Allocutions et interventions

MEETING D’AMITIÉ CUBANO-­MOZAMBICAINE AU CENTRE SCO­LAIRE 26-JUILLET, SANTIAGO DE CUBA, LE 11 OCTOBRE 1977

Date: 

11/10/1977

Cher compañero Samora Machel et chers compañeros de la délégation du peuple frère du Mozambique (applaudissements) ;

Chers compañeros de Santiago de Cuba,

On dit par là qu'on n'entend pas bien, mais la meilleure façon d'entendre c’est de faire silence (applaudissements). Et que l'on ne puisse pas dire que les habitants de Santiago sont indisciplinés (exclamations négatives). Qu'ils sont gais, nous le savons. Qu’ils sont disciplinés, qu'ils sont révolutionnaires, nous le savons aussi.

Cet après-midi, il y avait dans le ciel des nuages menaçants. Nous nous demandions s'il allait pleuvoir aujour­d’hui. Nous savons que le grand problème de Santiago ces dernières années a été justement qu'il a plu très peu. Par conséquent, si jamais il pleut, soyons prêts à accueillir la pluie avec joie ! (Applaudissements.) 

Ce meeting d'aujourd'hui, la présence du compañero Sa­mora Machel et de sa délégation sur cette place, face à la caserne Moncada, est un symbole des temps que nous vivons. Qui aurait pu l'imaginer il y a vingt ans ! Sans la Révolution dans notre pays, sans la Révolution au Mozambique, sans l’essor extraordinaire du mouvement de libération nationale, sans les profonds changements qui sont survenus dans le monde actuel, cette rencontre aurait été impossible.

Il y a beaucoup de traits communs entre le Mozambique et Cuba. Ce meeting n’est pas un simple geste de politesse, il ne s'agit pas d'une cérémonie protocolaire. C’est un meeting qui revêt une grande signification, une grande valeur morale et révolutionnaire, un meeting très important en raison de tous ces traits communs qui existent entre nos deux pays (applaudissements).

L’idée de faire cette visite à Santiago et de tenir ici un meeting de solidarité a énormément plu au compañero Samora et à la délégation qu'il préside.

Aussi bien à Cuba qu’au Mozambique, le chemin de l'indépendance et de la révolution a été long et difficile. Le chemin de notre indépendance a commencé il y a plus de cent ans, en 1868, et a abouti à la dernière guerre de libération au terme de laquelle notre patrie a acquis son indépendance définitive et a pu faire la révolution. Au Mozambique, la lutte pour l'indépendance et la lutte pour la révolution sont allées de pair. Ils n'ont pas vécu cette longue période de domination impérialiste et néo-colonialiste que notre pays a vécue durant plus de soixante ans.

À la fin, nous avons subi ici l'occupation des troupes des États-Unis, l'amendement Platt, le néo-colonialisme, le féodalisme et le capitalisme. Eux, ils ont achevé leur lutte de libération nationale et sont passés immédiatement à la construction du socialisme, sans passer par l'étape de la domination impérialiste, sans le capitalisme et sans le néo-colonialisme

Mais il n’est pas moins vrai que les deux pays ont atteint leur libération au prix du sacrifice, de la lutte, du sang abondamment versé, au prix de l'héroïsme : nous, en luttant au siècle dernier contre les troupes coloniales, en luttant par la suite contre l'impérialisme, en luttant contre les gouvernements corrompus et les forces mercenaires à la solde de l'impérialisme ; eux, en luttant durant très longtemps contre le colonialisme,

Lorsque notre Révolution a triomphé, les Mozambicains se battaient déjà depuis cinq ans environ ; ils avaient .entamé la lutte armée de libération dans des conditions vraiment très difficiles, car la puissance coloniale jouissait du soutien de l'impérialisme et de ses alliés de l'OTAN. Le Portugal, la puissance coloniale, était membre de l'OTAN et bénéficiait d'une aide financière, d'une aide technique, d’une aide en armement pour lutter contre les patriotes africains du Mozambique, d'Angola, de Guinée-Bissau et d'autres pays. De sorte que les Mozambicains n’ont pas obtenu leur indépendance gratuitement : l'indépendance ne leur a pas été concédée : ils ont dû arracher la victoire au prix d'une longue lutte, de beaucoup de sacrifices, de beaucoup d'héroïsme.

Or, qu'ont-ils trouvé après avoir atteint l’indépendance ? Ils n'ont pas trouvé de nation au sens traditionnel du terme. II n'y avait pas à vrai dire de nation mozambicaine, car les colonialistes avaient favorisé le tribalisme, le régionalisme, le racisme. En réalité, ils ont commencé à jeter les bases de la nation mozambicaine au cours de leur lutte. A Cuba, lorsque la guerre d'indépendance a été déclenchée, en 1868, il existait déjà ce que nous pourrions appeler une nation cubaine. Il en a été autrement pour les Mozambicains. Ils étaient opprimés par le colonialisme, l'impérialisme, le racisme et le capitalisme ; ils n'avaient même pas ce que l'on pourrait qualifier de nation mozambicaine. Ils ont créé et développé les bases de cet esprit national tout au long de la lutte déclenchée précisément en 1964. Ils se sont battus, tout comme nos mambís du siècle dernier, durant dix ans. Et au bout de ces dix ans, ils ont vaincu les troupes colonialistes et ont obtenu l'indépendance.

Ils n’ont pas trouvé de nation, mais ils ont trouvé toutes les séquelles du colonialisme. Durant des siècles, le peuple mozambicain a été exploité par les colonialistes. Et quelles en ont été les conséquences ? Les idées tribales se maintenaient ; il y avait dans le pays 90 p. 100 d'analphabètes. 90 p. 100 ! Nous n’en avions que 30 p. 100. Si à Cuba il y avait un million d'analphabètes sur une population de 6 500 000 habitants, au Mozambique, il y en avait un million qui savait lire et écrire sur une population de neuf millions d'habitants. Même une importante partie de la population ne connaissait pas la langue des colonialistes. De sorte que lorsqu'on visite le Mozambique et que n'importe quel visiteur se réunit avec le peuple, à Beira ou ailleurs, on a besoin d'un traducteur connaissant la langue que l’on parle dans cette région-là pour pouvoir s'entendre, Il n'y avait donc même pas de langue nationale, ou une langue, même si elle n’était pas d'origine nationale, même si elle était importée – comme l'espagnol ici – pouvant servir à tout le monde. Dans les universités, les universités de la colonie, sur 4 000 étudiants, il n'y avait que 40 Africains, le reste était des fils de colons qui, en plus, étaient les propriétaires des industries, des compagnies, bref, de toutes les richesses du pays.

Quarante Africains sur 4 000 ! Ceux qui pouvaient fréquenter les écoles secondaires, acquérir des connaissances techniques, aller à l’université n’étaient pas Africains, c'étaient les fils de colons. Par conséquent, les seuls à avoir des connaissances techniques dans le pays étaient les colons, les Européens, les occupants du pays.

Logiquement, après le triomphe de la lutte du peuple mozambicain – la lutte pour l’indépendance afin d'instaurer non pas le néo-colonialisme, mais la Révolution – les colons, dans leur immense majorité, sont partis. Avec les colons, les techniciens, les professeurs des universités, les médecins, les ingénieurs, les administrateurs, les ouvriers les plus qualifiés sont aussi partis.

Savez-vous combien de médecins le colonialisme a laissés au Mozambique pour une population de dix millions d'habitants ? N'importe quel hôpital de Cuba a plus de médecins que tous ceux que le colonialisme a laissés là-bas pour dix millions de personnes : environ quarante-cinq médecins africains sont restés au Mozambique !

Nous avions un peu plus de médecins, nous en avions six mille, et vous savez bien combien sont partis. Ils n’étaient pas yankees, ils n'étaient pas des colons, mais ils ont entendu parler de Révolution, d’une Révolution authentique, pas pour rire ; quand ils en ont entendu parler, même avant d'entendre parler de socialisme – car ils n’aimaient déjà pas cette histoire de réforme agraire, de réforme urbaine, de justice sociale, de lutte anti-impérialiste – il y en a 3 000 qui sont partis. Mais il nous en est resté 3 000, il nous est resté quatre-vingts fois plus de médecins qu’au Mozambique.

Voilà ce que représente le colonialisme. Après des siècles d'exploitation, ils ont laissé au peuple africain quarante-cinq médecins.

De sorte qu'ils ont à faire face à un problème vraiment beaucoup plus sérieux que nous à ce moment-là.

Le Mozambique est un pays qui possède d'énormes richesses naturelles. Avec une population équivalente à la nôtre, il a une superficie sept fois plus étendue que Cuba. Les colonialistes et les impérialistes avaient l’intention de diviser le pays en deux ou trois régions, en deux ou trois États, pour mieux exercer leur domination, en faisant appel à des facteurs tribaux et régionaux. Le fait de les en avoir empêché constitue un des grands mérites historiques des révolutionnaires mozambicains. Ils ont un pays possédant d'énormes richesses naturelles. Signalons simplement que le débit d’un seul des nombreux et importants cours d'eau du Mozambique est plus grand que celui de tous les cours d'eau de Cuba : un seul des grands cours d'eau ! Ils ont un énorme potentiel hydraulique.

Je vais donner un autre exemple. Les impérialistes croyaient que les Mozambicains n’allaient pas obtenir leur indépendance et ils faisaient de grands projets. Ils avaient l'intention, entre autres, pour combattre l'indépendance, d’intégrer les richesses du Mozambique à leurs propres intérêts en Afrique australe, et ils ont construit un immense barrage qui a coûté 1,8 milliards de dollars.

Le barrage de Cabora Bassa, que les impérialistes et les colonialistes ont construit là-bas pour fournir de l'électricité aux centres industriels d'Afrique du Sud, peut contenir plusieurs fois la baie de Santiago, ou même plusieurs fois la plus grande baie de notre pays, celle de Nipe.

En 1980, lorsque les générateurs seront totalement installés, ce barrage aura une capacité de 3 600 mégawatts. Trois mille six cents mégawatts, c'est trois fois la capacité de production d'énergie électrique de Cuba à l'heure actuelle. Bien entendu, notre capacité augmente : au début, elle n'était que de 300, maintenant nous dépassons 1 200, et, en 1980, nous dépasserons les 2 000 mégawatts. Notre capacité de production d'électricité est quatre fois plus élevée qu'avant le triomphe de la Révolution, mais ce seul barrage peut produire trois fois plus d’énergie électrique que nous n'en produisons à l'heure actuelle.

Et nous parlons là d'un fleuve. Mais les compañeros mozambicains nous disent qu'on peut construire deux autres barrages encore plus grands sur ce même fleuve, et ils ont des tas de fleuves. Autrement dit, au Mozambique, on peut, grâce au développement, électrifier et produire de l'énergie électrique non seulement pour le Mozambique, mais aussi pour les pays voisins

Nous avons calculé ce que coûterait, au prix actuel du pétrole, de produire l'électricité fournie par ce barrage, et cela donnait de 400 à 500 millions de dollars. La nature leur a donc accordé un privilège en leur donnant ces importantes richesses hydrauliques pour la production d'énergie ; des richesses qui sont inépuisables, parce qu'un puits de pétrole peut se tarir, mais le fleuve continue de couler ; on peut dire qu'un fleuve est éternel.

L’énergie est à l'heure actuelle un facteur extrêmement important pour le développement. Or, les Mozambicains possèdent un énorme potentiel hydro-électrique qui leur permettra de résoudre la question de l'énergie électrique pour un temps illimité.

Le pays possède d'importantes ressources minérales. Ils n’ont pas encore découvert de pétrole, mais il est fort probable qu'ils en découvrent et qu'ils découvrent aussi du gaz. Mais ils ont du charbon, de grands gisements de charbon, et lorsqu'on n'a pas de pétrole, mais qu’on a du charbon, c'est aussi un grand privilège. Ils possèdent de grands gisements de minerais, dont d’importants gisements de fer d'une haute qualité, ce qui leur assure une base – charbon et fer – pour le développement de la sidérurgie à l'avenir. Le charbon permettra aussi à l'avenir de développer la pétrochimie, mais à part le charbon, ils ont aussi du cuivre et beaucoup d'autres minerais importants.

Néanmoins, la plus grande partie du territoire n’a pas encore été explorée. Personne ne sait donc au juste toutes les richesses minérales que renferme le Mozambique. Il possède un potentiel hydraulique pour l’énergie électrique, il possède du charbon et aussi d'innombrables ressources minérales. Il possède également de vastes forêts et, surtout, des terres de très bonne qualité.

Disons qu'ils peuvent cultiver quarante, cinquante millions d’hectares de terres. A titre de comparaison, disons que toutes les terres arables de Cuba ne représentent environ que six millions d'hectares, et pourtant nous sommes les premiers exportateurs de sucre du monde. En plus, ils ont de l'eau, non seulement pour produire de l'énergie, mais aussi pour l’agriculture, pour cultiver de quarante à cinquante millions d'hectares de terre. Un hectare, c’est plus ou moins la surface de cette place ; en caballerías, cela leur en fait donc environ quatre millions.

En d’autres termes, le Mozambique peut devenir en quelque sorte un grenier d'aliments pour l'Afrique. Or, la production d'aliments a une importance de tout premier plan pour le monde de demain : il y a déjà sur cette planète plus de quatre milliards d'habitants ; en l’an 2000, nous serons sept milliards, et la population mondiale continue d'augmenter. La production d'aliments n’augmente pas au même rythme.

Le Mozambique compte donc d’importantes richesses naturelles : hydrauliques, énergétiques, minières et agricoles. Tel est le pays qu'ils ont recouvré des mains du colonialisme et de l'impérialisme, sans compter les dix millions d’habitants patriotes, combatifs, enthousiastes, intelligents, nobles, qui constituent le facteur humain de ce pays. Mais évidemment, il reste encore à développer tout ça. Et vous pouvez imaginer ce que signifie partir pratiquement de zéro : zéro ingénieur, zéro médecin –parce qu'entre quarante-cinq et zér0, il n'y a pas une grosse différence – zéro technicien, pratiquement zéro industrie, seulement quelques centres Industriels que possédaient là-bas les colonialistes. Les Mozambicains ont devant eux une immense tâche.

Bien sûr, ce n'est pas un hasard si le peuple mozambicain a aujourd’hui la possibilité de commencer à construire ce pays, ce n'est pas un hasard ! L'organisation de la lutte pour l'indépendance dans des conditions très difficiles, l'affrontement à l’impérialisme et au colonialisme, la guerre, la lutte contre le racisme, contre le tribalisme, contre le régionalisme, contre le néo-colonialisme, contre le capitalisme, pour arriver à cette situation où le peuple uni commence à acquérir un esprit national fort, pour aller de l'avant vers l'avenir, n’ont pas été le fruit du hasard.

Cela a été l’œuvre des révolutionnaires, des patriotes, des martyrs, des dirigeants, l'œuvre de Mondlane au début, et aussi l'œuvre du camarade Samora Machel, dès le début jusqu'à maintenant (applaudissements).

Ils ont commencé par regrouper les différentes forces patriotiques, nationalistes, anticolonialistes, anti-impérialistes ; ils ont constitué le FRELIMO et, tout en organisant le mouvement politique, ils ont commencé à entraîner les premiers combattants. Dès 1962 déjà, si je ne me trompe, déjà à cette époque le compañero Samora Machel se trouvait dans les camps de la république sœur d'Algérie où s'entraînaient les futurs combattants (applaudissements).

Le compañero Samora Machel a participé à l'organisation et aux premières actions armées, entreprises en 1964 dans le nord du Mozambique, dans la province de Cabo Delgado.

Toutefois, cela n'a pas été un processus facile. Une fois la lutte armée déclenchée, ils ont dû faire face à différents courants qui se manifestaient au sein du front de libération nationale, parce que dans un mouvement aussi large que celui-là, qui réunit tous ceux qui disent lutter contre le colonialisme, contre l'impérialisme, tous ceux qui veulent l'indépendance, etc., dans des fronts aussi élargis, il y a de tout : il y a des gens qui veulent l'indépendance pour établir ensuite le néo-colonialisme ou pour instaurer le capitalisme, pour maintenir le système d'exploitation de l'homme par l'homme. Et dès les premières années, des contradictions se sont manifestées entre les révolutionnaires les plus lucides, les plus avancés et les plus progressistes d'une part, et ceux qui voulaient liquider le colonialisme et accéder à l'indépendance pour établir une bourgeoisie nationale et créer le capitalisme, d’autre part. Les révolutionnaires ont dû mener des luttes opiniâtres au sein du mouvement. Les réactionnaires ont alors fait appel au tribalisme, au racisme, au régionalisme, etc., et les révolutionnaires ont été obligés de livrer une lutte au sein du front de libération, une lutte intelligente, pour tenter de maintenir l'union et, en même temps, pour combattre les idées réactionnaires au sein du mouvement de libération.

Et il faut dire – l'histoire l’atteste – qu'ils ont fait preuve d’une habileté extraordinaire, qu'ils ont eu un grand succès dans cette lutte qu’ils ont menée au beau milieu de la guerre ; au beau milieu de la guerre, encouragées par les colonialistes, des disputes ont éclaté et des réactionnaires ont rejoint le camp des colonialistes. Beaucoup de dirigeants ont été assassinés, dont Mondlane, qui était l'un des fondateurs du front de libération, en 1968

Dès cette époque, le compañero Samora Machel s’est distingué par le rôle décisif qu'il a joué dans la lutte contre ces courants au sein du FRELIMO et, après l’assassinat du fondateur de ce mouvement, il a été désigné comme l'un des trois principaux dirigeants du FRE­LIMO ; l'année d'après, le Comité central, issu du Deuxième Congrès, l'a nommé président du Mouvement de libération (applaudissements).

Il n’est pas arrivé à cette position, il n'a pas acquis ce prestige par hasard. Ayant participé dès le début à la lutte armée, il avait été désigné ensuite comme principal responsable de l’organisation des forces de la guérilla et de la direction de la guerre.

Lorsqu'il a été élu président du FRELIMO, il avait déjà une grande expérience militaire mais, plus que par son expérience militaire, il se distinguait surtout par son expérience et sa clairvoyance politique. Il a dirigé le FRELIMO dès 1969 ou 1970, sur le plan politique et militaire, et il a intensifié la guerre. En 1974, les colonialistes essuyaient leur défaite totale (applaudissements).

Il y a un fait très intéressant : dès l'époque de la guerre, le compañero Samora Machel, à la tête du groupe qui dirigeait le FRELIMO, commençait à préparer les conditions favorables à la création d'un parti, car un front de libération, ce n'est pas la même chose qu'un parti. Le front englobait tout le monde, le parti était déjà l'avant-garde, Et durant la guerre, ils ont commencé à créer les conditions favorables au développement du parti.

Une fois les Portugais vaincus, un gouvernement de transition a été formé. Les combattants du Mozambique, de l’Angola et de la Guinée-Bissau n’ont pas seulement battu les colonialistes en Afrique ; ils ont battu le fascisme au Portugal (applaudissements). Ils ont apporté non seulement l'indépendance aux colonies, mais ils ont apporté la démocratie – il est vrai qu'il s'agit-là d'une démocratie bourgeoise – mais ils ont apporté la démocratie au Portugal fasciste,

Voilà pourquoi nous devons dire que les Africains des colonies portugaises ne se sont pas seulement libérés eux-mêmes grâce à leurs luttes, mais qu’ils ont aidé – nous ne pouvons pas dire « libéré », car le peuple portugais a lutté durant des décennies contre le fascisme – le peuple portugais à se libérer du fascisme. Car, lorsque la guerre coloniale a atteint son point crucial en Afrique, le fascisme s'est écroulé au Portugal, il a été vaincu.

L’indépendance était obtenue. Mais est-ce que tout est résolu quand on accède à l'indépendance ? Indépendance pour quoi faire? Indépendance pour qui ? Indépendance pour les capitalistes ? Indépendance pour les bourgeois ? Indépendance pour les colons, qui étaient les maîtres de toutes les richesses du pays ? Indépendance pour instaurer le néo-colonialisme ? Indépendance pour perpétuer l'exploitation de l'homme par l'homme ? Ils ont dit : non ! Ils ont dit : indépendance pour le peuple, indépendance pour en finir avec l’exploitation de l'homme par l’homme, indépendance pour le socialisme ! (Applaudissements.) 

Et cette question revêt une importance extraordinaire parce qu’aussitôt après que les révolutionnaires dirigés par le camarade Samora Machel ont assumé le pouvoir au Mozambique, ils ont commencé à promulguer des lois révolutionnaires, ils ont commencé à nationaliser la terre, à nationaliser les industries appartenant à tous ceux qui avaient collaboré avec le colonialisme, à nationaliser les industries appartenant à ceux qui avaient quitté le pays, à nationaliser l'enseignement, les services de la santé publique et tous les points stratégiques de l’économie.

Bien entendu, les colons n'avaient pas la moindre intention de supporter un gouvernement révolutionnaire, un gouvernement d'Africains. C'est pourquoi l’immense majorité des colons ont quitté le pays. Ils ont réagi comme tous les réactionnaires à toutes les époques.

Depuis la glorieuse Révolution d'Octobre, dont on fêtera bientôt le soixantième anniversaire (applaudissements), les bourgeois ont toujours pensé que s’ils s'en allaient, le pays courrait à la ruine. « Nous allons laisser là les serfs de la glèbe, les travailleurs, les ouvriers ; nous allons voir comment ils dirigent le pays ! » Voilà ce qu’ils ont fait dans la vieille Russie, ce qu'ils ont fait aussi à Cuba. Ils se sont dit : « Nous allons voir comment ils se débrouillent, comment ils vont diriger le pays une fois que les techniciens, les administrateurs, les savants, les gens intelligents, cultivés, bien préparés, etc., auront quitté le pays. Nous allons voir comment les paysans et les ouvriers vont faire tourner le pays. » Bien sûr, nous avons eu des difficultés, des problèmes, nous avons commis des erreurs, mais nous avons fait marcher le pays (applaudissements). Non seulement nous l'avons fait marcher, mais il marche assez bien ; je ne vais pas dire qu'il marche parfaitement, non, jamais nous ne pourrons dire cela. Nous en voulons pour preuve que nous avons déjà 130 000 étudiants à l'université, pour ne citer qu'un exemple. Une autre preuve, ce sont les industries que nous possédons, si l'on songe qu'avant il fallait faire venir des sociétés étasuniennes pour construire les usines ; aujourd’hui, ce sont les ouvriers cubains qui construisent les usines, aussi bien une usine d'engrais qu'une cimenterie, qu'une usine textile, etc. ; nous construisons des centaines d'écoles, nous construisons des routes, des barrages, des voies ferrées, etc. Bref, nous avons appris à faire beaucoup de choses. Les impérialistes pensaient que ce pays n'allait pas s'en sortir. Il s'en est sorti, il marche, et on peut logiquement penser – à moins que nous ne soyons tous très médiocres – qu'il marchera tous les jours de mieux en mieux (applaudissements). Nous avons des médecins, des ingénieurs, des agronomes, des techniciens, et nous en aurons de plus en plus. Dans deux ou trois ans, nous aurons quelque 150 000 étudiants à l'université et, plus tard, car le temps passe, nous en aurons plus de 200 000. Ainsi, Cuba a prouvé que c'était possible.

En Angola, les colonialistes ont agi de la même façon. Ils ont dit : « Nous partons, et le pays va couler. » Au Mozambique, ils ont dit : « Allons-nous-en, le pays va couler. ». Ils ont agi ainsi partout. Cela se répète, la leçon se répète.

Le compañero Samora Machel m’expliquait des choses très intéressantes, Nos plans de collaboration avec le Mozambique comportent un certain nombre de bourses d'études ; nous avons même destiné quatre écoles secondaires installées à la campagne de l'île des Pins à des élèves mozambicains (applaudissements) ; nous avons également assigné un certain nombre d'écoles aux élèves provenant de la République sœur d’Angola (applaudissements). Cette année déjà, plus d’un millier de jeunes Mozambicains sont venus faire leurs études secondaires à Cuba. Et le compañero Samora me racontait : « Vous savez, compañero Fidel, que les réactionnaires et les ennemis du Mozambique ont commencé à inventer des histoires, à dire que nous envoyions nos enfants à Cuba, que nous vendions nos enfants à Cuba » (rires). Je lui ai alors répondu : « Compañero Samora Machel, ça n’a rien de très nouveau, c’est vieux, très vieux, aussi vieux que la Révolution d'Octobre » (rires). Car dès l'avènement des premières révolutions socialistes, le mensonge et la calomnie se sont acharnés sur elles. « Cette histoire n'a pas été inventée au Mozambique, elle est vieille de soixante ans », ai-je commenté. Et j'ai ajouté : « Je me rappelle qu’à un moment donné, des ennemis de la Révolution se sont mis à dire que nous envoyions les enfants en Russie, que nous allions retirer tous les enfants à leur famille pour les envoyer en Russie. » Et je lui ai raconté l'histoire répugnante et perfide, montée de toutes pièces, à propos de la fameuse question de l’autorité parenale. Nos ennemis avaient même fabriqué une prétendue loi, qu’ils avaient imprimée et divulguée, en affirmant qu’il s'agissait d'une loi préparée par le Gouvernement révolutionnaire qui retirait l’autorité parentale à la famille. Cette histoire avait même semé la panique dans certains milieux. Samora Machel me racontait qu'on avait eu recours au même procédé au Mozambique, et qu'il y avait eu des familles, des mères affolées qui avaient quitté le pays. Ça m'a rappelé ce qui s'était passé ici.

Tout cela est irrationnel, absurde. Depuis quand est-ce qu'on joue avec l’autorité parentale, qu’on la donne ou qu'on la retire ? L'État révolutionnaire ne cesse de parler aux parents et de leur dire : « Écoutez, il faut que vous vous occupiez de vos enfants, parce que tout ne peut pas être fait à l'école ; la famille est très importante, l’éducation reçue de la famille est très importante, l’exemple familial est très important » (applaudissements).Comment l’État révolutionnaire pourrait-il assumer l'éducation des enfants sans attendre le maximum de collaboration de la part de la famille ? L’État révolutionnaire peut construire des écoles, former des professeurs, assigner des crédits à l’éducation, mais sans la famille, sans la collaboration de la famille, il ne faudrait pas s’attendre à voir cette tâche couronnée de succès.

Que s'est-il passé en réalité depuis le triomphe de la Révolution ? Nous avons construit des dizaines, des centaines d'écoles et d'internats, et les familles demandent constamment plus d'internats, plus d'internats. Et, jour après jour, il faut répondre aux familles : « C’est que nous n'avons pas assez d'internats » (rires). Nous avons ouvert des dizaines et des centaines de jardins d'enfants, et les mères veulent de plus en plus fréquemment mettre leurs enfants dans ces institutions, au point qu'il faut bien leur dire : « Nous n'avons pas assez de jardins d'enfants » (rires). Et il y en a même qui se plaignent : « Le jardin d'enfants fonctionne jusqu’à cinq heures ou six heures seulement, et je travaille quelquefois jusqu’à sept heures, ou sept heures et demie. » Ce sont là les problèmes dont on entend parler tous les jours (rires).

Cela n’empêche qu’au début de la Révolution – voilà un excellent exemple illustrant leur manque de scrupules, la façon dont ils abusent de l'ignorance du peuple – les réactionnaires voulaient faire croire que la Révolution allait retirer aux familles l’autorité parentale.

Le compañero Samora Machel m’a raconté que là-bas, au Mozambique, ils ont voulu faire la même chose. « Ils ne sont pas très ingénieux, lui ai-je répondu ; ce truc-là est vieux, très vieux ! » Car la première fois que j'ai entendu parler de cette histoire d’autorité parentale, je me suis demandé : d'où est-ce que ces gens-là ont bien pu tirer cette affaire, cette invention diabolique ? Et un jour, j'ai lu les livres de Cholokhov, l’écrivain soviétique qui a beaucoup écrit sur la Révolution, auteur de Le Don paisible et d'un certain nombre d’autres ouvrages sur le Don, et c'est alors que j'ai découvert qu'à cette époque déjà, en 1917, 1918, en ces temps reculés, les bourgeois, les aristocrates et les seigneurs féodaux avaient inventé l’histoire de l’autorité parentale. C'est en lisant Cholokhov que je m'en suis aperçu (rires). J'en ai conclu que les réactionnaires de notre époque n'ont rien inventé, qu'ils se sont contentés de copier servilement les méthodes utilisées auparavant dans d'autres pays. Les bourgeois d'ici, les colonialistes et les réactionnaires de l'Angola, du Mozambique et d’ailleurs n’inventent rien. Ils n'ont fait que copier leurs prédécesseurs, mais ils n'ont rien inventé de nouveau. C'est dans l'arsenal des intrigues, des mensonges et des infamies des classes réactionnaires qu’ils ont puisé les ressources dont ils avaient besoin pour combattre ici, là ou ailleurs ; ils ont eu recours aux mêmes trucs, aux mêmes procédés.

Autrement dit, les Mozambicains connaissent actuellement des expériences que nous avons connues avant eux. Mais ici, au moins, il y avait des bourgeois. Au Mozambique, il n'y avait même pas de bourgeois : ceux qui possédaient les grandes affaires et les bazars de quatre sous, les grands magasins et les entrepôts, ceux qui contrôlaient les transports, les usines, les terres, l'élevage étaient tous des colons portugais. Au Mozambique, il y avait tout au plus quelques aspirants à la catégorie de bourgeois, quelques aspirants seulement, pas de vrais bourgeois.

C’est pourquoi les forces progressistes ont su mener leur bataille avec une grande intelligence, en donnant des explications aux masses, en combattant les préjugés, en combattant le tribalisme, en s'attaquant à tous ces problèmes en temps opportun, en combattant l’anarchie et le libéralisme, en posant les bases du Parti pour pouvoir dès le début, dès la formation du gouvernement, s'engager dans la voie réellement révolutionnaire.

En son temps, au moment voulu, une fois réunies toutes les conditions, les révolutionnaires au pouvoir ont proclamé que l'objectif de la révolution mozambicaine était le socialisme (applaudissements). Mais ils ne se sont pas contentés de proclamer le socialisme. Tout le monde parle aujourd’hui de socialisme.

Dans le monde, il y a toutes sortes de démagogues qui parlent du socialisme, et d'autres disent : Le socialisme scientifique, à la rigueur, ou quelque chose qui ressemble à cela. Mais eux ont dit : Non, le socialisme fondé sur les principes du marxisme-léninisme (applaudissements). Eux ont dit : Notre principe, notre idéologie, c'est le marxisme-léninisme. Et à partir des bases posées pendant la guerre, ils se sont consacrés à la tâche de préparer leur Troisième Congrès ainsi que la constitution d'un parti d'avant-garde marxiste-léniniste. Ils n'ont pas eu peur des mots (applaudissements).

Il convient de méditer sur l'immense satisfaction qu'auraient ressentie Marx, Engels et Lénine s'ils avaient appris qu'avant le soixantième anniversaire de la Révolution d'Octobre – le problème des pays colonisés, le problème du mouvement de libération dans les colonies sont des questions auxquelles Lénine avait beaucoup réfléchi et qui avaient inspiré des hommes aussi extraordinairement brillants qu’Ho Chi Minh (applaudissements) – quelle immense satisfaction auraient éprouvé les fondateurs des doctrines révolutionnaires et du socialisme scientifique s’ils avaient appris qu'en 1975, avant même le soixantième anniversaire de la Révolution d'Octobre, les révolutionnaires du Mozambique avaient proclamé l'objectif socialiste du processus dans lequel ils s'étaient engagés et le caractère marxiste-léniniste de leurs idées, dans un pays où il y avait 90 p. 100 d'analphabètes, où la nation n'existait même pas, et où il ne restait que quarante-cinq médecins (applaudissements).

Nous célébrons l'anniversaire des événements historiques et nous rendons hommage aux hommes dont la pensée lumineuse a constitué pour nous une aide. Mais, en vérité, des actions comme celle-ci représentent un véritable monument à la mémoire de Marx, d'Engels et de Lénine, et les hommes des nouvelles générations ne sauraient rendre un meilleur hommage à la Révolution d’Octobre (applaudissements).

Une question fondamentale se pose : comment, en réalité, sans le socialisme, sans une authentique doctrine révolutionnaire, les patriotes mozambicain, angolais, etc., pourraient-ils affronter les problèmes gigantesques qui se posent à eux, se donner pour tâche de construire un pays en partant de zéro ? Imaginez qu’une poignée de bourgeois se mettent l’un à monter sa petite usine, l’autre à installer son bazar de quatre sous, d’autres encore à ouvrir une maison de tolérance, un bar, une affaire quelconque, un commerce de drogues ou une maison de jeux, bref, toutes les activités qui caractérisent la société capitaliste où règnent le gaspillage et le luxe. Les ressources dont le pays a besoin pour acheter des livres et des médicaments sont consacrées à l'achat d'automobiles, d'objets de luxe, à des voyages à Paris, à Londres, à Lisbonne et ailleurs.

Imaginez maintenant un pays où il faut partir de zéro, où il faut commencer par alphabétiser 90 p. 100 de la population, consolider l'esprit national, définir un programme de santé publique assez solide pour combattre les mille et une maladies qui existent encore sur ce continent, et commencer à développer les ressources économiques.

Comment peut-on entreprendre une telle tâche sans le socialisme, sans une économie planifiée, sans une doctrine véritablement révolutionnaire ? Dans quoi retombe-t-on à coup sûr ? On retombe dans la domination impérialiste, néo-colonialiste, capitaliste. On ne sait pas très bien dans quoi on retombe, mais cela doit ressembler à l'enfer, un véritable enfer terrestre. Car je ne vois pas bien comment des capitalistes résoudraient le problème de l'analphabétisme, comment le néo-colonialisme résoudrait le problème de l'analphabétisme au Mozambique, ou ceux de la misère, de la pauvreté, du sous-développement. Comment demander aux monopoles de se charger de ces tâches ? Ce dont les monopoles et les capitalistes ont besoin, ce sont d’esclaves, oui, des esclaves ! Des esclaves pour travailler dans les latifundia et pratiquer la culture manuelle du coton – si la main-d’œuvre n’est pas chère, tant mieux pour eux, leurs investissements sont moindres – cultiver le riz à la main, cultiver la canne à sucre à la main, cultiver le sisal à la main, etc.

Il ne fait pas de doute que le processus du Mozambique révèle un talent vraiment exemplaire, une vision politique et des convictions révolutionnaires, Et je crois que cela constitue l'un des plus grands mérites historiques du compañero Samora Machel (applaudissements).

Nous savons ce qu'est l'Afrique ; nous savons bien ce que le colonialisme y a laissé : en Ango­la, en Éthiopie, au Mozambique, en Guinée-Bis­sau, en République de Guinée, au Congo, partout, parce que nous sommes allés à bien des endroits. Et on peut dire que ces problèmes affectent des centaines de millions de personnes. L'impérialisme et le néo-colonialisme ont laissé en Éthiopie – je le répète, parce que ce sont des chiffres que nous devons apprendre par cœur – 150 000 lépreux, 450 000 tuberculeux, 6 ou 7 millions de paludéens, 14 millions de personnes souffrant d’affection des yeux, 90 p. 100 d'analphabètes, la dénutrition. Voilà ce que l'impérialisme et le néo-colonialisme ont laissé en Éthiopie ! Et, en plus, 125 médecins qui s'étaient formés en général dans les universités de la métropole et qui vivaient dans la capitale, et vous savez que dans la plupart des cas, en Afrique et dans les pays sous-développés, personne ne les en aurait fait bouger d'un kilomètre.

Quand on parle dans les livres de l'impérialisme et du colonialisme, il est bon d'avoir les idées claires, mais il est bon aussi d’avoir des exemples clairs qui nous apprennent, qui nous disent ce qu’a signifié l’impérialisme et ce qu’a signifié le colonialisme.

Et maintenant, ces peuples qui ont l’indépendance doivent faire face à tous ces problèmes à la fois. Tous à la fois ! Au sous-développement, à la pauvreté, à la dénutrition, aux maladies, à l'analphabétisme, au manque d'industries, d’agriculture moderne, bien qu'ils possèdent de grandes ressources naturelles. Et, de plus, dans un monde dont l’économie est en crise à cause de toute cette folie capitaliste, avec la contraction des débouchés, etc. Et, par-dessus le marché, l'échange inégal. L'échange inégal ! Vous devez produire n’importe quoi, à la main, pour l’échanger contre un équipement qui, des 5 000 pesos qu’il valait avant, en vaut maintenant 40 000. Le camion, de 5 000 pesos, est passé à 40 000, autrement dit huit fois plus. Oui, mais ce que vous produisez n’a pas augmenté huit fois. Dans tout ce processus, ce que vous produisez peut avoir augmenté deux ou trois fois, et parfois même pas deux fois. Regardez un peu le sucre à présent, qui vaut sept centimes de dollar et quelques. Vous me direz : c'est deux fois ce qu'il valait, mettons, voilà quinze ans. Mais allez acheter un camion, un autobus, partez donc vous acheter un camion, un autobus sur le marché capitaliste : ils en valent sept fois plus, huit fois plus. Allez donc acheter une usine de n'importe quoi : elle en vaut sept ou huit fois plus.

Je vous ai parlé des ressources naturelles que possèdent les Mozambicains. C'est vrai, de grands fleuves, de grandes potentialités, de grandes ressources minérales. Mais qu'est-ce qu’ils ont maintenant ? De quoi vivent-ils ? Eh ! bien, ils vivent de la cueillette des noix de cajou dont ils sont de gros producteurs. Vous imaginez un peu toutes les noix de cajou qu'il faut cueillir, et ramasser, et sécher, et emballer, et embarquer, tous ces petites noix de cajou bon marché pour que ceux qui ont de l'argent dans le monde puissent en manger ! Les Mozambicains, ils ne peuvent pas songer à en manger, sinon ils ne pourraient même pas acheter une épingle, parce qu'évidemment ils ne produisent pas d'épingles ; ce sont les pays industrialisés qui les produisent. Du cajou pour New York, pour Paris, pour Londres, pour Lisbonne, etc. Combien de noix de cajou faut-il cueillir pour acheter un camion !

Et puis, ils produisent du sisal. Vous savez ce que c'est, le sisal ; vous devez prendre garde quand vous vous penchez de ne pas vous piquer le front ou les yeux ou le visage. Pensez un peu, coupez du sisal et cueillir du sisal pour exporter, pour acheter des machines, n'importe quoi que vous devez acheter, depuis l'énergie jusqu’aux équipements industriels !

Ils cultivent aussi du coton à la main et ils en exportent un peu ; et ils cultivent du thé à la main et ils en exportent un peu. Vous savez comment on cueille le thé ? Feuille à feuille ! Là-bas, le standard de vie anglais est très élevé : une heure de travail anglaise s'échange pour trente ou quarante heures de travail mozambicain. Parce que si le thé, on le leur achète bon marché, le camion, on le leur vend bien cher, ou n'importe quel équipement industriel ou n’importe quel produit semi-fini. Combien de petites feuilles de thé faut-il cueillir pour s'acheter une usine ?

Je vous ai donné des exemples : les noix de cajou ; le coton, capsule par capsule ; le thé, feuille par feuille ; le sisal, feuille par feuille. Qu'est-ce qu'ils ont d'autre ? Ils produisent un peu de sucre, et la canne il faut aussi la couper à la main, et il fait chaud là-bas, vous savez! Et du coprah. Il faut grimper aux cocotiers un par un et faire tomber les noix de coco une par une. Combien de noix de coco faut-il faire tomber d'un arbre et écaler pour s'acheter un tracteur ?

En vous donnant ces exemples, je m'efforce de vous expliquer en quoi consiste la tragédie du monde sous-développé et en quoi consiste l'échange inégal. Une tonne d’acier, quand vous la transformez en machine grâce à l’industrie mécanique, sextuple ou septuple son prix. Alors, vous échangez cette machine, à un prix faramineux, pour la petite noix de cajou, pour la feuille charnue du sisal et pour le coprah de la noix de coco. Voilà la tragédie.

Et c'est bien là l'une des questions les plus difficiles du monde actuel : comment résoudre les problèmes des pays sous-développés qui constituent l'immense majorité de l'humanité ? Parce qu'il faut bien s'habiller, n'est-ce pas ? Il faut prendre le bus, si l'on peut – à La Havane, ça devient difficile maintenant ! – il faut acheter des médicaments, il faut même se reposer un jour ou l'autre, voir un film, avoir quelque droit à la vie, non ! Et comment va-t-on résoudre ces problèmes sans le socialisme, sans une doctrine scientifique, sans l'union de toutes les forces progressistes et révolutionnaires, sans des efforts pour changer ces conditions-là dans le monde.

Le compañero Samora Machel, faisant preuve d'un sens politique extrêmement judicieux, n’a pas seulement contribué et travaillé avec acharnement à jeter les bases d'un parti, à divulguer une doctrine, un programme, un objectif, mais il a aussi, pour être conséquent, resserré extraordinairement ses relations avec les pays socialistes et avec le mouvement progressiste.

Je ne voudrais pas m'étendre plus longuement, mais je dois ajouter qu’en plus, le Mozambique est là, collé au Zimbabwe – le Zimbabwe pour les Africains, la Rhodésie pour les racistes – et collé à l'Afrique du Sud, qu’il a des milliers de kilomètres de frontières avec ces pays racistes, fascistes et colonialistes – ou colonisés, pour être plus précis. Il est harcelé, soumis à un boycottage économique, agressé fréquemment par les racistes qui sont au service du fascisme, au service du néo-colonialisme, au service de cet odieux racisme.

Autrement dit, c’est un pays qui occupe la toute première tranchée dans la lutte pour la libération des peuples, dans la lutte contre le racisme, et il n'a pas hésité à accorder le soutien maximum au mouvement révolutionnaire. Il a fermé ses frontières avec la Rhodésie raciste qui opprime plus de six millions d'Africains. Alors qu'il recevait de gros revenus grâce au chemin de fer, sur lequel travaillaient quarante mille ouvriers, le Mozambique, respectant l'esprit des décisions des Nations Unies, a fermé ses frontières avec la Rhodésie, ce qui lui a coûté de lourds sacrifices économiques, notamment leur emploi à des dizaines de milliers de travailleurs, sans que pour autant les Nations Unies lui ait passé une aide valable. Bref, le Mozambique maintient une position internationaliste résolue et conséquente.

Nous avons eu l'honneur de connaître ce pays, de prendre contact avec les dirigeants et le peuple mozambicains, et nous connaissons les conditions dures et difficiles dans lesquelles ils luttent.

Quand je parlais de ce dont vivait le Mozambique, j'ai omis quelque chose. Il vit de ces choses-là, et aussi de deux cent mille Mozambicains qui travaillent dans les mines sud-africaines. Voilà les emplois qu'ont créés les colonialistes : fournir de la main-d’œuvre bon marché aux racistes sud-africains ! Ainsi donc, deux cent mille Mozambicains travaillent dans les mines et dans d'autres emplois similaires pour les racistes sud-africains, et c'est aussi une source de revenus pour le Mozambique, l'un de ses modestes revenus. C’est un pays soumis au blocus : les racistes sud-africains refusent de lui fournir des pièces détachées dont certaines, de même que pour nous elles venaient du Nord, venaient pour eux traditionnellement du Sud, de l'Afrique du Sud. Et ils lui ont créé tous les problèmes possibles et imaginables. Voilà donc les moyens de vie du Mozambique.

Je crois que ça peut vous donner une idée de ce qu'a représenté le FRELIMO, de ce que représente le compañero Samora Machel pour nous. Cette visite est vraiment un grand honneur.

Nous offrons une certaine coopération aux Mozambicains, dans la mesure de nos forces. Comme nous sommes un petit pays, comme nous sommes aussi un pays sous-développé, quoique nous soyons dans de meilleures conditions que le Mozambique, ce que nous pouvons faire n'est pas énorme, mais nous essayons quand même de contribuer à quelque chose. Nous avons envoyé des médecins, des infirmières, des techniciens du sucre, de techniciens de l'élevage, de l'agriculture, de la pêche, de la construction, des transports, etc. Il y a au total trois cents Cubains travaillant au Mozambique dans ces branches, et ils seront bientôt un tout petit peu plus, environ quatre cents.

Nous mettons aussi à leur disposition toutes les expériences de la révolution – nous en avons déjà quelques-unes – ce qui peut leur éviter des erreurs ou accélérer leur processus. Nous leur offrons aussi des bourses d'études dans notre pays, dont ces quatre écoles où viennent des élèves du secondaire pour pouvoir se former rapidement dans notre pays jusqu’au jour où le Mozambique sera à même de construire des écoles en quantités égales ou supérieures à celles que nous bâtissons.

Nous coopérons avec eux dans l'arène internationale, nous sommes étroitement unis dans nos relations avec le camp socialiste et avec le mouvement révolutionnaire. Nous continuerons à lutter politiquement pour eux et à essayer de coopérer de toutes les manières possibles pour remplir ainsi un devoir internationaliste élémentaire (applaudissements).

Nous ne pouvons être égoïstes, nous ne pouvons tout désirer pour nous-mêmes. Nous avons déjà trois fois plus de médecins que ceux qui étaient restés après la victoire de la Révolution. Nous avons déjà plus de huit mille étudiants de médecine, trois mille se sont inscrits cette année, quatre mille s'y inscriront en 1980, et le nombre d'inscrits continuera à augmenter. Nous allons par exemple disposer de tous les médecins qu'il nous plaira d'avoir et, comme le dirait Guillén, nous aurons ce que nous devrons avoir entre médecins et techniciens. Et pas pour nous seuls. Nous partageons un petit peu nos ressources techniques avec d'autres pays qui sont dans de pires conditions que nous, pires, mais alors bien pires ! Il n'y a vraiment pas de comparaison possible entre le chiffre de médecins respectifs. Nous avons déjà 1 médecin pour moins de 1 000 habitants, à peu près un pour 900. Le Mozambique a reçu quelques médecins de l’étranger. S’il ne disposait que des quarante-cinq médecins dont j'ai parlé, ça leur en ferait 1 pour 200 000 habitants. Soit deux cents fois moins de médecins que nous. Différents pays ont envoyé des médecins, Cuba entre autres, et le chiffre de médecins se monte maintenant à 400, soit un médecin pour 25 000 habitants, qui s'occupent des hôpitaux, sauvent des vies et prêtent leurs services. Nous apportons nous aussi notre modeste contribution.

Je crois qu’il est très important que le monde entier se rende compte clairement de ce genre de situation et que tous les révolutionnaires et tous les hommes progressistes du monde se posent ce question écrasante et réellement tragique: comment va-t-on résoudre les problèmes des pays sous-développés qui forment l'immense majorité de l'humanité ?

Imaginez un peu ce que le Mozambique devra apprendre, comment il devra se préparer, avec 90 p. 100 d’analphabètes ! Et quand il doit construire une usine de n'importe quoi ! Vous savez bien ce que ça veut dire, construire une usine : il y faut des ouvriers qui conduisent les engins, les grues, des monteurs extrêmement qualifiés. Nous sommes passés par là et nous savons que c'est seulement au bout de plusieurs années que nous avons disposé de nos brigades de construction industrielle. Quand le Mozambique devra construire une petite usine, rien de plus, que de problèmes ! Et les équipements et les capitaux que ça exige ! La question que nous nous posons, celle que doivent se poser tous les hommes progressistes du monde, c'est la suivante: comment devons-nous travailler et comment va-t-on résoudre les problèmes du monde sous-développé ?

Je ne veux pas m'étendre davantage. Mon rôle ici était plutôt de présenter le compañero Samora Machel. Nous avons eu l’occasion de le connaître, et tous les compañeros de notre délégation ont été fortement impressionnés par son histoire, par son talent, par sa clairvoyance politique, par ses capacités de dirigeant. Nous l’avons vu là-bas avec les masses, nous avons vu comment il communiquait avec les masses. Les Mozambicains sont peut être plus bavards que nous et aussi un peu plus bruyants, et lui, de différentes manières, notamment en chantant, en scandant des slogans, en entonnant des chants révolutionnaires, il rétablit l'ordre. Je n'ai jamais vu de dirigeant qui parvienne à capter l'attention et à mettre de l'ordre dans un meeting avec plus d'habileté que lui (applaudissements).

Nous avons discuté ici pour savoir s'il fallait ou non un traducteur. À mon avis, le traducteur peut être près de nous, et s'il y a un mot qu'on ne comprend pas, il le traduit. Mais je crois que comme le compañero Samora Machel est très expressif, il ne va pas être difficile pour vous de le comprendre, et même s'il parle portugais, nous allons le comprendre.

Je cède donc la parole au compañero Samora Machel (applaudissements).

La patrie ou la mort !

Nous vaincrons ! (Ovation et la foule répè­te : « Nous vaincrons ! »)

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