Allocutions et interventions

Discours de Fidel Castro Ruz devant L’assemblée des Travailleurs des Autobus, Théâtre Chaplin, le 17 juillet 1962

Date: 

17/07/1962

 

Compañeros travailleurs du transport,

Cette assemblée devenait nécessaire. Ce n’est pas la première fois que j’ai une réunion avec vous, mais j’ai fait savoir au ministre du Transport que je souhaitais assister à celle-ci.

Il faut analyser un certain nombre de points en rapport avec votre travail et avec la question du transport en général, et les analyser en révolutionnaires et en travailleurs, les analyser et agir.

Je n’ignore pas que votre travail est dur et que vous devez le faire dans des conditions matérielles difficiles. Je n’ignore pas non plus qu’il existe un antagonisme entre le public et vous, entre vous et le public. J’ai dit que nous allions en débattre comme révolutionnaires et comme travailleurs (applaudissements). Il faut analyser jusqu’où le public a raison, lui, et jusqu’où vous avez raison, vous. Il faut que le public vous comprenne et que vous compreniez le public.

Tandis que le compañero Ávila parlait, j’observais vos réactions. Je dois vous avouer franchement – et je le commentais avec mes voisins – que votre assemblée et votre foule de travailleurs du transport me semblaient révolutionnaires (applaudissements).

Mais plutôt que d’en rester aux mots, il est facile de le démontrer. Par exemple, que ceux qui sont miliciens lèvent la main (la majorité le fait). Parfait. Une autre question qui prouvera vos liens avec la Révolution : que ceux dont un enfant, un frère ou un neveu est boursier du Gouvernement révolutionnaire lèvent la main (la majorité le fait).

Je pourrais poser comme ça des tas de questions qui prouveraient parfaitement et clairement vos liens avec la Révolution, votre intérêt pour elle. Que ceux qui avaient été licenciés et qui ont retrouvé du travail après la Révolution lèvent la main (une bonne partie le fait). Parfait. Ainsi donc, il est aisé de prouver le lien entre vos intérêts et ceux de la Révolution. Je m’explique donc parfaitement votre enthousiasme, votre combativité, votre esprit. Vous n’êtes pas une masse de bourgeois, mais de travailleurs. Et c’est à partir de là qu’il faut analyser les choses.

J’observais donc vos réactions. Quand le compañero Ávila signalait vos fautes, vous les acceptiez, mais sans vous manifester beaucoup. Mais quand il a signalé celles du public, alors, là, vous vous êtes levés, tout contents (applaudissements).

Ce serait pareil pour le public. Si, à votre place, on faisait venir cinq mille usagers du transport et que quelqu’un critiquait vos fautes, ces cinq mille se lèveraient sûrement et l’applaudiraient. Mais si ce même quelqu’un critiquait les fautes des usagers, il n’y aurait sûrement pas autant d’enthousiasme…

Des courants antagonistes se sont créés par incompréhension et pour des fautes évidentes aussi bien de vous-mêmes que des usagers. Et il faut chercher les causes de cette hostilité entre vous qui prêtez ce service et les usagers qui le reçoivent, et les combattre.

Bien entendu, une partie du problème vient d’une incompréhension mutuelle. L’expliquer, s’efforcer de la dissiper, voilà ce que tout le monde doit faire pour surmonter cette situation.

Mais bien d’autres problèmes ne sont pas aussi faciles à surmonter, ni même à comprendre. Nous avons encore beaucoup de défauts, nous n’en finissons pas, tant s’en faut, de nous mettre la Révolution dans le sang, nous sommes loin d’être tous de bons révolutionnaires, nous avons encore bien des défauts et nous ne sommes pas à cent pour cent à la hauteur de la Révolution que nous sommes en train de faire. Les travailleurs ont encore beaucoup à faire pour se perfectionner, ont encore beaucoup à apprendre, ont encore beaucoup de conscience à acquérir. Nos travailleurs traînent encore beaucoup de séquelles du passé, beaucoup de vices du passé. Chez nos travailleurs, il y a encore beaucoup d’individualistes, d’égoïstes, d’irresponsables, de gens qui vivent encore dans un monde qui n’est plus celui de la Révolution. Nous ne comprenons pas encore très bien la Révolution, car la comprendre est parfois plus difficile que de mourir pour elle, la comprendre est parfois plus difficile que de l’aimer.

Un instinct dit aux travailleurs que la Révolution est bonne, que la Révolution est leur libération, que la Révolution les hausse à leur vraie condition d’homme, d’être humain. Un instinct leur dit que la Révolution est juste. Mais seulement leur instinct, leur flair de classe, sans qu’ils parviennent pourtant à comprendre vraiment ce qu’est la Révolution et comment il faut la servir. Il est plus facile de dire : « Je suis révolutionnaire », ou « Je suis pour la Révolution », que de la comprendre vraiment. Pas seulement les travailleurs du transport, c’est le cas de bien d’autres secteurs.

Mais comme nous ne sommes pas des démagogues et que les travailleurs sont la classe révolutionnaire par excellence et qu’ils sont l’assise de la Révolution, il faut parler de plus en plus clair, raisonner toujours plus chaque jour. Vous ne traitez pas quelqu’un de la même manière quand il est un adolescent de quinze ans et quand il a trois mois. Il est donc temps que notre Révolution sorte de ses langes et enfile des pantalons.

Trois ans et demi de dure lutte révolutionnaire se sont écoulés depuis la conquête du pouvoir, et il faut parler toujours plus clairement aux travailleurs, car il est temps qu’ils assimilent les vérités de la Révolution, qu’ils en comprennent les lois et la quintessence toujours plus clairement.

Les ennemis, les classes ennemies de la Révolution, on les attaque avec toute la force de la vérité, on les combat sans trêve et on leur dit leurs quatre vérités sans ménagements. Mais les travailleurs, la classe révolutionnaire, il faut aussi, dans un sens différent et pour leur propre bien, leur parler clairement, leur dire la vérité, pour qu’il la comprenne, pour qu’il voie toujours plus nettement que la Révolution est leur destinée, qu’elle est leur vie, et qu’il faut être des révolutionnaires pas seulement en paroles, mais aussi en actes.

Mais il faut surtout finir par comprendre que la Révolution n’est pas une loterie, une tombola, un jeu de hasard, qu’elle est l’occasion, non d’hériter une vie heureuse, une vie pépère, une vie où tout abonde, mais de faire, de créer, de conquérir, et que sans ça nous n’aurons rien. Les travailleurs ont encore du pain sur la planche, ils ne peuvent être faibles, imprévoyants, irresponsables, car c’est dans ces faiblesses-là que leurs ennemis mettent leur espoir (applaudissements), dans leur inculture, dans leur inconscience. C’est là que les ennemis des travailleurs, les classes privilégiées placent leur plus grand espoir pour en refaire des exploités.

Nous devons savoir utiliser dignement la Révolution, l’occasion qu’elle signifie. Il ne suffit pas d’exprimer tout bonnement notre sympathie envers ceux qui sont tombés, de se mettre debout quand on évoque le souvenir de ceux qui sont morts pour créer justement cette occasion, parce que ce n’est pas suffisant, ce n’est pas ainsi qu’on rend hommage à ceux qui se sont sacrifiés. On leur rend un hommage permanent par sa conduite, par son attitude, par son travail.

C’est un crime de gaspiller toutes les occasions que nous offre la Révolution, d’agir contre les intérêts mêmes des travailleurs, de faire le jeu de leurs ennemis. Car l’espoir des exploiteurs d’hier est que les travailleurs ne sachent pas utiliser leur grande occasion et retombent sous leur joug.

L’ouvrier, qui était autrefois sous la coupe d’un contremaître, qui touchait un salaire de misère et qu’on jetait à la rue quand il ne travaillait pas au maximum, ou l’ouvrier agricole qui savait que, s’il ne faisait pas le maximum d’effort, il se retrouvait sans travail à la morte-saison parce que les propriétaires terriens et les patrons choisissaient ceux qui rendaient le plus au travail, et qu’il devait s’efforcer au maximum pour ne pas mourir de faim ; ou l’ouvrier du bâtiment ou celui de n’importe quel secteur qui devait mendier un emploi, ou qui, pour trouver du boulot sur un chantier, devait passer par un recruteur de parti ou passait le gros de son temps au chômage, l’ouvrier qui avait le fouet du contremaître sur le dos et la faim au ventre, qui devait travailler pour ses exploiteurs et que la société capitaliste condamnait à la faim et à la misère s’il ne le faisait pas au maximum, cet ouvrier, donc, dont le travail est maintenant assuré et digne, qui ne vit plus sous la menace du fouet ni sous celle de la faim, et qui, pourtant, au lieu de travailler plus qu’avant, travaille maintenant moitié moins, eh ! bien, il conspire inconsciemment contre son avenir et forge le joug que ses exploiteurs d’hier veulent de nouveau passer à son cou.

Quand une partie des travailleurs ne comprend pas ça, quand des travailleurs agissent comme ça, ça veut dire tout simplement qu’ils ne sont pas à la hauteur de la Révolution, qu’ils conspirent inconsciemment contre leurs intérêts de classe et contre ceux des meilleurs travailleurs.

Il faut donc, dans l’intérêt de la Révolution et d’eux-mêmes, que les travailleurs, qui ont le pouvoir, adoptent les mesures nécessaires pour surmonter les déficiences, autrement dit les séquelles, les vices du passé.

Bien entendu, les travailleurs doivent être l’avant-garde, et celle-ci doit donc posséder un esprit fort, un esprit en état d’alerte et une grande capacité de sacrifice. En effet, de nombreux privilèges sociaux survivent encore, qui là encore sont l’héritage d’une société qu’on ne peut transformer du jour au lendemain. Mais nous devons nous imposer à ces privilèges qui persistent, faire en sorte que les travailleurs, par leur esprit, surmontent l’influence négative des parasites qui subsistent encore dans notre société, surmontent l’embourgeoisement qui existe encore, ainsi que les vices, les déficiences que nous avons hérités. Les travailleurs doivent lutter contre ce mauvais héritage.

Et ici, devant ce secteur de travailleurs, je n’hésite pas à poser ces questions. L’histoire de ce secteur, vous la connaissez mieux que quiconque ; les vices de la politicaillerie et de la corruption du passé, vous les connaissez mieux que quiconque.

Vous savez comment fonctionnaient les entreprises de transport, comment les syndicats avaient été noyautés, comment on vendait très souvent des postes de travail, comment les politiciens utilisaient ces postes pour faire de la politique, comment des dirigeants jaunes et vénaux, à coups de sinécures et de monopole des chances d’emploi, recourant à la force et à la coercition, contrôlaient l’organisation syndicale de votre secteur. Ce n’était pas comme maintenant, quand des jeunes gens ont l’occasion d’aller à une école, quand, loin de vendre des postes de travail, l’État donne un enseignement à un jeune pendant de longs mois, dépense des centaines de pesos pour le former et lui garantit un emploi.

Que de difficultés et de vicissitudes ont dû connaître de nombreux travailleurs de votre secteur pour trouver un emploi ! Qu’ils auraient été heureux si on leur avait donné des cours dans une école et si on leur avait garanti un emploi, au lieu de devoir le quémander à quelqu’un, de devoir acheter la carte d’un parti, de devoir voter pour quelqu’un, de devoir frapper à la porte d’un politicien, d’un gangster, d’un dirigeant syndical véreux !

Beaucoup d’ouvriers qui ont trouvé un emploi de cette manière sont pourtant aujourd’hui, nous le savons, de bons travailleurs, de bons révolutionnaires, car ils avaient dû en fin de compte accepter les conditions de cette époque-là pour pouvoir vivre.

Mais que c’est amer, pour gagner son pain, de devoir parcourir ce calvaire ! Que c’est amer ! Et quelle différence avec aujourd’hui pour trouver un emploi dans votre secteur ! Que de possibilités offertes ! Quelle façon de faire honnête et morale !

Mais ce ne sont peut-être pas ces méthodes qui ont fait le plus de mal à la conscience ou à la morale des travailleurs de votre secteur, sinon la corruption systématique, le vol converti en une norme pour beaucoup d’entre vous.

Quelle pitié ! Qu’elle est corrompue, une société, quand elle convertit la délinquance, le délit, le vol, en une façon de vivre de celui qui aspire à vivre honnêtement de son travail !

Tels étaient les fruits de cette société-là, de cette société de voleurs, de cette société de classes délinquantes qui vivaient en exploitant et en volant les travailleurs. Dans cette société-là, voler n’était pas un crime, et il est logique que les défauts, les vices, la corruption de cette classe aient fait tache d’huile chez les travailleurs.

Le vol des recettes – peut-on en parler ici ? (cris de : « Oui ! ») – le vol des recettes était pratiquement une habitude pour beaucoup de travailleurs de votre secteur.

N’empêche que des travailleurs qui volaient à cette époque sont maintenant des travailleurs absolument honnêtes et révolutionnaires (applaudissements). En tout cas, dans cette société-là, le vol était devenu une habitude, sans doute avec cette excuse que si vous volez un voleur, ce n’est pas un vol !

Heureusement, fini le vol dans notre pays! Ici, ça volait partout : dans tous les ministères, dans toutes les affaires. Vous avez des fonctionnaires qui devenaient millionnaires. Allez savoir combien de gens sont devenus riches grâce au jeu, qui est aussi une façon de voler le peuple, au détournement de fonds, aux affaires louches, ou alors en mettant tout simplement la main dans le trésor public. Celui qui ne volait pas dans l’administration publique volait comme propriétaire d’une usine ou d’une affaire, puisqu’il volait aux travailleurs les fruits de leur travail.

La Révolution a mis un terme à tous ces genres de vol, sur tous les fronts, dans tous les secteurs, et elle devait aussi lutter encore plus dur contre n’importe quelle manifestation de corruption chez les travailleurs. Elle devait le faire. Quel citoyen de notre pays, quel homme ou quelle femme de notre peuple, quel travailleur honnête pourrait s’y opposer ?

Votre secteur, comme d’autres, a été victime des vices du capitalisme. Dans d’autres secteurs, c’étaient des privilèges familiaux qui s’étaient instaurés. Le capitalisme s’efforçait de corrompre les travailleurs, parce qu’une classe ouvrière corrompue, divisée, ne sera jamais très redoutable pour les exploiteurs.

Il est donc logique que ce système de corruption et de vices, que toutes ces méthodes aient laissé des traces, des gens mécontents, des gens corrompus, des gens incapables de rectifier. Beaucoup ont rectifié, c’est sûr, mais beaucoup d’autres ne l’ont pas fait et ne le feront jamais.

Mais détrompons-nous : beaucoup de ces défauts et de ces déficiences ne sont pas des attitudes contre-révolutionnaires. Il y a des tire-au-flanc, des irresponsables, des gens qui préfèrent le système d’avant parce qu’ils pouvaient voler. En tout cas, ce n’est pas une question de contre-révolution, mais de corruption irréversible, de dégénération.

Bien entendu, le type corrompu, dégénéré tend à militer dans la contre-révolution, qui se nourrit de toute cette lie (applaudissements). Pensez-y bien : les propriétaires terriens, les banquiers, les gros industriels, les flambeurs, les politiciens, les nervis, les prostituées, les proxénètes et les délinquants forment aujourd’hui une seule légion (applaudissements). Tous ces gens-là s’unissent comme par un aimant : la Révolution les repousse, la contre-révolution les attire. Avec autant de force. Et ces gens existent encore dans votre secteur. Mais il est probable qu’ils ne sont pas venus à cette assemblée…

Mais c’est aussi votre faute. Vous savez pourquoi ? À cause de votre indolence, parce que vous les avez acceptés comme la chose la plus naturelle du monde. Résultat ? Le peuple a une très mauvaise opinion de vous. Et il met tout le monde dans le même sac, même les bons travailleurs, ceux qui font leur travail, ceux qui sont révolutionnaires et qui sont la majorité sans aucun doute.

Et ça, ce n’est pas notre affaire. Si, c’est en partie notre devoir, mais c’est aussi en grande partie le vôtre, parce que ça ne peut faire plaisir à aucun de vous, à aucun travailleur honnête, sérieux, dévoué, qui fait un dur métier, que le peuple ait une mauvaise opinion de lui.

Mais c’est vous, en premier lieu, qui devez batailler pour épurer votre secteur des travailleurs corrompus, dégénérés, négatifs (applaudissements), qui infestent l’ambiance, qui démoralisent votre secteur. C’est vous ! Et votre effort pour que le public vous comprenne mieux ne donnera pas les meilleurs résultats tant que vous ne réagirez pas, en tant que travailleurs des transports, et que vous n’aurez pas fait un effort sérieux pour éliminer de vos rangs ces individus négatifs, qui démoralisent votre secteur et le discréditent.

Je ne cache pas mon étonnement quand j’ai entendu le compañero Ávila dire que celui qui faisait ça passait devant une commission et qu’on l’envoyait là, et puis encore là, et encore là, et que l’on envoyait finalement faire des travaux agricoles. Je me disais : avant qu’on l’envoie faire des travaux agricoles, il a bousillé au moins dix bus. Alors, je me demande s’il ne serait pas mieux de l’envoyer dès le départ dans l’agriculture (applaudissements).

Quel travailleur honnête, quel bon travailleur, sincère envers lui-même pourrait-il s’inquiéter de l’existence de normes de discipline sociale, s’inquiéter qu’on ait la main dure contre ceux qui ne servent à rien, qui sont une entrave à la classe ouvrière, à la nation, qui sont des ennemis des meilleurs intérêts des travailleurs, qui sont des traîtres à la classe ouvrière, qui sont des agents de l’ennemi ? (Applaudissements.) Quel travailleur honnête, quel bon travailleur pourrait s’en inquiéter ?

Au contraire, les bons travailleurs – qui sont l’immense majorité – les travailleurs honnêtes, justes, qui sont capables de penser sereinement, sans détour, d’une façon patriotique, qui estiment y gagner, comprennent qu’il est indispensable de retrouver ou de gagner la sympathie, l’estime du peuple dont ils font partie. En effet, l’antagonisme le plus insensé, c’est bien celui qui existe entre vous et les usagers, car c’est un antagonisme entre gens du peuple, entre travailleurs, un antagonisme non entre parasites et travailleurs, non entre exploiteurs et travailleurs, mais entre travailleurs, entre gens du peuple. Comment ne serions-nous pas capables de surmonter cet antagonisme ? Nous ne serions pas grand-chose, nous ne serions pas très dignes de la Révolution si nous n’en étions pas capables ! Ce n’est pas un antagonisme insurmontable, irréconciliable comme celui qui oppose exploiteurs et exploités. Nous devons tout simplement mettre la main à la pâte, prendre toutes les mesures, donner toutes les explications nécessaires pour le surmonter.

Bien, cessons de parler du mauvais travailleur, du travailleur corrompu, du contre-révolutionnaire, et passons aux défauts des bons travailleurs (applaudissements).

Entre autres, l’absentéisme, la mauvaise éducation, la mauvaise humeur et, de temps à autre, mais pas à des fins contre-révolutionnaires, loin de là, par paresse ou par n’importe quoi d’autre, la négligence envers son véhicule, ne pas faire attention à l’huile, ou aux bielles, ou à l’eau, bref, la négligence qui, sans être une faute contre-révolutionnaire, en est une contre la production. Ça, ce sont les défauts de bons ouvriers.

Avila disait qu’il était allé voir ceux qui s’étaient absentés le lundi parce qu’il croyait que c’était des contre-révolutionnaires, mais il a découvert que c’étaient des miliciens, des révolutionnaires et même des ouvriers exemplaires. Je me demande comment on peut les élire comme exemplaires s’ils sont absentéistes ! (Applaudissements.) En tout cas, quand il est allé voir sur place, il a découvert « avec une grande tristesse », nous a-t-il dit… et moi, alors, j’ai pensé qu’il avait découvert que la plupart était des contre-révolutionnaires... Eh ! bien, non, il a découvert que c’étaient des révolutionnaires…

Et ça, ce sont les défauts des bons révolutionnaires.

Je vous parle en toute franchise… Vous dites ? (Quelqu’un du public lui parle.) Je sais que chauffeur de bus, c’est un travail très dur (applaudissements). Je ne l’oublie pas, croyez-moi, c’est même pour moi un des plus durs, surtout que vous devez transporter autant de passagers avec moins de bus. Les chiffres sont éloquents. Bien entendu, si c’était la première année de Révolution, je n’aurais que des éloges à vous faire compte tenu du nombre de passagers que vous avez transportés. Mais nous sommes à trois ans et demi, quatre ans de Révolution, et je ne peux pas vous faire de grands éloges. Vous savez pourquoi ? Parce que ce qui est un grand mérite la première année en est un tout petit la quatrième année (applaudissements), et que nous ne pouvons pas nous en contenter. Nous serions bien avancés si nous contentions des statistiques : tant de passagers de plus avec moins de bus, mais que les usagers continuent de se plaindre et que l’antagonisme dont je parlais s’accroisse. Nous serions bien avancés !

À mesure qu’elle avance, à mesure que la lutte se fait plus dure, à mesure qu’elle grimpe de nouvelles marches, la Révolution exige plus, et toute la société est plus exigeante. Et le citoyen qui, voilà cinq ans, ne s’étonnait pas qu’on le descende à un coin de rue ou qu’on lui dise des gros mots, s’en étonne maintenant, s’indigne, se révolte, parce que toute la société est plus exigeante, et c’est très bien qu’elle le soit. Vous-mêmes, vous êtes aussi plus exigeants en ce qui concerne les autres services, parce que nous le sommes tous, et que les choses qu’on comprenait et qu’on acceptait comme des défauts la première année de Révolution, nous ne les tolérons plus la quatrième.

Les chiffres indiquent un gros effort, c’est sûr, une bonne augmentation de la productivité, mais nous ne devons pas nous contenter de ça. Car, malgré tout, cet antagonisme entre le public et vous existe. Il faut donc chercher des remèdes aux différents problèmes, car, si malgré tous les défauts et l’absentéisme vous avez atteint cette productivité, pensez un peu à ce que vous pourriez faire si vous pouviez éliminer ces maux et ces vices ; si, malgré la négligence envers les bus et les individus qui les font tomber en panne à dessein, vous avez atteint cette productivité, que n’auriez-vous pas obtenu sans ça !

Les chiffres indiquent une augmentation énorme de transport de passagers : en six mois, vingt millions de plus que l’an dernier… Non, onze millions en trois mois, au niveau national. Laissez-moi vérifier. Voilà : 11 084 500 passagers de plus entre le premier trimestre de 1961 et le premier trimestre de 1962 ; entre les deux trimestres, ça doit faire entre vingt-deux et vingt-trois millions de passagers de plus.

Si nous avions des milliers d’autobus, les défauts dont j’ai parlé ne seraient pas si graves. Le hic, c’est que, justement, nous n’en avons pas assez, ce qui nous oblige à surmonter les déficiences. En effet, si avec moins d’autobus, nous devons transporter plus de passagers, comment y arriverons-nous si nous ne surmontons pas tous les défauts qui existent dans votre secteur, les problèmes d’absentéisme, de mauvais entretien des véhicules et tous les autres défauts ? Nous ne devons donc pas en rester aux chiffres, justement à cause des circonstances que traverse notre pays : en effet, un des points où l’ennemi s’est le plus efforcé de nous frapper, c’est de nous empêcher d’importer des pièces de rechange dans le transport, autrement dit un point vital.

Donc, si le transport est vital, si l’ennemi tâche de nous frapper dur dans ce domaine, il faut que les employés du transport soient les meilleurs travailleurs. Dans une guerre, si l’ennemi s’efforce de détruire votre point vital, vous devez lui opposer les meilleurs bataillons, les meilleurs soldats, les meilleures unités. De même, nous ne pouvons pas faire face à cette action de l’ennemi dans le transport avec des gens de la cinquième colonne, avec des gens corrompus dans vos rangs (applaudissements).

Tout ça pour vous dire que, malgré les chiffres et vos efforts et l’augmentation de passagers, nous ne pouvons pas être satisfaits. Les chiffres indiquent un effort, mais ils sont aussi le meilleur argument pour nous prouver que nous devons épurer vos rangs et rectifier les erreurs.

Croyez-vous que le peuple ne le comprendrait pas ? Soyez sûrs qu’il est capable de le comprendre parfaitement. Il suffit de le lui expliquer. Et le peuple le comprendra s’il vous voit faire les plus gros efforts, faire tout votre possible avec ce que vous avez. Demain, dans l’abondance, il sera inutile d’exploiter au maximum ce que nous avons, mais, aujourd’hui, oui, nous devons le faire et exploiter nos ressources au maximum.

Mais il ne suffit pas de corriger les défauts qui existent parmi les travailleurs. Il faut corriger les problèmes d’organisation, faire le même effort dans les entreprises, adopter les mesures pertinentes. Il faut commencer à penser à des solutions pour récupérer tous les équipements qui ne fonctionnent pas faute de pièces de rechange.

Comme vous le savez, nous avons recouru à d’autres moyens : camions, camionnettes, etc. Bien mieux, une certaine quantité d’équipements nouveaux arrive à bien des endroits, surtout en province. Mais le Gouvernement révolutionnaire doit faire quelque chose, parce qu’il n’y a pas d’autre solution, pour faire fonctionner tout ce que nous avons, tout en essayant d’acquérir plus d’équipements. Mais, pour l’instant, faire fonctionner ce que nous avons.

Nous avons demandé au ministère une étude complète sur tout ce qu’il nous manque. En plus, reste la question de l’usine de pièces détachées, surtout de couronnes et de pignons, au sujet de laquelle il faut prendre des décisions urgentes. L’expérience nous a appris que, chaque fois que nous voulons résoudre un problème, nous le faisons d’une façon ou d’une autre.

Il suffit donc de nous colleter avec la question du transport avec tout le sérieux qu’exigent les circonstances. Et ça, ça incombe aux organismes de planification et au Gouvernement révolutionnaire.

Celui-ci va faire tout son possible – parce qu’il faut parer le coup ennemi – pour garantir la maintenance de tous les équipements que nous avons. Et là, nous avons perdu du temps parce que, dès le début du blocus, la première chose que nous aurions dû faire c’était de régler d’urgence la fabrication de pièces détachées.

Les travailleurs ont réglé des tas de problème, je le sais bien (applaudissements), et leur ingéniosité a fait des merveilles, mais ils ont été limités par les machines-outils et les équipements dont ils disposaient pour fabriquer des pièces. Mais si l’immense majorité de nos équipements étaient américains et s’ils interrompent la livraison de pièces, nous aurions dû résoudre en premier la question de leur fabrication. Nous n’avons pas agi avec la rapidité et dans la direction qu’il fallait. Et maintenant, nous devons le faire.

Bien entendu, on était déjà en train d’étudier des solutions et de prévoir des usines, mais il faut maintenant trouver des solutions plus urgentes. Et nous allons les trouver, soyez-en sûrs.

Mais vous et moi nous aurions perdu ici notre temps si nous n’abordons pas certaines mesures absolument nécessaires. J’en viens donc au chapitre plaintes du public et plainte des travailleurs.

Plainte du public et de l’administration : s’arrêter hors des arrêts ; enregistrer tous les passagers ensemble, ce qui permet d’en oublier certains ; encaisser sans l’enregistrer ; ne pas encaisser ; absentéisme, surtout le lundi, journée de plus d’affluence, le vendredi et le dimanche ; insulter les passagers ; peu de soins du matériel roulant ; griller les vitesses à dessein, autrement dit, rouler trop longtemps en première et en seconde ; excès de vitesse ; déboîter sans avertir ; ne pas respecter les horaires, si bien que les bus peuvent ne pas passer pendant une heure ou deux ; toucher un salaire sans travailler, ce qui est connu habituellement comme la « planque » ; chauffeurs qui détraquent leur véhicule pour ne pas avoir à travailler ; fonctionnement défectueux des commissions de réclamations, faute d’instructions dans ce sens, ou par fausse camaraderie, par manque d’autorité et d’appui, ce qui entraîne des négligences et des faiblesses quand il faut punir ; saleté des véhicules ; absentéisme des travailleurs dans certains ateliers ; travailleurs d’ateliers qui produisent bien moins, maintenant que l’entreprise est propriété de tout le peuple, que quand elle était privée. Enfin, la question des mécaniciens par avancement, un problème qui a causé des difficultés et des déficiences dans certains ateliers, quelque chose qui paraît invraisemblable dans une révolution de travailleurs, à moins que nous ne comprenions tout à l’envers et que nous voulions faire une révolution de travailleurs en utilisant des méthodes de la société capitaliste. Depuis quand devient-on mécanicien au tableau d’avancement  alors qu’on ne l’était pas avant ? Depuis quand acquiert-on une capacité technique par simple avancement ?

Tous ces problèmes existent, et nous ne devons pas avoir peur de les soulever. Nous serions bien avancés si nous ne parlions pas de ces choses-là, qui sont claires, qui sont logiques, et si nous ne les affrontions pas !

Mais il y a d’autres réclamations au sujet des bus. Ne pas respecter les arrêts alors que le bus n’est pas encore plein ; s’arrêter cinq ou six mètres avant ou après les arrêts pour faire descendre les passagers ; déboîter sans avertir ; chauffeurs à l’arrêt qui ne peuvent pas repartir parce qu’ils ont un véhicule devant et qui n’ouvrent pas la porte alors que d’autres gens pourraient monter ; chauffeurs qui, pour profiter du feu vert, ralentissent puis repartent à toute vitesse sans s’arrêter à l’endroit prévu ; chauffeurs qui prennent du retard sur leur itinéraire régulier, si bien que les bus s’accumulent les uns derrière les autres et que les passagers s’entassent aux arrêts ; chauffeurs qui s’arrêtent n’importe où pour prendre un café ; chauffeurs qui vont très lentement et tardent à repartir…

Bien entendu, on cherche des justifications à tous ces actes arbitraires, comme l’excès de passagers, l’excès de circulation, le mauvais état des bus, etc. Et c’est parfois vrai, d’ailleurs.

Chauffeurs qui maltraitent les bus en faisant grincer les vitesses, en freinant brusquement, en zigzaguant, en accélérant violemment, en n’essayant pas d’éviter les trous ou, si ce n’est pas possible, en passant dessus sans freiner.

En ce qui concerne les contrôleurs, la plupart des réclamations concernent l’encaissement. Dans certains cas, il y a des contrôleurs qui ne font aucun effort pour faire payer, même si le passager insiste et leur fait signe. Vous savez tout ça.

« Critiques adressées aux passagers. 1) Le passager qui arrive en courant à l’arrêt, crie : "Attendez-moi ! Attendez-moi" », qui monte par la porte arrière et crie au chauffeur : "Vous allez bien à la Vieille-Havane !" (Rires.) 2) Le passager qui, une fois la porte avant fermée et celle de derrière ouverte, s’entête à monter par la première. 3) Le passager qui refuse d’avancer dans le couloir pour que d’autres puissent monter. 4) Le passager qui crie au chauffeur : "Le prochain arrêt !" puis, une fois le bus à l’arrêt, s’exclame : "Non, non, c’est le prochain ! " 5) Le passager distrait qui va à la rue Belascoaín (rires) et s’en prend au chauffeur quand il se retrouve dans la rue Galiano : "Pourquoi vous ne m’avez pas averti ?" 6) Le passager qui, alors que le couloir est vide, s’entête à rester devant la porte et empêche les autres de monter et de descendre. 7) Le passager qui fait tout pour ne pas payer. » (Rires et applaudissements.)

Vous voyez ? Vous applaudissez à ce qu’on dit contre le public, mais pas à ce que le public dit de vous !

Voilà donc les réclamations. Certaines sont vraies, c’est sûr, même si vous avez transporté bien plus de passagers, comme le confirment les chiffres. Mais ce n’est pas tout : il y a aussi le problème des réparations, le soin qu’il faut prendre des équipements, la remise en marche des bus en panne. C’est de là aussi qu’il faut partir.

Personne ne peut protester si le chauffeur dont le bus est archibondé ne s’arrête pas à l’arrêt. Mais quand il ne l’est pas ? Personne non plus ne peut exiger de vous plus que vous faites actuellement, mais il y a d’autres problèmes qui n’ont rien à voir avec un bus bondé ou s’il tombe en panne. Il y a le problème de l’absentéisme, et ça, c’est mauvais. Parfois, les bus sont là, mais il n’y a pas de chauffeur, ou pas de contrôleur… Ça arrive.

Quand j’ai lu : « Toucher un salaire sans travailler, ce qui est connu habituellement comme la "planque" », vous avez ri. Vous savez, je me rappelle très bien la première réunion, une vraie lune de miel, que nous avons eue au début de la Révolution et où je me suis fait votre avocat. Et maintenant, je me sens coupable. Pourquoi ? Parce que, compañeros, quand on n’a pas encore atteint un certain degré de conscience, certaines choses qu’on fait au profit des travailleurs deviennent préjudiciables pour eux et pour le peuple.

Beaucoup de gens, vous le savez, abusent du congé de maladie. En accord avec les travailleurs, la Révolution a modifié le principe de neuf jours maximum pour celui d’autant qu’il le faut. Car il est inconcevable qu’un travailleur, s’il est vraiment malade pendant trois mois, par exemple, ne soit payé que neuf jours. C’est inhumain. On a donc changé ce délai… Qu’est-ce que vous dites ? (On s’adresse à lui du public.) Ne parlez pas tous à la fois ! Non, je ne sais pas, tout ce que je sais, c’est dans cet esprit-là que cette norme a été modifiée : si un travailleur tombe vraiment malade pendant neuf mois au lieu de neuf jours, il touche sa paie. C’est dans cet esprit-là que ça a été fait, et c’est bien que ce soit comme ça, et je crois sincèrement que tout travailleur doit pouvoir jouir de cette garantie. Et si elle n’existe pas dans votre secteur, eh bien ! je saisis l’occasion de voter pour elle (applaudissements prolongés)

Cette question du congé de maladie, c’est une conquête, un bénéfice extraordinaire pour la classe ouvrière, une garantie pour chaque travailleur de savoir qu’il touchera sa paie même s’il tombe malade. Oui, mais que s’est-il passé ? Que l’individu corrompu transforme cette mesure avantageuse en un vol, parce qu’il trouvera toujours un médecin pour lui faire un certificat. Et vous avez des gens qui se soûlent le dimanche et qui se font faire un certificat médical le lundi (exclamations).

C’est contre ces vices-là que doivent se battre les travailleurs, parce que, sinon, n’importe quelle mesure collective qui les avantage se transforme en un vice, sème la corruption et la démoralisation.

Toucher sa paie même quand le bus est en panne a été une source de fraude. Vous voulez que je vous dise sincèrement ? En bien ! ç’a été une mesure inappropriée, et je vous demande de la réviser (applaudissements). Si vous, les ouvriers, vous êtes d’accord, alors, éliminons-là ! (Applaudissements et exclamations.)

Je vous félicite, compañeros, je vous félicite sincèrement, parce que vous avez eu un geste vraiment correct, vraiment révolutionnaire. Quand faudra-t-il réimplanter cette mesure, cet avantage ? (Dans le public, on lui dit quelque chose.) Je veux parler de… Il faut faire ce que vous proposez, mais à l’avenir, quand nous seront plus organisés, quand le sens du devoir sera plus élevé, alors, nous serons en condition d’adopter des mesures avantageuses… (Dans le public, on lui dit quelque chose.) C’est quoi, ce cas ? Non, on n’a pas parlé de ce cas… Alors, venez, venez en parler ici…

UN OUVRIER.  Compañeros, la proposition du compañero Fidel… Moi, en tant que compañero qui ne me sent pas très révolutionnaire, mais qui a en tout cas charge de famille, je me demande : la « planque » est illégale, elle ne devrait pas exister, c’est honteux, je dis même que c’est un vice parmi les travailleurs, mais je me demande : qu’est-ce qu’on fait avec un compañero qui arrive pour prendre un bus en charge, l’avant-dernier ou le dernier de la journée, et qui, quand il va le faire, se rend compte qu’il n’y en a pas et qu’il ne pourra pas ramener de l’argent chez lui…

AVILA.  Je crois que le compañero Pedro a tout à fait raison et qu’il faut faire une différence entre la planque permanente et la planque occasionnelle. Si j’ai bien compris, le compañero Fidel parle de supprimer la planque permanente qui dure parfois des jours, des semaines, des mois… Mais nous estimons, et le compañero Fidel sera sûrement d’accord avec nous, que si un chauffeur vient prendre son bus en milieu de matinée ou à midi et qu’il n’y en a pas de disponible, il doit toucher sa paie. C’est juste.

FIDEL CASTRO. Une question : est-ce qu’il ne peut pas travailler à autre chose ?

AVILA. Non, il ne peut pas.

FIDEL CASTRO.  Attendez, que quelqu’un d’autre vienne ici. Non, toi, ne pars pas.

UN OUVRIER.  Compañeros, je ne suis pas un modèle de vertu, je travaille ici depuis à peu près autant d’années qu’en a le compañero Fidel. Je n’ai jamais gagné de l’argent sans rien faire, je ne me suis jamais absenté de mon travail et j’accumule le plus d’heures de travail mensuel, comme peut le vérifier le secrétaire général du syndicat, et j’ai des raisons pour ça, parce que j’ai sept enfants (applaudissements). J’en ai un qui fait maintenant des études de médecine à l’université de La Havane, trois qui sont au lycée, et je l’ai récompensé en lui payant un voyage dans tous les pays socialistes, et il vient de rentrer, le 29, grâce à mon effort et à mon sacrifice.

Le gouvernement n’a pas eu besoin de me donner un appartement de ceux qui sont partis, parce que j’en ai construit un avant par mes propres efforts.

Je dis que le compañero a raison, parce que je rencontre ce même problème : dans les anciens Autobus alliés, qui sont devenus des transports nationaux, on utilise une méthode, ou un système différent de l’entreprise où on travaille, nous ; autrement dit, chez Autobus alliés, par ancienneté, les gens signent leur entrée au travail, comme nous ici, mais il se trouve qu’un type, qui a plus de quarante ans d’ancienneté et qui a trois, quatre, cinq, huit, neuf, dix ou onze enfants, signe pour commencer à midi, mais il découvre qu’il n’a pas de bus. Alors, oui, c’est illégal, c’est immoral de gagner de l’argent sans travailler ! Mais dans quelle situation se retrouve un père de famille qui vient travailler, mais qui n’a pas de bus et qui ne peut pas toucher sa paie le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, et qui, quand arrive le samedi, ne peut pas toucher sa paie ? (Exclamations.)

FIDEL CASTRO.  Compañeros, quand je parlais de gagner sans travailler, je ne voulais pas… En tout cas, si je me souviens bien de l’esprit dans lequel on a soulevé ce point, c’est que l’ouvrier ne souffre pas les conséquences de causes qui sont indépendantes de sa volonté, de choses contre lesquelles il ne peut rien.

Mais je dis qu’il faut prendre des mesures pour éviter que les gens en profitent, autrement dit pour éviter des conduites frauduleuses. Je ne connais pas assez la question pour entrer dans cette question, mais je pense à celui qui sabote volontairement son bus, à toutes ces choses-là, je pense aux cas qui sont vraiment frauduleux. Le syndicat et le ministère doivent adopter des mesures pour éviter cette paie frauduleuse.

Dans le cas d’un ouvrier qui arrive au travail et pour lequel aucun autobus n’est disponible, je crois qu’il faut lui garantir sa paie, parce que ce n’est pas sa faute (applaudissements). C’est comme ça que je comprends les choses. Quand je vous ai proposé de supprimer la « planque », je ne pensais pas à ça : quand un ouvrier ne peut pas travailler sans que ce soit absolument de sa faute, alors il est correct qu’il touche sa paie. Pour moi, c’est élémentaire. Mais je pensais aux cas où la faute revient de toute évidence à l’ouvrier, ou qu’il a quelque chose à voir avec. À mon avis, le syndicat et l’entreprise doivent étudier la question en toute responsabilité et adopter des mesures pour éviter la « planque ». Si l’ouvrier n’est pas fautif, alors ce n’est pas de la planque. Le cas qu’a évoqué votre compagnon, je le comprends très bien.

Le problème, c’est que la liste que je vous ai lue cite des tas de cas : griller les vitesses, saboter l’autobus… Les mesures que prendra le ministère en accord avec le syndicat doivent vraiment garantir que l’ouvrier ait un droit légitime et empêcher toute paie frauduleuse, illégitime. Je ne peux pas en dire plus, parce que je ne sais pas comment ça fonctionne. Ça incombe au syndicat et à la direction.

En revanche, s’il y a un point qui est pour moi très clair, c’est l’absentéisme, qui est un des pires problèmes et contre lequel il faut prendre des mesures. Beaucoup ne vont pas travailler le lundi, mais travaillent double le mardi. Et je vais être franc : là oui, c’est la faute du syndicat et du ministère ! C’est tout bonnement absurde. Et si vous ne modifiez pas ce système, vous ne réglerez pas le problème. À moins que vous ne preniez de mesures, ce n’est pas par de simples arguments, que vous vous en sortirez. Détrompez-vous.

Et là, j’ai une proposition à vous faire. Tout d’abord, il est absurde que le travailleur n’ait pas un seul jour de repos dans la semaine (applaudissements) ; c’est absurde, et ça entraîne l’absentéisme. Il vous faut chercher une solution, combiner assistance et repos. Ma proposition est donc la suivante : pour travailler double dans la journée, il faut que vous imposiez des conditions. Je sais que celui que ne vient pas travailler le dimanche n’a pas le droit de travailler double le lundi. Certains même ne viennent pas travailler le dimanche et le lundi, et travaille double le mardi, le mercredi et le jeudi. C’est une mauvaise plaisanterie. Vous devez poser comme condition que celui qui ne travaille pas six jours par semaine ne peut pas ensuite travailler double (applaudissements). Donc, la condition, ça devrait être que, pour travailler double, il faut travailler six jours par semaine et, en plus, avoir une assiduité d’au moins 90 p. 100 (applaudissements). Il vous faudra décider quel système utiliser pour répartir ces six journées contre un jour de repos. La paie uniquement pour celui qui travaille six jours (applaudissements).

Tout ça, au profit du travailleur qui travaille et qui dépend vraiment de son travail. Parce que certains en ont deux ou trois. Donc, le bon travailleur qui remplit ses obligations touche sa paie et a droit à un jour de congé hebdomadaire (applaudissements), mais à une condition : qu’il travaille six jours.

Les détails, je vous les laisse. Qu’est-ce qui aura le droit de travailler double ? Celui qui travaille les six jours. S’il veut travailler un jour, ou deux ou trois, parce qu’il a besoin de cet argent, libre à lui.

UN OUVRIER. Et les remplaçants, Fidel ?

FIDEL CASTRO.  Euh… ne me posez pas des questions sur des points que je ne maîtrise pas ; c’est à vous de l’examiner. Parce qu’il y a des remplaçants ici ? (Cris de : « Oui ! ») Je n’ose y croire! Oui, mais alors très peu… (exclamations). Mais alors, s’il y a tant de remplaçants, pourquoi a-t-il fallu faire entrer quatre cents nouveaux chauffeurs ? À cause de l’absentéisme ! À cause de l’absentéisme !

Et l’absentéiste, il ne peut avoir ce jour de congé payé et il ne peut pas travailler double. C’est clair ? Je sais que certains de vous ont l’habitude de travailler trois jours et de travailler double quatre autres, et ça impliquera un changement pour eux. En tout cas, le bon travailleur y gagne absolument, le travailleur qui n’est pas absentéiste, car il a un jour de congé payé et le droit de travailler double, un jour ou deux, comme il veut, mais à condition que son assiduité atteigne 90 p. 100. Pourquoi cette dernière condition ? Parce que quelqu’un peut venir travailler une semaine, il touche son jour de congé payé, il travaille double toute la semaine suivante et il ne vient pas travailler toute la troisième semaine. Vous vous rendez compte ? Et c’est justement pour que ça n’arrive pas qu’il faut poser comme condition, dès maintenant, d’abord par mois, puis par trimestre et enfin par année, que l’assiduité du travailleur doit être de 90 p. 100 s’il veut travailler double.

Je dis ça parce que je suis sûr que le travailleur qui dépend de cette source de revenu, qui dépend vraiment de son travail – celui qui a un taxi et qui l’utilise après sa journée de travail ne dépend pas vraiment de ce travail-ci – est avantagé par une mesure de ce genre qui, en plus, solutionne la question de l’absentéisme.

UN OUVRIER. Et celui qui travaille sept jours sur sept ?

FIDEL CASTRO. Eh ! bien, il ne faut pas le lui permettre, il faut lui donner un jour de congé obligatoire (applaudissements). Pourquoi va-t-il vouloir le travailler, puisque ce sera un congé payé !

UN OUVRIER. Si un compañero veut être transféré de l’atelier à chauffeur de bus, on peut l’accepter ?

FIDEL CASTRO. De l’atelier au bus ? Ne me posez pas ce genre de question, parce que je n’ai pas de réponse. C’est au ministère à régler ça. Sans information, je ne peux pas vous donner une réponse. Mais nous ne parlons pas de ce problème, nous parlons de mesures contre l’absentéisme.

(Quelqu’un de l’auditoire lui dit quelque chose.) Les contrôleurs ? Je ne suis pas très bien informé de la façon dont vous travaillez. (On le lui explique du public.) Je crois qu’ils doivent aussi avoir les droits (applaudissements). C’est bien pour ça que ces choses-là arrivent, que des travailleurs travaillent double trois jours et se reposent trois jours ! Il est inconcevable que vous n’ayez pas un jour de congé hebdomadaire. C’est absurde (applaudissements).

UN OUVRIER.  Les contrôleurs gagnent plus que nous et ils travaillent moins (remous dans l’auditoire).

FIDEL CASTRO.  Ça, c’est un antagonisme entre contrôleurs et chauffeurs. Mais nous n’allons pas entrer dans ces détails. L’important, c’est l’orientation fondamentale. Je vous ai proposé deux choses : que vous preniez des mesures contre ceux qui abîment volontairement les équipements, ce qui est différent du cas de l’ouvrier qui vient travailler et qui ne peut pas parce que son bus est en panne. Autrement dit, étudiez une mesure favorable au travailleur qui ne peut travailler pour une raison indépendante de sa volonté. D’abord.

Ensuite, la question de l’absentéisme. Un jour de congé payé pour ceux qui travaillent six jours et le droit pour eux de travailler double si leur assiduité est de 90 p. 100. (On lui pose de nouveau une question sur les remplaçants.)

FIDEL CASTRO. Cette histoire des remplaçants, vous devez en discuter au syndicat, je ne peux rien vous dire maintenant…. (Quelqu’un du public s’adresse à lui.)

UN OUVRIER.  Compañero Premier ministre, la question que je vous pose, c’est s’il a le même droit, le remplaçant qui travaille tous les six jours consécutifs et qui travaille aussi double. Si ce remplaçant ne travaille pas les six jours, il n’a pas droit au jour de congé, c’est ça que je dis, mais s’il travaille double le lundi, double le mardi, double le mercredi, double le jeudi, double le vendredi et double le samedi, c’est une supposition, alors il a droit au jour de congé, puisqu’il est pareil que le titulaire. C’est une supposition qu’il travaille double tous les jours, mais il y a des remplaçants qui le font. Alors, s’il travaille six jours d’affilée, il a le même droit que le titulaire ? C’est ça ma question.

FIDEL CASTRO.  S’il travaille les six jours, oui, c’est logique, absolument logique (applaudissements).

UN OUVRIER.  Compañero Fidel, je voudrais vous demander… Vous savez que chaque bus est conduit par trois chauffeurs différents. Si par hasard un individu maltraite le bus, l’esquinte, que le bus entre à l’atelier, que la réparation tarde, et qu’un autre chauffeur le traite bien et fait de son mieux pour qu’il fonctionne, il doit payer les conséquences de l’individu qui l’a esquinté, et ne pas pouvoir se faire payer son temps de travail à cause de l’individu qui a esquinté le bus ?

FIDEL CASTRO. Là, il faudrait étudier la responsabilité de celui qui l’a maltraité.

UN OUVRIER.  Après, celui qui va travailler, qui vit du bus seulement, comme certains d’entre nous en vivent, d’autres non parce qu’ils ont un autre emploi et qu’ils s’en fichent…

FIDEL CASTRO.  Ecoutez, compañeros, il faut vous attaquer au problème, analyser la responsabilité de celui qui maltraite les bus…

UN OUVRIER.  Moi, ça m’est arrivé. J’ai mon bus. Et quand je suis arrivé, il était en réparation à l’atelier, c’était pas ma faute, c’était la faute de celui qui l’a utilisé durant la nuit…

FIDEL CASTRO.  Ecoutez, compañeros, je me demande bien à quoi sert le syndicat ici. Que le compañero du syndicat vienne ici en discuter avec vous (applaudissements). Vous allez me laisser me débrouiller tout seul avec des détails que je ne comprends pas ? (Remous dans l’auditoire.)

AVILA.  Compañeros, je crois que nous devons laisser le compañero Fidel faire ses propositions (applaudissements). Vous entrez dans une série de détails que le compañero Fidel, logiquement, ne peut comprendre. Alors, si nous sommes d’accord avec l’esprit, avec l’essence de sa proposition, autrement dit que c’est au syndicat et à la direction d’ajuster tous ces problèmes (applaudissements), je crois que c’est logique. Ça tombe sous le sens (applaudissements).

UN OUVRIER. J’ai cru comprendre que l’individu qui vivait de la planque, il fallait le virer. Je trouve ça très humain, pourvu qu’il y ait de l’unité pour travailler, parce que, si j’ai besoin du bus, je vais travailler, le faire rouler, n’importe quel bus. Ce que j’ai besoin, c’est apporter le pain chez moi, comme tout le monde. Mais si j’arrive et que mon bus est foutu à cause de la brutalité d’un autre, pourquoi est-ce que je dois payer les conséquences, moi ? (Remous dans l’auditoire.)

FIDEL CASTRO. Compañero, je peux vous dire une chose : la Révolution doit garantir que tous ceux qui le veulent vraiment puissent ramener le pain à la maison d’une façon honnête, et ça toujours, toujours (applaudissements). Et, parallèlement, que ceux qui ne veulent pas gagner ce pain honnêtement ne puissent pas le ramener chez eux (applaudissements).

Tout le reste, compañeros, ce sont des détails, qu’il faut étudier et réglementer. Ici, nous n’abordons que des orientations générales. En effet, n’importe qui d’un peu informé de ce qu’il se passe ici, de l’absentéisme, du fait que beaucoup travaillent double plusieurs jours et manquent ensuite des semaines entières, se rend compte logiquement qu’il faut exiger des normes de travail hebdomadaires, qu’il faut atteindre un certain pourcentage d’assiduité pour avoir droit au jour de congé payé et au double travail. Je pense que le travailleur qui dépend uniquement de ce travail et qui travaille vraiment a le droit de travailler six jours et de bénéficier d’un congé payé le septième. Et, si c’est un travailleur assidu et qu’il en ait vraiment besoin pour une circonstance spéciale, eh ! bien, alors, qu’il puisse travailler double trois fois par semaine, par exemple. Je parle du travailleur qui n’a pas d’autre ressources, pas d’autre travail, pas d’autre source de revenu : pour lui, c’est tout bénéfice. Faire le contraire, c’est créer les conditions du chaos, de l’anarchie, de l’absentéisme, dont nous ne nous délivrerions jamais.

Voilà pourquoi j’ai fait cette proposition. Il faut ajuster des points de détail, mais le principe reste celui que j’ai dit : celui qui travaille honnêtement a tout le droit de le faire et de gagner son pain ; celui qui ne travaille pas ne mange pas (applaudissements). C’est un principe de la Révolution.

Je regrette de ne pas être mieux informé des détails, mais je vous assure que le gouvernement va s’occuper du problème du transport très sérieusement (applaudissements).

Il faut que vous collaboriez. C’est à vous de faire l’effort, de prendre les mesures principales, d’améliorer votre secteur, de l’épurer, parce que vous savez qu’il y a parmi vous des gens très nuisibles et que vous devez envoyer faire des travaux agricoles, pas après qu’ils aient bousillé un véhicule, mais avant ! (Applaudissements.)

C’est de ça qu’il s’agit : défendre vos droits, votre prestige et celui de votre secteur, les intérêts du peuple, les intérêts des travailleurs.

Nous avons encore beaucoup à faire dans notre pays pour atteindre ce que nous voulons, pour que notre pays soit un pays de travailleurs, pour que ceux-ci en touchent les bénéfices et jouissent des biens sociaux.

Je pourrais vous répéter ce que je disais hier à des ouvriers récompensés pour leurs efforts : que la Révolution doit limiter toujours plus la jouissance des richesses nationales à ceux qui ne travaillent pas pour la société et l’accorder toujours plus à ceux qui le font (applaudissements).

Je mentionnais la différence entre celui qui travaille pour une entreprise nationale et celui qui travaille à son compte et je parlais des villas qu’on va louer à Santa María del Mar : elles ne seront que pour les travailleurs syndicalisés (applaudissements). Les villas et les bungalows de nos centres touristiques sont très appréciés, et ceux qui ont de l’argent les réclament beaucoup ; pourtant, nous allons les mettre à la disposition uniquement de ceux qui travaillent pour la société. Dans notre pays, être travailleur sera toujours plus la plus digne, la plus honnête et la plus utile des fonctions.

Il reste, hélas, dans notre pays une foule de privilèges. Un commerçant qui gagne mille pesos par mois sans produire un seul bien matériel jouit d’une foule de bénéfices que n’a pas un ouvrier agricole qui, grâce à son travail, en semant et en coupant de la canne à sucre, soutient l’économie nationale et qui ne gagne pourtant que deux pesos et demi. Cet ouvrier, donc, produit la canne d’où provient le sucre que nous exportons pour importer des carburants, tandis que le commerçant aux mille pesos se balade en voiture en utilisant une essence bon marché, achète des pneus, et tout ce qu’il a provient de l’effort et de la sueur de ce modeste ouvrier qui ne gagne que deux pesos et demi. Oui, il y a encore une foule de privilèges.

C’est d’ailleurs peut-être ce même commerçant qui part en voyage dans les pays socialistes ! Eh ! bien, non. Tous ces biens, tous ces bénéfices, nous devons le mettre toujours plus à la portée de l’ouvrier. Le travailleur à son compte, parfait, il travaille à son compte. Mais il y a alors une différence entre un camionneur d’une entreprise nationale qui touche un salaire de six, ou sept ou huit pesos, et celui qui a un camion à lui et qui en gagne trente. Alors, si tous les deux veulent aller louer une villa sur une plage, qui est une richesse nationale, il faut la louer à celui qui travaille pour une entreprise nationale et gagne huit pesos (applaudissements).

C’est aussi ce que nous faisons avec les réfrigérateurs. Il y a quatre mille. À qui les vendons-nous ? Aux travailleurs.

Nous avons un programme de tourisme dans les pays socialistes. Qui doit y aller ? Les travailleurs. Et lesquels ? Les travailleurs émérites.

À l’avenir, notre industrie automobile produira non seulement des autobus, en tout premier, mais aussi des voitures. Quand nous aurons cinq mille voitures et cent mille acheteurs potentiels, à qui faudra-t-il vendre la voiture ? (Réponses de « Aux ouvriers ! ») Et à quel ouvrier ? À l’ouvrier émérite.

Il nous faut organiser peu à peu notre pays afin que les meilleurs bénéfices sociaux aillent à ceux qui ont le plus d’égards pour le peuple, pour la patrie, à ceux qui travaillent le plus pour leur peuple et pour leur patrie. C’est juste. Tant que notre société ne sera pas organisée comme ça, elle restera une société de privilèges.

C’est dur, il faut lutter contre de nombreux intérêts, contre de nombreux privilèges, mais nous y arriverons, nous y arriverons…

Et des intérêts, il en reste des tas. Des dirigeants du syndicat de chauffeurs m’ont raconté que, après ce que j’ai dit hier à Varadero, soixante-douze chauffeurs sont venus leur dire qu’ils étaient inquiets, qu’ils avaient peur qu’on leur confisque leur taxi.

Pour commencer, je ne crois pas que le Syndicat des chauffeurs de taxi devrait s’appeler comme ça. Pourquoi ? Parce que ces chauffeurs ont leur taxi à eux, ce ne sont pas des prolétaires. Ce sont des travailleurs à leur compte, et il faut les grouper dans une association, mais pas dans un syndicat. Ils travaillent à leur compte et nous ne pouvons pas les mettre sur un pied d’égalité avec celui qui est chauffeur de bus et qui gagne… Combien gagne-t-il ? Combien ? (Remous dans l’auditoire.)

D’accord… Supposons que le chauffeur de bus gagne de cent à cinquante pesos par mois, et que le chauffeur de taxi en gagne trente par jour. Vous voyez bien qu’on ne peut pas les mettre dans une même catégorie de travailleur du transport. Ils doivent avoir leur association comme propriétaires de voitures.

Personne ne pense à leur confisquer leurs véhicules, qu’ils ne craignent rien. D’où vient cette peur ? La Révolution n’a pas peur, elle. Ce qui est indéniable, en tout cas, c’est que beaucoup de chauffeurs de taxi ont un comportement déplorable, qu’ils escroquent le public (applaudissements), qu’ils font des campagnes pour se justifier, qu’ils sont en contact avec des contre-révolutionnaires, avec des individus du passé, avec d’anciens militaires, avec d’anciens politiciens. Dans ce secteur, il y a beaucoup de gens honnêtes, beaucoup de bons citoyens, mais aussi beaucoup d’individus nuisibles.

Les membres du syndicat – qu’on devrait appeler association – doivent donc se réunir, prendre des mesures. S’ils agissent correctement, on peut les aider d’une manière ou d’une autre compte tenu du service qu’ils prêtent. S’ils n’escroquent pas le peuple, s’ils s’organisent. S’ils s’organisent… Parce qu’il y en a des tas qui travaillent au noir, et n’importe qui se met à peindre sa voiture de ce jaune canari qui est la couleur des taxis ! (Rires.)

Il est temps, donc, que l’association – appelons-là ainsi – de chauffeurs de taxi prenne des mesures, cherche une solution aux travailleurs au noir, qu’elle les légalise, si ça lui chante, mais qu’elle mette fin à ce travail clandestin. C’est tout bénef, bien entendu, pour ces gens-là. Vous avez des gens dont les biens mal acquis ont été saisis et qui, grâce à la voiture qu’on leur a laissée, gagnent plus qu’avec leur affaire d’avant…

Qu’elle mette donc fin au travail au noir. Qu’elle fasse des listes pour de bon, qu’elle confisque alors la voiture de tous ceux qui travaillent clandestinement, qu’elle fixe des normes, qu’elle fixe des tarifs justes pour le peuple (applaudissements), et alors nous pourrons les aider, nous pourrons leur fournir des pièces détachées, nous pourrons leur donner la préférence, compte tenu du service qu’ils prêtent, sur une voiture de tourisme. Et il serait logique qu’ils reçoivent la préférence, mais à condition qu’ils mettent les pieds sur terre, qu’ils s’organisent, qu’ils en finissent avec le désordre, avec le travail au noir, avec l’escroquerie… Et, dans ce cas, oui, nous pourrons les aider sans avoir, tant s’en faut, à confisquer ou à saisir les véhicules.

Mais s’ils croient pouvoir vivre à leur guise, comme groupe antisocial, la Révolution n’aura absolument pas peur, compañeros, de leur faire face et de les confisquer tous, s’il le fallait ! (Applaudissements.)

En fait, la Révolution n’a à prendre des gants avec personne ! La Révolution n’agit pas au profit de groupuscules, de privilégiés, ni de personne ; la Révolution agit au profit du peuple, dans l’intérêt des masses, dans l’intérêt suprême de la patrie, dans l’intérêt suprême de la nation. Ce sont ces intérêts-là que nous défendons, et nous les défendons avec la morale, avec la conviction d’être dans le vrai ; tout groupe récalcitrant, tout groupe antisocial, quel qu’il soit : bourgeois de la ville, bourgeois de la campagne, petit-bourgeois antisocial, nous le mettons hors de combat, ses intérêts et lui ! (Applaudissements.)

La Révolution n’a pas à prendre des gants. Les gants, ça suffit ! Appelons un chat un chat ! Et nous allons vivre d’une manière disciplinée, ordonnée, révolutionnaire, et nous allons bâtir un monde juste. C’est justement ce que nous faisons. Nous construisons un monde juste, et c’est au nom de ce monde juste que nous faisons face à qui il faut (applaudissements). C’est au nom de ce monde juste – que personne n’en doute – que nous prendrons toujours les mesures nécessaires.

Et notre peuple le comprend. Notre peuple a un sens toujours plus développé de la justice, de ses devoirs sociaux, il comprend toujours plus clairement. Et c’est grâce à cette compréhension que personne ne peut le freiner, lui mettre des bâtons dans les roues, ou le démoraliser.

Vous savez très bien que la bourgeoisie, les gens aisés ont essayé de démoraliser ce pays, qu’ils nous ont créé des difficultés avec les approvisionnements, qu’ils stimulent la spéculation, le favoritisme, toutes ces choses-là, que, de concert avec les antisociaux, ils ont tenté de créer des problèmes, des difficultés, de nous démoraliser, de semer dans le peuple leur lâcheté face au courage, à la fermeté et à l’enthousiasme des travailleurs, qui ne sont pourtant pas aussi conscientisés qu’il le devrait, parce qu’ils voient la Révolution plus avec le cœur qu’avec la raison, plus par instinct que par analyse. Il suffit d’analyser les choses, et n’importe qui constate que les richesses sont aux mains du peuple, que rien n’existe entre le peuple et les richesses, que le peuple peut développer ces richesses jusqu’au maximum de ses capacités, qu’il peut forger un monde meilleur, un monde juste, un monde bien plus heureux, que notre économie n’a plus de propriétaire.

Mais n’importe qui comprend aussi que nous ne pouvons y parvenir qu’en faisant preuve de discipline, de sens de nos responsabilités, qu’en travaillant. Ce que nous pouvons atteindre est infini. Mais n’attendons pas que quelqu’un le fasse à notre place : c’est à nous de le faire !

Aujourd’hui, nous recevons une grande aide de l’étranger ; nous en avons besoin en ces premières années, mais nous devons y mettre du nôtre afin de produire demain tout ce dont nous avons besoin grâce au plein développement de notre richesse, de nos capacités techniques. Parce que nous pouvons penser à recevoir toute la vie l’aide d’autres peuples qui travaillent et qui se sacrifient. Il est juste, il est correct de recevoir cette aide aujourd’hui. Mais nous devons savoir en tirer profit.

Nous autres, compañeros, nous n’avons pas eu trop de difficultés. D’autres peuples, oui, en ont eu des tas, avec leurs villes rasées par les guerres, sans même un engin à moteur, sans rien. Ici, en revanche, à la moindre petite difficulté, les bourgeois et les petits-bourgeois apeurés veulent nous démoraliser, crient que c’est la fin des haricots. Non. Pour le prolétariat, ce n’est jamais la fin des haricots quand il a le pouvoir en mains ; pour le prolétariat, ce n’est jamais la fin des haricots quand il y a des difficultés (applaudissements). Quand les difficultés commencent, le prolétariat commence lui aussi à se fortifier ; quand elles se présentent, le prolétariat découvre l’occasion de prouver ce qu’il est, ce dont il est capable, de montrer sa dignité, sa patriotisme, son honneur (applaudissements).

Compañeros travailleurs du transport, nous attendons que vous collaboriez dans ce sens. Votre assemblée a été une bonne assemblée, pleine d’un bon esprit, et elle aidera le peuple à vous comprendre. Le peuple attend de vous de la compréhension, de la même manière que vous en attendez, vous, du public. Le public et vous-mêmes, c’est du pareil au même. Vos enfants, vos femmes, vos parents, vos frères prennent eux aussi le bus, ils n’ont pas de voiture ! (Applaudissements.)

Chaque fois qu’un passager monte, traitez-le comme vous souhaiteriez qu’on traite votre enfant, votre compagne, vos parents, vos frères dans n’importe quel bus.

En avant, companeros travailleurs du transport, dans cet esprit-là ! Pour surmonter les problèmes, pour servir le peuple, pour servir la patrie, pour servir la Révolution !

La patrie ou la mort !

Nous vaincrons ! (Ovation.)

VERSIONES TAQUIGRAFICAS