait un mal terrible.

Et alors vous ne cessez de prendre toujours plus conscience, jour après jour, jour après jour, et vous sentez toujours plus de répugnance, toujours plus de mépris, toujours plus de haine, toujours plus de condamnation, toujours plus d’envie de vous battre. C’est ce qui explique que vous pouvez finir par devenir au fil du temps bien plus révolutionnaire que vous l’étiez quand vous ignoriez bien de ces choses-là et que vous ne connaissiez que les facteurs de l’injustice et de l’inégalité.

En vous disant tout ce que je vous dis, je ne fais pas de la théorie, même s’il le faut. Nous sommes en train d’agir, nous sommes en marche vers un changement total de notre société. Il nous faut changer de nouveau, parce que nous avons traversé une époque très difficile qui a donné naissance à ces inégalités, à ces injustices. Et nous allons changer sans commettre le moindre abus, sans ôter un peso à personne. Pour nous, en effet, la confiance de la population dans une banque vaut plus que tout. Et nous le pourrons parce que la Révolution est en train de créer des richesses, qu’elle va créer de grandes quantités de richesse qui ne viendront pas de la canne à sucre ou de choses de ce genre, mais qui viendront essentiellement de notre capital humain, de l’expérience aussi, parce que savoir ce qu’il faut faire est très important.

Si je vous racontais l’histoire de toutes les stations-service de la capitale, vous seriez étonnés. Il y en a deux fois plus que de raison. Un vrai chaos. Chaque ministère a voulu avoir les siens, et on vous distribue par ci et on vous distribue par là… Dans les organes du pouvoir populaire, le désastre est universel, le chaos, et ils en ont plus récupéré les camions les plus vieux, ceux qui dépensent le plus d’essence, etc. Quand il semblait qu’on avait rationalisé l’utilisation des camions, on hypothéquait en fait à jamais l’avenir du pays.

Peut-on avoir la même conduite quand le carburant coûte deux dollars que quand il en coûte dix ou vingt, ou quarante ou même soixante ?

L’une des pires choses qui nous soient arrivés, c’est justement ça : avoir cru les stratèges des systèmes électriques. Vous vous posiez une question, et puis une autre et encore une autre, jusqu’au jour où vous découvriez que le problème clef, c’est qu’on appliquait une conception qui correspondait à l’époque où le carburant valait deux dollars, et que notre politique en matière de canne à sucre correspondait à cette même époque.

Aujourd’hui, les cours du pétrole n’obéissent à aucune loi de l’offre et de la demande ; ils obéissent à d’autres facteurs, à la rareté, au gaspillage colossal des pays riches, sans le moindre rapport avec la moindre loi économique. Rareté face à une demande extraordinaire en augmentation constante.

J’ai appris une nouvelle ce matin : la demande quotidienne pour l’année prochaine s’élèvera de deux millions de barils pour atteindre plus de 84 millions de barils, et les USA, le principal territoire de l’Empire, en consomment à eux seuls 8,6 millions par jour. C’est là un des points clefs.

Nous invitons toute la population à coopérer à une grande bataille, qui n’est pas seulement celle du carburant et de l’électricité, mais celle contre tous les vols, de toute sorte, où que ce soit. Je le répète : contre tous les vols, de toute sorte, où que ce soit.

Combien coûte l’énergie totale que le pays consomme, aux cours du pétrole actuel ? Environ trois milliards de dollars.

Bien entendu, les économies ne vont pas être la seule source d’augmentation de nos revenus, il y en aura plusieurs autres, et qui pèsent lourd. Je suis presque sûr – les chiffres finals pourront être un peu plus ou un peu moins, quoique je préfère généralement les chiffres les plus bas – que le pays, compte tenu des données en notre possession, peut économiser en peu de temps les deux tiers de l’énergie qu’il consomme, de toute l’énergie : électricité, essence, diesel, fuel-oil, etc. de toute façon, les cours mondiaux peuvent baisser un peu par rapport aux cours actuels, et ensuite repartir en flèche. Cela équivaudrait à plus de 1,5 milliard de dollars. Vous me demanderez : et que fait le pays aujourd’hui de ce 1,5 milliard ? Je vous réponds : une partie est volée, une autre partie est gaspillée et une autre partie encore se jette.

Comme nous sommes en pleine marche, en pleine offensive et en pleine action, je ne peux pas vous donner tous les chiffres, mais je pense que le travail de ces jeunes travailleurs sociaux doit apporter au pays, en dix ans, peut-être vingt milliards de dollars par économie d’énergie. Vous avez bien entendu ? Vous savez ce qu’est un million, n’est-ce pas, et vingt millions, et un milliard en devises convertibles.

Carlitos vient de me passer un petit papier : « Dépenses totales de l’éducation : 4 117 000 000 de pesos ; dépenses de l’enseignement supérieur : 886 millions. Information offerte par le ministère de l’Economie et de la Planification, en consultation avec le ministère des Finances et des Prix, le 17 novembre 2005. »

Donc, 886 millions. 700 millions équivalent à peu près à 35,4 millions de dollars. Je répète : une petite partie du carburant volé ou détourné, moins de 20 p. 100. Voilà donc ce que coûtent les universités, selon ces chiffres.

Un milliard de dollars économisé équivaut à vingt-cinq milliards de pesos. La masse salariale de notre pays, au change international – qui est extrêmement arbitraire par rapport à Cuba – se monte à environ 14 milliards de pesos, qui ont dans notre pays un pouvoir d’achat vraiment très supérieur. Le taux de change a été réévalué et peut l’être de nouveau.

Je dois peser chaque mot que je vous dis. Ne croyez pas que j’improvise ; j’ai beaucoup réfléchi sur toutes ces données et je les ai en tête. Je dois peser les mots par ci par là : ceci, je peux le dire ; cela, non, parce que notre ennemi tente de faire échouer tout ce que nous faisons et de tromper son monde. Par exemple, en nous accusant de porter atteinte à la sacrosainte liberté de commerce. Mais ils se gardent bien, par exemple, de se demander tout ce qu’on peut faire ici avec un dollar envoyé de là-bas par l’un de ceux qui sont peut-être devenus des professionnels ici, sans avoir payé un seul centime, vous le savez bien.

Ceux qui sont partis d’ici après le triomphe de la Révolution ne sont pas partis analphabètes. D’ici, tous les ans, ceux qui partaient étaient ceux qui savaient. Les premiers à partir ont été ceux qui étaient issus des secteurs les plus riches, et tout au long de plus de quarante ans, l’Empire nous a volé des dizaines de milliers de diplômés universitaires et des centaines de milliers de travailleurs qualifiés, qu’il s’efforce maintenant d’empêcher d’envoyer ici de l’argent comme fonds familiaux.

Quelle tristesse que le jour où l’on a ouvert des magasins en devises où les prix étaient élevés pour récupérer une partie de cet argent que ces gens-là envoyaient et pouvoir ensuite le redistribuer aux autres qui ne recevaient rien, alors que le pays se trouvait dans une situation très difficile !

Que fait-on aujourd’hui avec un dollar ? On vous l’envoie ici… Je ne sais pas si quelqu’un (il s’adresse à une personne de l’assistance) t’envoie de l’argent. J’ai de la famille à laquelle on en envoie. Je n’ai rien à voir avec.

Nous avons fait un jour une enquête. Dans certaines provinces, de 30 à 40 p. 100 de la population reçoit quelque chose. Mais c’est vraiment une si bonne affaire que d’envoyer des dollars ici - une si bonne affaire ! - qu’ils pourraient parfaitement nous ruiner en envoyant des dollars, compte tenu de l’énorme pouvoir d’achat dont ils disposaient dans un pays soumis au blocus, avec des produits rationnés extrêmement subventionnés et des services gratuites ou extraordinairement bon marché.

Prenons l’exemple de l’électricité. Savez-vous combien il coûte à notre pays en devises convertibles de produire un kilowatt, avec notre système qui a tant de problèmes, avec la centrale Guiteras, avec celle de Felton et d’autres qui sont les causes de coupures de panne et de bien d’autres difficultés ? Savez-vous combien il nous coûte, ce kilowatt ? Environ quinze centimes de dollar. Mais si toi, qui es si intelligent, qui as si bien parlé, tu recevais un dollar, par exemple, que pourrais-tu faire avec ? Tu as déjà reconnu que les tarifs de l’électricité étaient bon marché, quasiment donnés. Si nous en faisons quasiment cadeau au retraité, au travailleur, c’est un bon cadeau ; le hic, c’est que nous faisons aussi cadeau à celui qui vit du système D, au type qui se fait payer jusqu’à mille pesos pour transporter quelqu’un à Guantánamo, ou qui touche le double du salaire d’un médecin pour le conduire de La Havane à Las Tunas, en utilisant par-dessus le marché de l’essence obtenu en corrompant le vendeur de la station-service…

Je n’ai rien contre personne en particulier, mais je n’ai rien non plus contre la vérité. Et que celui-ci qui se vexe parce que je dis la vérité, eh bien, qu’il se vexe ! Je suis désolé, mais je l’avertis d’avance qu’il va perdre la bataille, sans commettre la moindre injustice ou le moindre abus de pouvoir. Oui, de fait, nous faisons quasiment cadeau de l’électricité à celui qui revend la livre de haricots à huit pesos. Et n’arrêtez pas de la vendre, je vous en prie, n’allez pas commencer à ne plus la revendre et m’en accuser. Vendez-la donc, nous n’allons pas l’interdire. Mais je voudrais bien savoir en tout cas ce qu’ils vont faire quand il y aura plus de haricots. Je ne sais s’ils vont baisser leur prix ou non. Toujours est-il que la moitié de la population en reçoit maintenant trois fois plus, et l’autre moitié en reçoit 50 p. 100 de plus. J’imagine qu’ils vont devoir diminuer un peu leur prix. Il arrivera au mieux, grâce à l’argent que nous économiserons, ou à l’énergie que nous économiserons, que nous pourrons un jour allouer dix onces de plus, et le moment viendra où, quand l’honnêteté de tous les distributeurs sera garantie, quand pas un seul grain de haricot ne se perdra, quand celui qui ne sera pas acheté sera rendu, car il n’y aura plus moyen de le détourner, ni aucune raison de le détourner ni aucune condition pour le détourner, le spéculateur finira par ne plus rien revendre du tout ou devra le consommer tout.

Le paysans producteur consomme ce dont il a besoin et vend ses excédents. Le spéculateur vole et ne produit rien. Une dépêche de la Reuters affirme que le gouvernement s’en prend aux « avancées progressistes » découlant de la Période spéciale. Pour elle, les « avancées progressistes », ce sont toutes ces choses-là !

La Reuters ne dit rien de ce genre de bandit. Ce n’est pas forcément un bandit, d’ailleurs, c’est peut-être tout simplement un veinard qui a la chance de recevoir de l’argent des Etats-Unis… Tiens, tu reçois un dollar. D’un autre côté, tu ne dépenses presque rien en électricité, parce que ta consommation est inférieure à cent kW, si bien que tu n’as payé tes cent kW que neuf pesos cubains. C’est exact ? Alors, divise 24 par 9 (il fait le calcul).

Le dollar que tu as reçu de là-bas te fait 2 400 centimes, et tu n’as dépensé que 900 centimes pour tes cent kW. Même pas la moitié de ton dollar. Il te reste encore 1 500 centimes. Car tu es un garçon très économe, qui éteins les lumières inutiles, qui n’a pas d’ampoules incandescentes, toutes celles que tu as sont de néon, ton réfrigérateur consomme moins de 40 W-h, car ce n’es pas un vieux Frigidaire que tu as hérité de ta grand-mère. Le garçon parfait, quoi ! (Rires.)

Bon, mais supposons tout de même que tu consommes 150 kW. Ça va te coûter un tout petit peu plus cher, parce que ces 50 kW supplémentaires valent vingt centimes au lieu des neuf d’avant. Soit dix pesos. De sorte que tes 150 kW de consommation te coûtent 19 pesos. Tu vois, tu n’as pas encore dépensé tout ton dollar, parce que tu ne vis pas en Floride, tu vis à Cuba. Celui de la Floride est un grigou sans cœur ; lui, il paie là-bas quinze centimes de dollar, mais il t’envoi un dollar pour que tu puisses payer, avec moins d’un dollar, 150 kW.

Mais supposons maintenant que tu n’es pas si économe que ça, que tu as beaucoup d’appareils, peut-être un peu obsolètes, ou alors un appareil de climatisation, etc., et que tu consommes 300 kW. Alors, tu fais tes calculs : les cent premiers kW, neuf pesos ; les deux cents suivants, quarante pesos. Total, donc, quarante-neuf pesos. Pour payer tes 300 kW, tu as dépensé 1,9 dollar, soit 0,63 centime de dollar par kilowatt d’électricité cubaine. Quelle merveille !

Le dollar en question, tu ne l’as pas gagné, ou alors le peso, en travaillant, ce n’est pas non plus un dollar gagné par un intermédiaire qui a revenu la livre de haricots à huit pesos. Non, c’est un dollar qu’on t’a envoyé de là-bas, envoyé par quelqu’un qui est parti d’ici en bonne santé, qui n’a pas payé un sou pour faire toutes ses études, qui n’est pas malade, parce qu’il n’y pas d’émigrants en meilleurs santé que les émigrants cubains, qui bénéficient par ailleurs des avantages que leur offre la Loi d’ajustement cubain et qui n’ont pas non plus le droit d’envoyer de l’argent à leur famille.

Pour produire ces 300 kilowatts qu’il fait payer moins de deux dollars, le pays a dû débourser, lui, 44 dollars. Ce qui revient en fait à subventionner ce dollar envoyé des USA… Quel noble pays que le nôtre, qui subventionne les dollars de ceux qui sont là-bas et qui, au lieu de t’aider noblement, te disent : « Tiens, je vais t’envoyer deux dollars pour payer ton électricité, mais n’en dépense pas tant, je t’en prie, économise, éteins des lumières. Tiens, je vais t’envoyer aussi un réfrigérateur ou je vais t’envoyer l’argent pour que tu l’achètes à la shopping. » Et le généreux pourvoyeur de dollars poursuit : « Ne te tracasse pas, je vais t’envoyer ce dont tu as besoin, je suis bon, je suis noble, je vais au ciel, je te garantis les trois cents kilowatts que tu coûtes à cette idiotie d’Etat socialiste qui se dit révolutionnaire et qui dit qu’il va lutter jusqu’à la mort pour défendre la Révolution. » Le citoyen peut penser que nous sommes bons, mais il peut aussi penser à juste titre que nous sommes idiots, et il peut même avoir raison en partie…

Maintenant, pour ramasser quarante-cinq dollars, je dois ramasser quatre mille cinq cents centimes. Auprès de vous. Combien êtes-vous dans cette salle ? (On lui répond : 405.) Quatre cent cinq ? Eh bien, avant de partir, faites bien attention, laissez onze centimes, c’est vous qui payez, cet argent par lequel l’Etat paie est votre argent, autrement dit du peuple cubain. Laissez tous onze centimes pour subventionner les dépenses d’électricité de ce jeune homme pour un mois. N’oubliez pas ! Nous allons mettre quelqu’un à la sortie pour qu’il vous surveille et vous fouille en plus (rires). Est-ce vrai ou non ?

Quant au riz, eh bien, avec un dollar, même diminué puisque nous avons réévalué notre peso, tu peux acheter cent livres de riz…

Bien entendu, tu n’as pas dépensé un centime de ce dollar qu’on t’a envoyé en médicaments, puisque les médicaments à l’hôpital ne coûtent rien; et si tu les as achetés dans une pharmacie – ceux qu’on n’a pas détournés pour les revendre ailleurs – comme ils sont subventionnés, ils ne t’ont coûté que 10 p. 100 de leur valeur en devises. Si on t’a hospitalisé et que, va savoir, on t’ait opéré du genou, ou même du cœur, tu n’as pas dépensé un sou, alors que ton opération aux USA peut valoir mille ou deux mille ou dix mille dollars. Si tu as un infarctus et qu’on te pose une valve, ce qui est arrivé à l’un des fonctionnaires de notre Section des intérêts à Washington, alors, tu vas devoir débourser quatre-vingt mille dollars. De toute façon, on n’a jamais cessé de te fournir des soins ; on a pu être plus ou moins aimable avec toi, mais en tout cas, est-ce qu’on t’a refusé quelquefois l’entrée dans un hôpital ?

Bien entendu, notre système n’avait pas encore l’organisation qu’il commence à avoir et qu’il aura bientôt, il ne disposait pas encore des équipements dont il commence à disposer et dont il dispose déjà pour une bonne partie, des équipements de pointe et standardisés, et donc à maintenance bien plus facile, ou un scanner à soixante-quatre couches, parmi les meilleurs au monde, que nous avons achetés et payés et qui commencent à arriver. Comment les avons-nous payés ? Grâce aux économies et aux revenus du pays qui commencent à augmenter. Bref, tout ça ne te coûte rien.

Depuis que tu es entré à la maternelle jusqu’au jour où tu reçois ton glorieux diplôme de docteur en sciences agricoles, ou en sciences physiques ou en sciences médicales, tu n’as pas déboursé un centime pour tes études. Tu as reçu un appartement, si tu as eu de la chance, quoique le plus probable soit que tu n’aies pas eu ce genre de chance, à moins que ton père l’ait reçu en tant que participant aux microbrigades du bâtiment, mais en tout cas tu ne paies pas d’impôt sur le logement. Au mieux, tu es peut-être un petit débrouillard et tu t’aies dit : « Je vais le louer à des visiteurs, et en devises convertibles. » Dans ce cas-là, on te fait payer un impôt de 30 centimes par dollar de revenu. Donc, on t’a fait cadeau de ton appartement, puisqu’il ne t’a coûté que cinq cents dollars : en le louant, tu touches huit cents dollars par mois, tu en reverses deux cent quarante à l’Etat, et voilà, tu as donc gagné plus de cinq cents dollars. Soit 12 500 pesos.

Et maintenant, tu peux, en vertu de ce sacro-saint droit de liberté de commerce, aller sur un marché agricole et payer trois pesos pour un livre de riz, ou tu peux aller voir le distributeur d’essence et lui dire : « Je viens d’acheter une vieille voiture américaine à Machin ou à Truc, je le lui ai acheté en pesos cubains ou en devises convertibles, et j’ai que quelqu’un qui me garantis l’essence, parce que j’ai trois cents kilomètres à faire pour aller rendre à mes trois petites amies… » Et elle attirante, sa vieille bagnole américaine, avec les problèmes de transport que nous connaissons ? Moi, avec une veille américaine, je drague n’importe qui ! (Rires.)

Je peux encore, chers étudiants, ajouter que ceux qui consomment trois cents kilowatts consomment 40 p. 100 de l’électricité résidentielle du pays, un taux qui représente au bas mot environ quatre cent millions de dollars que l’Etat, généreux et bienfaiteur, fournit à tous ceux qui consomment le plus. Et quels sont ceux qui consomment le plus ? Allez rendre visite à un nouveau riche et vérifiez combien d’appareils électriques il possède.

Je me rappelle, quand nous étions en train d’analyser cette question de la consommation électrique et des prix, que nous avons découvert un paladar, un restaurant privé, qui consommait onze mille kilowatts, et ce crétin d’Etat subventionnait le patron en question, auquel les bourgeois aimaient tant amener les visiteurs pour qu’ils voient quel bon goût avaient la langouste et la crevette issues du miracle de l’initiative privée, des produits bien entendu tous volés de Batabanó allez savoir par qui ! Quatre ou cinq chaises. Et, bien entendu, cet Etat totalitaire, abuseur, est un ennemi du progrès parce qu’il et ennemi du pillage… Cet Etat-là, donc, subventionnait le restaurant privé en question à raison de plus de mille dollars par mois !

Je l’ai appris parce que j’ai demandé combien il dépensait pour l’électricité qu’il consommait. Je crois qu’une fois dépassés les trois cents kilowatts, le kilowatt coûte trente centimes de peso. Tu ne le sais pas ? Aucun de vous ne sait rien. (On lui dit quelque chose.) Non, n’invente pas, j’ai vérifié tout ça, parce qu’on a désinformé bien des fois. L’excès, c’est trente centimes. Pour onze mille kilowatts, ce monsieur payait trois mille pesos. Et l’Etat s’en mettait plein les poches, pensez un peu ! Lui, il payait trois mille pesos cubains, soit cent vingt dollars ; et l’Etat, ça lui coûtait… L’autre fois, j’avais fait le calcul à raison de dix centimes de dollar le kilowatt, mais maintenant, il coûte quinze centimes de dollar… Faites le calcul. Nous allons devoir faire une collecte supplémentaire ici… Je ne sais pas si vous avez de l’argent en poche ; en tout cas, ce paladar, il vous faut le subventionner. Voyons voir : lui, ça lui coûte cent vingt dollars par mois ; et l’Etat, ça lui en coûte mille deux cent cinquante… Comme vous êtes quatre cents dans cette salle, vous avez devoir laisser à la sortie, non plus seulement les vingt centimes d’avant, mais bel et bien en gros trois dollars… Comme ça, vous aidez l’Etat à subventionner l’électricité que consomme le paladar de ce monsieur. Parce que, nous serine-t-on, la liberté de commerce, le progrès, le développement, l’avancée, c’est ça !

Nous allons leur apprendre, nous, ce que c’est que le progrès, ce que c’est que le développement, ce que c’est que la justice, ce que c’est que mettre un terme aux vols. Et je vous avertis : avec le soutien le plus décidé du peuple. Nous savons ce que nous faisons, à partir de l’arithmétique et des chiffres. Nous savons ce que vaut chacune des choses que nous allons économiser. Je ne veux pas parler de ce que nous sommes en train d’acheter ni en dire bien plus, au sujet des milliards… Et vous pouvez être sûrs en plus que les coupures de courant vont se terminer, croyez-moi.

Nous avons déjà importé environ deux millions et demi d’autocuiseurs électriques à thermostat. Pas seulement les autocuiseurs de riz. Mais nous allons aussi avoir de petits appareils qui économisent 80 p. 100 de l’énergie que vous dépensez pour faire bouillir un litre d’eau.

Je vais vous poser une question et je suis sûr que vous allez pouvoir y répondre : que ceux qui n’utilisent pas d’eau tiède en août pour se doucher lèvent la main. Soyez honnêtes. (Une jeune fille lève la main.) Tu n’as jamais utilisé d’eau tiède ? (Elle dit non.) Et en hiver ? (Elle dit non.) Je te félicite. Tu fais partie d’environ 10 p. 100 de la population. Et toi, en hiver ? (Un jeune homme dit oui.) Bon, tu es quelqu’un de sérieux (rires).

Tenez, j’ai posé la même question à d’autres personnes, pas comme ici, à des étudiants, mais à des travailleuses. Je leur ai aussi demandé de lever la main. C’était le jour de mon anniversaire, en plein été, le 13 août. Je leur ai donc demandé lesquelles d’entre elles ne chauffaient pas de l’eau pour se doucher, et aucune des dix n’a pu lever la main ! Ça, c’est pour la douche. Mais on fait aussi bouillir l’eau pour les parasites, pour le petit bébé en été. Le jour où il fait bien froid, je voudrais bien savoir qui d’entre nous se douche sans eau tiède ! (Rires.)

Vous savez aussi ce que font les internes pour chauffer l’eau, pas vrai, avec une résistance dans un petite boîte… Vous le savez, n’est-ce pas ? (Exclamations.) Alors, pourquoi vous ne vérifiez pas combien d’électricité ça consomme ? En tout cas, moi, je peux vous dire qu’il y a des procédés pour chauffer l’eau qui consomment quarante fois plus l’énergie. Quarante fois !

Dites-moi un peu honnêtement : aucun de vous n’a jamais utilisé à la maison un réchaud électrique artisanal quand le gaz se termine ? Je ne parle pas de ceux qui ont le gaz de ville, qui est le plus économique. Je parle de ceux qui ont le butane ou le pétrole lampant… Aucun de vous n’a jamais utilisé un réchaud bricolé pour faire de la cuisine ? Que ceux qui ne l’ont jamais fait lèvent la main.

Qui donc ? Toi, jeune fille ? Viens ici, s’il te plaît. Oui, toi qui as levé la main. Viens donc ici. Réponds-moi bien : tu me dis la vérité, n’est-ce pas ? (Elle dit oui.) Tu ne l’as jamais fait, donc. Et où vis-tu ? (Elle dit à Santa María.) Il y a l’électricité ? (Elle dit oui.)

Je voulais découvrir la citoyenne idéale, celle qui n’a jamais utilisé un réchaud électrique bricolé !

Dis-moi, tu n’as jamais eu chaud là-bas ? Dis-moi encore : tu as un ventilateur, parce qu’il y a sûrement des moustiques. Quel type de ventilateur as-tu ? Quel moteur ? Aurika ? (Rires. Elle dit que non, que son ventilateur est un Sanyo à moteur électrique efficace.)

Tu es fille d’agriculteurs, n’est-ce pas ? (Elle dit oui.) Mais tu ne vends rien sur le fameux marché, pas vrai ? (Rires.) Tu es honnête, tu as un peu plus de ressources…

Tu n’as aucune ampoule incandescente ? (Elle répond qu’elle en a.) Combien ? De combien de watts ? (Elle répond : deux de 60 watts.) Tu vois bien avec ? (Elle dit oui.) Combien d’heures sont-elles allumées par jour ? (Elle répond qu’un certain nombre d’heures.) Cinq, six ? (Elle précise qu’une ampoule reste allumée toute la nuit.) Toute la nuit… Pour qu’il n’y pas d’obscurité… Douze, dix heures ? (Elle répond : douze.) Douze heures, parfait. Et l’autre ? (Elle dit qu’elle reste allumée de six heures de l’après-midi à dix heures et quelque.) Disons alors : quatre heures. Donc, douze et quatre, ça fait seize heures. 16 par 60 : 960 watts. Alors, au lieu de dépenser 960 watts, on va te faire cadeau de deux ampoules fluorescentes qui consomment sept watts chacune. Si tu les maintiens autant d’heures allumées, autrement dit seize heures, tu ne consommeras que cent douze watts et tu verras mieux.

Tu veux faire un petit cadeau au pays ? Tu veux ? Je suis sûr que oui. Tu vis là-bas ? Je n’ai pas voulu te le demander, mais le problème est réglé. Je vais te dire combien tu vas donner au pays très bientôt, dès demain si tu veux.

Enrique, envoies-lui deux ampoules de sept watts, ou si tu veux de quinze ou de vingt, et vous allez voir mieux qu’avec les ampoules incandescentes, et moins de voleurs viendront rôder autour de chez vous. Ces deux ampoules de néon de sept watts, j’avais calculé qu’elles consomment au total 112 watts, que je soustrais des 960 que consomment les ampoules incandescentes : 960 moins 112, 858 watts, multiplié par les 365 jours de l’année, soit 313,170 kilowatts, divisé par mille égale à 313,17 kilowatts ; multiplié par 15 centimes, leur coût de production en devises, donne 46 dollars et 97 centimes.

Merci d’avance : tu vas faire cadeau au pays – attends, ne pars pas – du paiement que tu dois faire maintenant, puisque tu vas faire cadeau à Cuba de 12,7 centimes par jour, en cent jours tu va lui faire cadeau de 12,7 dollars, et l’an prochain tu feras cadeau à tous de 46,45 dollars pour pouvoir acheter un peu plus de haricots ou de n’importe quoi d’autre. Et en plus tu verras mieux. Donc, rien qu’en changeant ces deux ampoules, tu vas nous faire cadeau à tous de 46,45 dollars. Nous n’allons pas te faire payer, ni toi ni les autres, les deux ampoules, qui durent cinq fois plus que les ampoules incandescentes et qui donnent moins de chaleur, si bien que tu devras moins utiliser ton ventilateur Sanyo.

Voyez donc un peu par cet exemple. Alors, imaginez qu’au lieu de deux ampoules, c’en soit quinze millions ! Pas seulement dans les foyers, qui en ont plus que selon les calculs, mais encore ceux des écoles, des magasins, etc. Quinze millions. Elle, elle n’en a que deux, et les utilise pas mal. D’autres les utilisent moins longtemps et d’autres encore bien plus, on ne peut extrapoler si facilement.

En tout cas, rien qu’en quelques heures, on doit pouvoir économiser vraisemblablement de deux à trois centrales électriques de cent mille kilowatts, en puissance, en plus des frais de carburant et autres pour produire l’électricité qui se gaspille, une puissance nécessaire pour que les ampoules restent allumées une heure.

De quoi riez-vous ? (On lui indique le plafond du Grand Amphi, d’où pendent des lustres avec un grand nombre d’ampoules incandescentes.) Ah ! non, je suis prêt à payer pour les maintenir comme ça, c’est très beau. Ça, ce n’est pas du gaspillage, il s’agit d’une décoration traditionnelle, historique, et en plus on n’y faisait pas des cérémonies tous les jours et à toute heure. En tout cas, le coupable, c’est moi, parce que la salle reste éclairée tout le temps que je suis à cette tribune.

Bon, un grand merci.

(Il s’adresse à une jeune fille de Ciego de Avila qui est restée debout à côté de la précédente de La Havane.) Une petite question : tu as un réfrigérateur chez toi ? (Elle lui répond qu’il est en panne.) En panne ? On ne lui a remplacé les joints et le thermostat ? (Elle dit oui.) Et pourquoi il est donc tombé en panne ? (Il dit que le moteur a grillé.) Quand ? (Elle dit : depuis un certain temps.) Quelle marque ? (Elle dit : russe.) Russe. Minsk, ou fabriqué avec des moteurs russes par l’INPUD de Santa Clara. En panne donc. Ta consommation, alors, est bien supérieure à celle des deux ampoules d’avant.

Supposons que ton réfrigérateur ne soit pas tombé en panne. Qu’allons-nous faire de toi ? Il faut qu’on te change ton réfrigérateur, parce qu’il consomme trop de courant.

Avant-hier, j’ai eu une réunion avec des travailleurs sociaux qui partaient s’occuper des camions et des tracteurs. Ils partaient vérifier où ils se trouvaient, où vivaient les chauffeurs, comment ils s’appelaient, quel était leur plaque minéralogique, combien de carburant ils dépensaient, combien de diesel par heure, combien de kilomètres au litre, etc. En tout cas, il ne faut pas être malin pour savoir que ton réfrigérateur en panne, ton Minsk, consomme énormément d’électricité. Combien ? Tu ne te rappelles pas ? Il doit consommer environ trois cents watts par heure. Toi, oui, tu nous coules la République ? Ton frigo défectueux doit consommer à lui seul au moins sept kilowatts par jour. Alors, si tu le remplaces par un nouveau, qui consomme moins de quarante watts heure, tu pourrais… Je vais te dire combien tu économiserais, en calculant rien que deux cents watts par heure… Ça fait 4,8 kilowatts par jour. Apprenez à multiplier, parce que vous allez devoir le faire. (Il fait des calculs.) À 15 centimes le kilowatt, tu vas nous faire cadeau de… 15 et 15, 30 et 30, environ 72 centimes par jour. Tu vas avoir ton réfrigérateur. Nous allons le noter, n’est-ce pas, Enrique ?

Tu n’as pas de frigo maintenant ? (Elle dit qu’on est en train de le réparer.) Et d’où tu vas trouver le moteur, dis-moi ? (Elle dit qu’on enroule les bobines de la dynamo.) Attends un peu, comme ça tu vas élever sa consommation d’au moins 30 p. 100, parce que ces bobines enroulés sont un désastre ! Enrique, les frigos à bobines enroulés, combien ils consomment ? C’est ce que font bien des gens, le moteur tombe en panne, et les gens recourent à cette solution, parce qu’il n’y en pas d’autres, ce n’est pas leur faute. C’est l’Etat qui es fautif. En tout cas, je peux te garantir que d’ici six mois tu auras un réfrigérateur qui ne consommera pas plus de quarante watts par heure. Je te parle de ce qui se gaspille, de ce qui se jette. Grâce à toi, nous devons économiser au moins deux cents watts par heure. Dommage que nous venions de distribuer les cent cinquante réfrigérateurs que nous avions en réserve. Peut-être en reste-t-il encore sept, Enrique, on pourrait peut-être aller faire un essai là-bas. Nous sommes en train de faire cent cinquante essais en ville, nous allons avoir une réunion avec les représentants d’Arroyo Naranjo où environ trente mille personnes cuisinent au butane.

Enrique, combien de travailleurs sociaux sont-ils allés rendre visite aux habitants d’Arroyo Naranjo, qui compte environ cinquante mille familles ? (Enrique dit que 1 098 travailleurs sociaux sont partis aujourd’hui rendre visite aux cinquante-cinq mille familles, que la moyenne par travailleur social est de vingt foyers par jour, si bien qu’il calcule qu’ils ont dû rendre visite aujourd’hui à environ vingt mille foyers.)

Ils auront donc visité tous les foyers en deux jours. Prenant note de tous les articles électroménagers de la commune. Nous sommes en train de mener à bien de solides expérimentations sociales. Nous allons changer le gaz. Peut-être ces habitants qui sont les plus pauvres de la capitale m’écoutent-ils : on leur a installé le gaz butane. Prix du butane : plus de sept cents dollars la tonne ; 30 000 x 10 = 300 000 kilos. La consommation mensuelle d’Arroyo Naranjo est au minimum de trois cents tonnes de butane. Soit trois millions de dollars par an. A supposer que ce ne soit vraiment que trente mille consommateurs.

Nous allons mener une importante expérimentation, en collectant toutes les données, en nous réunissant avec tous les représentants directs des îlots, des conseils populaires, des syndicats, des organisations de masse, soit environ mille cinq cents personnes parmi les plus proches des voisins, pour discuter avec eux l’expérimentation que nous proposons. Je suis sûr que ce sera un succès, rien que pour les économies de dépense énergétique.

Nous allons analyser la consommation en hiver, nous allons voir ce qu’économisent les ampoules que nous distribuerons d’ici fin décembre ; nous allons remplacer les ventilateurs bricolés, qui se montent à un million, à quoi va s’ajouter une quantité égale de chauffe-eau électriques manuels, simples mais efficaces, qui réduisent considérablement la dépense énergétique.

Nous disposerons de quatorze millions d’appareils en décembre et nous les distribuerons peu à peu : des autocuiseurs de riz, des autocuiseurs électriques, des chauffe-eau. Je n’inclus pas dans cette quantité les ampoules de néon qui remplaceront les ampoules incandescentes.

Nous verrons aussi ce que nous ferons de certains véhicules, après que chaque chauffeur ait conversé avec les travailleurs sociaux, et quels sont ceux qu’il faudra définitivement désaffecter.  Quand chaque ministère aura les camions qu’il doit avoir et pas plus, et qu’on exigera qu’au moins 90 p. 100 soit en état de marche, et que tous les véhicules auront la carte grise, les économies de carburant par ce moyen seront étonnantes.

À vrai dire, nous avons des idées que je ne veux pas expliquer : nous savons exactement à quel moment il ne restera plus un seul de ces camions à essence et autres équipements dévoreurs d’énergie.

J’ai parlé d’économiser les deux tiers de l’énergie du pays. Nous pensons économiser en matière d’électricité, d’ici fin 2006, non moins d’un million de kilowatts-heure, que nous produisons et qui se gaspille, et nous serons en conditions de produire, avec de nouveaux équipements, au moins 1,4 million de kW-h,  sans parler des groupes d’électrogènes d’urgence. C’est plus sûr que les choses qui ont été annoncées et qui ont été faites, et que celles dont on n’a même pas parlé mais qui ont été faites aussi.

Inutile de s’appesantir. De toute façon, il y a des idées que nous commençons à appliquer en masse. Nous profiterons du fait qu’en hiver, la consommation d’électricité diminue de 15 p. 100, car chaque appareil que nous mettrons en circulation doit pouvoir être assuré de disposer de l’électricité requise, et que la famille puisse même faire la cuisine si le courant vient à manquer. Il existe encore de nombreux problèmes, mais tous sont étudiés minutieusement et surtout, comme dirait Marx, d’une façon consciente.

Je ne vais pas m’appesantir plus. Je peux revenir à tout moment et nous en reparlons.

J’ai abordé un certain nombre de questions. Nous devons être conscients : soit nous liquidons toutes ces déviations et nous renforçons la Révolution, en détruisant les illusions que l’Empire peut encore se faire, ou bien encore, soit nous réglons une bonne fois pour toutes ces problèmes soit nous mourons ! Il faut réitérer à cet égard le mot d’ordre de : la patrie ou la mort ! C’est là quelque chose de très sérieux, et nous allons jeter dans la bataille toutes les forces nécessaires, si besoin était les vingt-huit mille travailleurs sociaux. Ainsi donc, que ceux qui détournent de l’essence, mieux vaut qu’ils restent tranquilles, pour que nous n’ayons pas à les découvrir l’un après l’autre, parce que dix mille travailleurs sociaux sont d’ores et déjà prêts. La Havane est en train de se convertir en une école spectaculaire où l’on apprend ce qu’il faut faire. Les travailleurs sociaux apprennent de plus en plus, et nous sommes prêts à jeter dans cette bataille les vingt-huit mille déjà diplômés et les sept mille qui font encore des études.

Et si les vingt-huit mille ne sont pas suffisants, dont une partie travaille maintenant à la création de cellules anticorruption autour de chaque point à surveiller, des cellules composées de membres de l’UJC, des organisations de masse, de Combattants de la Révolution, exactement ce que j’avais évoqué à la Cité des sports.

Les problèmes découverts sont attaqués sérieusement. Vous ne pouvez pas imaginer l’enthousiasme des jeunes travailleurs sociaux. Je n’avais jamais vu dans ma vie tant d’enthousiasme, tant de sérieux, tant de dignité, tant d’orgueil, tant de conscience du bien qu’ils vont faire au pays.

J’ai parlé du carburant, de l’énergie en général, ce qui sera la chose la plus importante, mais pas la seule. Combien a-t-on volé jusqu’ici dans les usines, dans des laboratoires qui produisent par exemple des médicaments. C’est le cas d’une usine de La Lisa où il fallu licencier le directeur et bien des travailleurs, presque une centaine au total, parce que l’administration et une centaine de travailleurs étaient impliquées dans les vols de médicaments ! Le remplacement de personnel ne suffit pas en soi, et ce ne sera pas la seule solution.

Et ensuite ? Il faut recourir à tous les moyens techniques à notre portée. Nous avons acheté une quantité importante de nouvelles pompes pour le tiers environ des stations-service qui resteront en fonctionnement dans tout le pays, tout bien mesuré, ainsi qu’un certain nombre de nouveaux camions-citernes qui ne bloquent pas les rues ni ne provoquent des embouteillages ou des accidents. Ils rouleront la plupart de nuit, aux heures de moindre circulation. Combien de morts ne se produisent-elles par accident !

Et un jour, sachez-le bien, la Révolution disposera des instruments développés par des techniques de pointe pour savoir où se trouve chaque camion, à quel endroit, dans quelle rue. Personne ne pourra plus disparaître pour aller voir sa tante ou sa petite amie. Non que ce soit mal d’aller voir sa famille, son ami ou sa fiancée ; ce qui est mal, c’est de le faire avec le camion destiné au travail ; le crime est pire quand le monde connaît la crise énergétique qu’il connaît ; ou quand on donne aux gens des savonnettes sans parfum…

On en donne un tout peu plus maintenant, on a augmenté la quantité, et nous prenons les mesures pour l’augmenter encore : le savon, la dentifrice, chacune de ces choses essentielles. Nous le ferons chaque fois que nous le pourrons.

Nous avons acheté mille cars. Mais non pour faire cadeau des trajets. Une partie sert à régler des problèmes vitaux, comme ceux que j’ai signalés ici ; les autres arriveront dans les prochains mois.

Le transport peut recevoir quelques subventions, mais pas à 90 p. 100, car ce serait ruineux. Les subventions doivent plutôt être minimes. Nous devons rationaliser au maximum les salaires, les prix, les pensions et les retraites. Zéro gaspillage. Rien ne nous y oblige. Nous ne sommes pas un pays capitaliste où tout est laissé au hasard.

Subventions et gratuité, uniquement pour les choses essentielles, les choses vitales. Les services médicaux, l’éducation et d’autres services similaires resteront gratuits. Il faut faire payer le logement. On verra combien. Il peut y avoir une subvention, certes, mais ce qu’on paie en un certain nombre d’années doit être approchant du coût. Vous vous direz : avec quoi paierons-nous ces coûts ? Une part importante, avec ce que nous gaspillons aujourd’hui et ce qu’on vole, et avec les revenus non négligeables que le pays touchera en toujours plus grandes quantités. Tout est à notre portée, tout appartient au peuple. La seule chose non permissible, c’est de gaspiller des richesses d’une manière égoïste et irresponsable.

Je n’avais vraiment pas l’intention de me lancer dans une conférence sur des questions si sensibles, mais ç’aurait été un crime de laisser filer cette occasion de dire un certain nombre de choses relatives à l’économie, à la vie matérielle du pays, au sort de la Révolution, aux idées révolutionnaires, aux raisons pour lesquelles nous avons lancé cette bataille, à la force colossale que nous avons aujourd’hui, au pays que nous sommes aujourd’hui et que nous pouvons continuer d’être et que nous pouvons faire meilleur.

Je n’oserais jamais revenir ici si je mentais, ou si j’exagérais. J’aime mieux faire que promettre. De toute façon, je ne fais rien, parce qu’on ne fait rien seul. Je profite de l’expérience ou de l’autorité que je peux avoir parmi mes compatriotes pour les inciter à livrer des batailles. Des millions de Cubains sont préparés à la guerre du peuple tout entier.

J’ai dit que nous avions atteint l’invulnérabilité militaire, que cet Empire ne pourra pas payer la quantité de vies qu’il lui faudrait payer, peut-être autant ou plus qu’au Viet Nam, s’il tentait de nous occuper. Et la société étasunienne n’est plus disposée à concéder à ses dirigeants le crédit de dizaines de milliers de vie pour des équipées impériales. En Iraq, les morts se chiffrent déjà à deux mille. Arrivera-t-on aux trois mille ? Et les nouvelles qui arrivent d’Iraq pour les fauteurs de guerre sont chaque fois pires.

Et nous allons bien voir le sort que courra cette cochonnerie de blocus, parce que de nombreux Étasuniens sont furieux que leurs autorités n’aient pas accepté notre offre de médecins cubains après le Katrina. La plupart les voulait, et encore plus les autorités locales.

Oui, nous allons bien voir, parce que nous leur prouverons qu’il vaudrait mieux qu’ils lèvent cette cochonnerie : avec ça, ils ne détruiront jamais la Révolution. Et nous pouvons dire aussi à l’Europe : gardez pour vous votre aide humanitaire, hypocrites, gardez-la toute, nous n’en avons pas besoin. Quel bonheur de pouvoir dire que nous n’avons pas besoin de l’Europe, et que nous n’avons pas besoin de l’Empire ! Levez le blocus quand ça vous chante. Que vous le leviez ou non, ça nous est égal : parce que, comme ça, vous nous avez appris, vous nous avez trempés, nous avons appris à économiser, nous avons appris à penser, nous avons appris à grandir, nous avons appris à multiplier nos forces pour être à la hauteur de la stature colossale de l’adversaire.

Je vous ai parlé avec toute la confiance possible. Je vous ai parlé de chacune des tâches principales des brigades de travailleurs sociaux et de leur action impressionnante. Elles ont dû parfois agir par surprise, en faisant preuve de rapidité, de discipline et d’efficacité. À La Havane, ils étaient des milliers, et des milliers étaient mobilisés comme réserves.

Elles réalisent de nombreuses tâches. Si elles ne suffisent pas, combien d’étudiants compte cette Université ? Je vous dis dès à présent ce que je leur ai dit à eux : si vingt-huit mille ne suffisent pas, nous organisons une réunion avec vous, les étudiants de la glorieuse Fédération des étudiants, et vous en cherchez vingt-huit mille autres (applaudissements) qui oeuvreront en tandem avec les travailleurs sociaux qui sont entrain de prendre de la bouteille. Et s’il faut les mobiliser tous, eh bien, nous le ferons. Et si les cinquante-six mille ne suffisent pas, nous organisons une réunion avec vous et vous en cherchez cinquante-six mille autre de renfort.

Savez-vous qui va les héberger ? La population, comme partout. La population qui a une grande estime pour ces jeunes gens. Il ne doit plus y en avoir beaucoup qui disent : « C’est impossible à régler », ou « On n’en sort jamais. » Et, à vos côtés, aux côtés du peuple, nous prouverons que oui, c’est possible ! Je crois que nous allons avoir bien plus de ressources, non seulement pour répondre à des besoins, mais encore pour notre développement, parce que nous nous gérons mieux. Bien des choses que nous faisons, nous les faisons avec les ressources que nous avons économisées. Et nous sommes déjà en train d’économiser des centaines de millions de dollars, et les économies dépendront du rythme et de l’efficacité avec lesquels nous ferons chaque chose.

Des idées nouvelles apparaissent chaque jour, et ce que nous économisons en énergie se convertit aussitôt en ressources. Les centrales thermiques qui marchent le moins bien et consomment le plus seront de trop dans le pays. Nous ne les désaffecterons pas, bien entendu, pour les avoir en disponibilité en cas d’imprévu.

Rien qu’en production d’électricité, le pays dépense 3,8 millions de tonnes de pétrole par an. Mais notre système électrique n’a un taux de rentabilité que de 60 p. 100.

On ne construira plus de centrale thermique. On construira des centrales qui utiliseront le gaz accompagnant le pétrole, des centrales à cycle combiné qui s’amortissent en quatre ou cinq ans en faisant payer l’électricité à dix centimes – celle, par exemple, que les hôtels peuvent payer, et permettent de produire ensuite le kilowatt à deux centimes de dollar.

On ne construira jamais plus une centrale thermique comme la Guiteras. C’était de la folie, et il fallait être saturé de dogmatisme et de schématisme quand on la fait. Dans un système qui devait produire environ deux millions de kilowatts, acheter une centrale de 330 000 kW, c’était concentrer en une seule centrale plus de 15 p. 100 de la capacité de production réelle ! Quand votre centrale tombe en panne, ou que la foudre la frappe, comme cela lui est arrivé voilà quelques semaines, c’est la panne de courant qui frappe durement la population et l’économie nationale. Jusqu’à quand la Révolution allait-elle résister à la conception erronée et insane qui existait en matière de développement du système électrique ? Une conception qui n’était pas le seul fait de Cuba, je vous l’assure, et nous sommes aujourd’hui le premier pays au monde à le découvrir, et les autres devront venir voir ce que nous faisons.

Je ne veux rien ajouter de plus, parce que je risque de dire des choses extrêmement capitales.

Nous allons cesser d’être un pays d’idiots pour laisser tous les autres à la traîne. Sachez que les autres commettent la même erreur et que le bât les blesse au même endroit.

Non, je ne veux pas énumérer. Je vous promets de vous raconter un jour l’histoire, à vous les dirigeants étudiants, et peut-être aussi à ceux qui sont ici. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je dois me taire parce que parler peut alerter l’ennemi et le mettre en garde. De toute façon, il y a des choses que celui-ci ne peut plus freiner, comme les deux millions et demi d’autocuiseurs électriques qui sont déjà dans le pays ou en route. Et quand je dis « en route », ça veut dire en provenance de Chine. Et la Chine, ce n’est pas un petit îlot, c’est l’un des plus grands pays au monde, devenu aujourd’hui le principal moteur de l’économie mondiale, c’est un pays qui produit beaucoup de choses, et nous sommes en négociations qui vont à bonne allure pour d’autres achats et d’autres mesures d’échange.

Je vous disais aussi que le crédit de notre pays s’élève. Notre pays peut mobiliser des milliards de dollars, nous le disons à Bûche, pour qu’il se ronge les sangs un peu plus, si ça lui chante, et à tous les autres intrigants. Qu’ils disent ce qui leur plaît demain de ces « petits pauvres », de ces gens « si nobles » qui volaient « si peu », ceux qui font payer au peuple n’importe quoi pour n’importe quoi. Eh bien, à ces gens-là, je leur dis à vos côtés : « Payez l’essence que vous consommez ! » Pourquoi serions-nous donc contraints de faire des cadeaux au petit futé débrouillard, au bandit des grands chemins, ou au radin d’ici, ou à l’égoïste qui veut que l’Etat lui donne quinze centimes pour chaque kilowatt qu’il paie, lui ? Quelle loi de l’économie mondiale nous oblige donc à ça ? Et qu’ils se préparent, d’ailleurs, parce que nous avons tout bien calculé. Nous avons déjà dévalué le dollar, mais celui-ci continue de bénéficier de trop de privilèges.

Hélas pour eux, ni ce dollar ni les voleurs ne disposent d’un institut de météorologie, ne disposent d’un Rubiera. Parce que je vous assure que des cyclones sont en train de souffler, mais personne ne sait où ils vont, s’ils vont direction ouest, ou nord-est, et trois degrés d’inclination vers le nord ou vers le sud, ou encore si les vents sont de telle ou telle force. Sachez en tout cas que ce cyclone-ci est catégorie cinq ! (Rires.) Une catégorie cinq, c’est un cyclone qui ne laisse rien debout. Mais, une fois encore, sans abus, sans tuer personne de faim. Uniquement à partir de principes tout à fait simples : le livret d’approvisionnement doit disparaître ; ceux qui travaillent et produisent recevront plus, achèteront plus ; ceux qui ont travaillé pendant des décennies recevront plus et auront plus. Le pays aura bien plus, mais il ne sera jamais une société de consommation : il sera une société de connaissances, de culture, au développement humain le plus extraordinaire qu’on puisse concevoir, développement de la culture, des arts, de la science, et non en vue de mettre des points des armes chimiques, doté d’une liberté pleine que personne ne pourra restreindre. Nous le savons, ce n’est même pas la peine de le proclamer, même s’il est bon de le rappeler.

Nous avons gagné le droit de faire ce que nous allons faire, de disposer de presque un million de professionnels, d’intellectuels et d’artistes, de disposer de cinq cent mille étudiants, dans toutes les branches de la science, des étudiants capables de se qualifier et de se requalifier, de passer d’une activité à l’autre, et capable de bien des choses.

Sachez que notre société va être en fait une société absolument nouvelle. Et dans cette course de fond, nous devançons de loin ceux qui sont les plus proches de nous. Ce n’est pas un mérite. La raison en est cet Empire, parce que ses menaces étaient bien trop risquées, ou alors le défi qu’il nous lançait. En fait, le mérite lui en revient. Tout ce qu’a fait notre peuple noble, généreux, courageux et intelligent, c’est riposter. Et il riposte aujourd’hui avec la grande force de nombreuses intelligences développées.

Les cinq cent mille dont je parlais, nous y sommes arrivés en très peu de temps, en trois ans à peine. Combien y en aura-t-il demain ?

Bien mieux, nous aurons des dizaines de milliers d’étudiants latino-américains dans des écoles de médecine. Notre pays devra former à lui seul, dans les dix prochaines années, cent mille médecins. Nous sommes en train de nous battre pour créer le meilleur capital médical du monde, pas seulement pour nous – et nous continuerons d’en former pour nous – mais encore pour les peuples d’Amérique latine et d’autres peuples du monde qui nous demandent déjà que nous leur formions des médecins. Nous avons de quoi les former et personne ne peut mieux les former, parce que nous avons mis au point des méthodes pédagogiques dont nous ne rêvions même pas. Nous le verrons, et vite.

Il n’y aura pas seulement douze mille élèves de médecine à l’Ecole latino-américaine de sciences médicales ; il y a déjà ici deux mille bacheliers boliviens, en plus de ceux de l’ELAM, dont un certain nombre sont à Cienfuegos, logés dans les familles, des familles sérieuses, dotées d’une bonne formation professionnelle et culturelle, dont on a étudié le profil psychologique, de même qu’on a étudié celui de l’élève et de sa famille. Une expérience nouvelle et unique en son genre.

J’en parlais hier avec différentes personnes. C’est la solidarité convertie en richesse infinie. Comment pourriez-vous autrement héberger cent mille étudiants ? Et nous savons ce que coûte chacun, ce qu’il coûte de le nourrir, de le loger…

Nous avons bâti dans une première étape de la Révolution des centaines d’écoles secondaires, mais nous avons maintenant moins de la moitié des lycéens que nous avions dans les années 70. Nous savons ce qu’il coûte de les réparer et en combien de temps ça peut se faire. Nous disposerons donc de nombreuses écoles de médecine pour quatre ou cinq cents étudiants, dotées d’excellentes conditions matérielles, de l’équipement nécessaire aux études, des moyens audiovisuels, des programmes informatiques. Le compañero Machado a dit que s’il avait eu ces ressources durant ces cinq années d’études, il aurait pu les acquérir en un an. Ça ne veut pas dire, bien entendu, que nous allons former un médecin en un an, mais qu’un médecin acquerra en six ans les connaissances qu’il aurait mis vingt ans à acquérir par les méthodes traditionnelles. Je pense à la qualité, à la qualité, toujours plus présente.

Nous savons ce que font nos compatriotes partout dans le monde, nous sommes constamment en communication avec eux, avec ceux du contingent Henry Reeve et bien d’autres. C’est une très belle histoire qui est en train de s’écrire, sans précédent non seulement dans la vie de notre Révolution, mais aussi dans l’Histoire.

Je me sens vraiment bien, spirituellement et physiquement, en un jour pareil, jour de l’Etudiant, un jour que vous avez choisi, comme tant d’autres fois, comme date mobile pour fêter le soixantième anniversaire de mon entrée dans cette Université. Et je suis heureux de vous rencontrer. Bien des choses me venaient à l’esprit, et j’ai dû mettre de l’ordre dans mes souvenirs d’hier et dans mes idées d’aujourd’hui, en faisant bien attention à ne pas dire ce qu’il ne faut pas dire, mais à tout dire de ce qu’on doit dire.

Je pense – et j’en discutais avec les autres – que nous devrons adopter certaines mesures ce mois-ci, sans perdre une minute, parce que des choses sont en train d’arriver.

Nous devons de toute urgence décourager un peu le gaspillage d’électricité. Un peu, ai-je dit. Ce n’est pas encore la formule définitive. Mais maintenant que nous commençons à distribuer massivement un certain nombre d’équipements, plus nous économiserons et plus nous pourrons en distribuer. Et plus nous pourrons distribuer d’équipements, et plus nous économiserons d’énergie et plus d’argent nous commencerons à récupérer dès la fin de ce mois-ci et au début de l’an prochain. En tout cas, il est indispensable d’établir dès décembre une certaine limite au gaspillage colossal d’électricité.

Pas un centime de hausse pour ceux qui consomment jusqu’à cent kilowatts ; une petite hausse pour ceux qui consomment de cent cinquante à trois cents. Celui qui consommera trois cents kilowatts devra sans doute payer un peu plus, mais pas trop. Ceux qui gaspillent devront débourser peut-être quatre dollars au lieu de deux pour trois cents kilowatts. Mais ne gaspillez pas plus, éteignez les lumières, éteignez le ventilateur, ne laissez pas la téléviseur allumé. A propos, j’avais oublié de dire que nous attendons un million de téléviseurs : quarante mille sont déjà ici, et les autres sont en route, qui consomment cinquante watts, et pour qu’il ne reste plus un seul téléviseur en noir et blanc…

Tout ça fera encore des économies. Tout un tas d’économies, une à une. Nous avons testé en laboratoire ce que consomme chaque appareil, tout est mesuré, et tous les calculs sont inférieurs aux calculs officiels. Nous passons tout au peigne fin. Nous faisons tous les jours de nouvelles expérimentations. Nous allons en faire une aujourd’hui dans une commune complète, la plus pauvre, et c’est là que les travailleurs sociaux se sont rendus aujourd’hui ; à Cienfuegos, aussi, pour substituer les ampoules.

Enrique, quand vont-ils s’occuper des stations-service de cette province-là ? Peu importe que les voleurs le sachent, ils doivent bien se l’imaginer… (Enrique explique que ça se fera à partir de samedi, que 158 000 ampoules ont été remplacées à Cienfuegos et que le reste se conclura demain. Quelqu’un remet ensuite à Fidel Castro deux ampoules fluorescentes pour l’étudiante de La Grande Havane.)

Eh, dis donc, Enrique, ce n’est pas ça ! Tu nous fais prendre du retard et dépenser de l’électricité en plus ! (Il s’adresse à la jeune fille.) Ah, tu es là ? Mais ça, c’est une ampoule de sept watts. (Enrique précise que l’une est de sept et l’autre de quinze.) Oui, mais elle a deux ampoules de soixante watts chez elle. Tu ne vas pas laisser cette pauvre enfant dans le noir… ne lui éteins pas toute la maison ! J’avais dit de lui en donne deux de quinze. Tiens. Non, pas toi, elle. Donne-les-lui. (On remet à la jeune fille deux ampoules de quinze.)

Nous savons maintenant ce que nous économisons chaque année. Et ce n’est pas peu (applaudissements).

On va le lui décompter de ce qu’elle doit payer pour subventionner le gros consommateur...

Combien d’ampoules va-t-on changer à Cienfuegos ? (Enrique lui répond qu’il faut en changer 207 000.)

Vous en avez découvert combien de plus ? (Enrique lui dit qu’il faut en envoyer là-bas cent mille de plus.)

On avait parlé de cent cinquante mille de La Havane. (Enrique explique qu’elles sont en route, qu’on en a changé 158 000, que quatre cents travailleurs sociaux travaillent à ça, aidés par un renfort de trois cent soixante. Il lui ratifie que l’opération commencera samedi dans les stations-service.)

Parfait. Après-demain, donc, les stations-service. Qu’ils se préparent. De toute façon, on va découvrir ce qu’achètent les gens, et après on disposera de pompes à essence parfaites et le pays saura où se trouve chacune.

On saura combien de carburant dépense chaque engin, pas seulement les camions, mais aussi les rétrochargeuses, combien dépensent les tracteurs du ministère du Sucre, tous les tracteurs agricoles, dont des dizaines de milliers servent en fait de jeeps, tout bonnement, combien dépensent ceux qui, faute de pétrole lampant, qui est le combustible de l’immense majorité, utilisent du diesel pour faire la cuisine. Ce sont des centaines et des centaines de milliers.

À part ça – sachez-le – des machines absolument nouvelles à capacité de forage, à nouvelle sismique, très moderne, forant partout où il faut forer et utilisant le gaz d’accompagnement pour pouvoir créer des centrales à cycle combiné afin de remplacer une bonne fois pour toutes la Guiteras ou ces centrales monstrueuses de Santiago de Cuba qui consomment le demi-million de tonne de diesel que produit la raffinerie de la ville, dépensant de trois cents à trois cent cinquante grammes de fioul par kilowatt d’électricité produit, ou alors ces dévoreuses de diesel  de San José de las Lajas qui, pour produire 60 000 kW aux pics de demande, en consomment quatre cents grammes par kilowatt. Ne vous étonnez donc pas si je vous dis un jour : elles sont définitivement désaffectées. Nous ne le ferons pas tant qu’il restera le danger d’un déficit, car nous devons assurer. Et même là où on remplacera un carburant par un autre, l’ancienne restera tant que la nouvelle ne sera pas assurée. Ce seront de gros changements.

Je vous ai dis que nous disposons déjà de mille autobus pour les longues distances, et le tarif sera en conséquence. Pas encore maintenant, parce que nous préférons attendre. Il vaut mieux parfois attendre pour qu’on comprenne mieux quelque chose, pour qu’on comprenne bien, par exemple, une mesure. Ce dont la Révolution a toujours besoin, c’est de compréhension et de soutien du peuple aux mesures qu’elle prend, parce que je peux vous assurer, je le répète, que tout le peuple travailleur recevra plus, tous ceux qui ont travaillé pour le pays et pour la Révolution recevront aussi davantage, de nombreux abus vont disparaître, et on va supprimer le bouillon de culture de bon nombre de ces inégalités, les conditions qui les permettent. Quand nous ferons en sorte de ne plus subventionner ceux qui ne le méritent pas, alors nous aurons progressé considérablement dans notre marche vers une société juste et digne, justement ce que demande un socialisme véritable et irréversible.

L’Empire a rêvé que bien de plus de paladares allaient s’ouvrir à Cuba. Eh bien, il se peut bien qu’il n’en reste aucun ! Ou croit-on alors que nous nous sommes convertis au néo-libéralisme ? Aucun de nous ne l’est devenu. De toute façon, nous allons leur démontrer irréfutablement que leurs théories sont en crise, de même que nous leur avons prouvé le fiasco de leur blocus, de leurs agressions, de leurs déstabilisations.

Il se peut qu’il y ait encore moins d’abstentions l’an prochain lors du vote de la résolution contre le blocus aux Nations Unies, et qu’il ne reste plus aux USA que leur allié fasciste et génocide qui vote toujours sans le moindre scrupule aux côtés de l’Empire.

Le monde devra livrer une bataille.

Personne ne doit avoir le droit de fabriquer des armes nucléaires. Encore moins le droit privilégié qu’a imposé l’impérialisme d’établir sa domination hégémonique et d’enlever aux peuples du tiers monde leurs ressources naturelles et leurs matières premières. Nous l’avons dénoncé mille fois, mais ce n’est pas la solution. La première solution pour un pays du tiers monde, c’est de n’en avoir absolument pas peur, comme nous l’avons toujours fait, au point que l’Empire commence à se démoraliser.

Nous défendrons bec et ongles, à toutes les tribunes du monde, le droit des peuples de produire du combustible nucléaire à des fins pacifiques et nous n’aurons absolument pas peur, nous le disons (applaudissements).

C’en est assez de tant de crétinisme, de tant d’abus, de tant de règne de la force et de la terreur dans le monde. Ce règne disparaît face à l’absence totale de peur, et nous sommes toujours plus nombreux, comme peuples, à avoir toujours moins peur, les rebelles seront toujours plus nombreux et l’Empire ne pourra plus continuer de maintenir le système infâme qu’il soutient encore.

Salvador Allende a parlé un jour de « tôt ou tard ». Eh bien, je pense que cet Empire se désintégrera plus tôt qu’on ne le croit et que le peuple étasunien aura plus de liberté que jamais, qu’il pourra aspirer à plus de justice que jamais, qu’il pourra utiliser la science et la technique à son profit et à celui de l’humanité, qu’il pourra se joindre à ceux qui luttent pour la survie de l’espèce, qu’il pourra se joindre à ceux qui luttent pour offrir une chance à l’espèce humaine à laquelle il appartient.

Il est tout à fait juste de lutter pour ça. Voilà pourquoi nous devons consacrer toutes nos énergies, tous nos efforts, tout notre temps à faire en sorte que des millions ou des centaines de millions ou des milliards de personnes puissent dire avec nous : Il vaut la peine d’être nés ! Il vaut la peine d’avoir vécu ! (Ovation.)

 

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