DISCOURS PRONONCÉ PAR FIDEL CASTRO À LA CLÔTURE DE LA RÉUNION DES MINISTRES DE LA SANTÉ DU MOUVEMENT DES PAYS NON ALIGNÉS. Palais des congrès, La Havane, 26 juin 1998
Datum:
Cher Monsieur Ernesto Samper, président de la Colombie et président du Mouvement des pays non alignés,
Chers ministres et membres des délégations participant à cette réunion,
Chers invités,
J'ai l'impression d'avoir manqué l'occasion d'écouter pas mal d'idées, de critères et d'informations sur vos expériences, exprimées lors de cette réunion, à laquelle je n'ai pu participer étant donné le programme d'activités que je devais respecter.
Je n'ai même pas eu le temps de préparer des notes, ce qu'on doit faire dans une réunion de ce genre, entre autres choses, pour gagner du temps. Aux réunions internationales, il faut bien tenir compte non seulement du temps, mais aussi des langues, car tout peut se compliquer, même pour les traducteurs, quand il n'y a pas un document à la portée de la main. Je vous demande donc des excuses.
J'ai eu, au moins, la possibilité d'écouter la Déclaration finale. On m'avait dit que la cérémonie de clôture commencerait par la lecture de cette Déclaration, suivie du discours de notre très chère amie, la ministre de la Santé de l'Afrique du Sud, et que finalement quelqu'un prononcerait le discours de clôture, et c'est à moi qu'on avait confié cette tâche (Rires).
A mon arrivée, je demande encore des renseignements sur le programme. On me dit : d'abord, le discours de Madame la ministre de la Santé de l'Afrique du Sud et ensuite la cérémonie de clôture. Alors je pense : Eh bien, je ne suis au courant de ce qui s'est passé ni aux débats ni aux expositions, et de surcroît, je n'ai même pas lu la Déclaration finale. De quoi je vais donc parler ? ou du moins, De quoi je vais parler si ce n’est pas parler d'abondance du haut de cette tribune ? Voilà pourquoi j'ai même prié d’inventer n’importe quel prétexte pour lire encore une fois cette déclaration-là.
Je l'ai écoutée attentivement et je pense que vous avez mis au point un véritable programme de travail pour les années à venir; on pourrait même dire que pour les prochaines décennies, bien que tout change rapidement et doit être mis à jour.
Rien qu’en un mois et quelques jours, j'ai eu l'occasion de voir réunis les ministres de la Santé ou les représentants des ministères de la Santé de nombreux pays, d'abord à Genève - à peu près le16 mai, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l'OMS - et maintenant, j'ai le privilège de revoir nombre d’entre eux à une autre réunion sur la santé, ce qui à mon avis revêt une grande importance, car cela met en évidence une prise de conscience accrue sur cette mission aussi noble, vitale et essentielle pour le bien-être de l'homme.
Le président Samper soulignait, à la fin du discours d'ouverture de cette réunion, qu'il s'agissait d'une activité éminemment politique, que la santé est un problème politique. Et moi d'ajouter : c'est un des problèmes politiques les plus importants, car il concerne le plus sacré et le plus précieux de l'être humain : la santé.
Je suis du même avis, car nous avons consacré une partie de nos vies à une oeuvre politique. A l’époque où nous n’avions pas encore des responsabilités, lorsque nous n'avions à l'esprit que des rêves, nous étions conscients de l'importance de la santé; cependant, nous avons pu apprécier combien la santé a été oubliée dans ce monde.
Les armes, elles, n'ont pas été oubliées et les dépenses militaires n’ont pas été non plus oubliées, en particulier par les grandes puissances et les sociétés transnationales productrices d’armements; des sommes faramineuses ont toujours été allouées aux budgets militaires.
A Genève, j'ai avancé à ce sujet une estimation à mon avis très modeste, soit 30 billions de dollars au titre de dépenses militaires pendant les cinquante ans d'existence de l'OMS. Ces dépenses seront probablement de l'ordre de 35 ou 40 billions, peut-être plus, si l'on compare les sommes dépensées et la cotisaton actuelle du dollar, pour connaître les dépenses réelles dans le domaine militaire et dans les efforts de créer et d'utiliser des instruments de mort aussi sophistiqués et puissants que seuls les super-privilegiés, ceux qui ont eu la possibilité de se développer aux dépens du reste du monde, pouvaient se payer le luxe d’acheter.
Les armes ont été utilisées, certes, à plusieurs reprises, avec justice - la question des guerres justes ou injustes ont fait depuis longtemps l'objet de longues discussions. Or, s’il y a eu des guerres injustes, c'est parce qu'il y a eu domination, suppression des libertés, injustice, manque d'indépendance, pillage, exploitation, agression, et ce ne sont pas tous les peuples qui ont toujours eu la possibilité de préserver leur indépendance, leur progrès ou leur vie les armes à la main. En fait, dans ce monde, les armes ont été utilisées fondamentalement pour conquérir, parfois des continents entiers, pour dominer, pour réduire à l’esclavage, pour piller et non pas pour sauver des vies ou défendre des causes justes.
A parler franc, les puissances, les hommes d'Etat et les hommes politiques ont souvent négligé la santé. Je suis un homme politique et beaucoup d’entre vous ont réalisé des activités politiques, mais vous avez eu la possibilité de vous mettre en rapport avec le sujet de la santé et connaître les problèmes, les pénuries, les besoins, les souffrances, l’absence de ressources, de budgets. Et ce sont surtout les pays du tiers monde qui ont vu le plus mourir des nouveaux-nés, des enfants de moins de cinq ans, des femmes en couches et des millions de personnes à cause de maladies infectieuses, car, d'après les statistiques et les données, on sait qu'aux pays riches et industrialisés, pratiquement tous les enfants pouvant être sauvés réussissent à survivire. Parfois plus, parfois moins, mais tous ces pays enregistrent des taux inférieurs à 15, voire à 10 décès pour mille naissances vivantes.
Evidemment, cela ne veut pas dire que même dans ces pays développés tous les enfants ont accès aux services médicaux. Aux Etats-Unis, notre voisin du Nord, le pays le plus riche et puissant du monde, nombre d’adultes et d'enfants ne bénéficient pas de soins de santé.
Les données statistiques sont un peu trompeuses car, quand on dit, par exemple, qu'aux Etats-Unis le taux de mortalité infantile est inférieur à 10, à 9 ou à 8 - je n’ai pas ici le chiffre exact - cela concerne en premier lieu les riches et, en deuxième lieu les Blancs, mais des Blancs purs - je demande aux Blancs ici présents de m’excuser, de ne pas se fâcher ou de croire que je suis raciste. Le taux de mortalité infantile chez la population noire aux Etats-Unis double ou triple parfois ce taux.
Je me souviens du temps où les Noirs étaient la majorité de la population à Washington, capitale de ce pays énorme, pour ne pas dire de cet énorme... - hé bien, je vais utiliser le terme, de cet énorme empire, qui l’est aujourd’hui plus que jamais, et j'espère que personne ne s'inquiètera si j’ai utilisé ce terme. Dans la capitale de cet énorme empire, le taux de mortalité parmi les enfants noirs dépassait 30 décès pour mille naissances vivantes, tandis qu’a Cuba ce taux était inférieur à 15.
Le taux de mortalité chez les hispano-américains dépasse aussi celui des riches et des Blancs, pour ne pas parler des indigènes, car ils ne peuvent pratiquement mourir, ceux-ci étant déjà morts ou exterminés.
Ces chiffres sont trompeurs. Il y a un indicateur pour ceux qui détiennent beaucoup de ressources et un autre pour ceux qui n'en ont pas. Bref, les pauvres sont condamnés non seulement à être pauvres, mais encore à mourir de maladies, à souffrir et à vivre moins.
Voilà les inégalités auxquelles ont fait souvent allusion entre les pays et à l'intérieur des pays.
Il est de notre devoir de respecter strictement les critères de chacun, les idées de chacun ou les systèmes connus par chacun où ils ont réalisé ses activités, mais la question de la médecine privée et de la médecine publique fait l’objet de débats. Comme on le sait, la médecine privée favorise essentiellement les riches. D’autres formes d'établissements médicaux à caractère coopératif, à caractère social, ont existé. Je me souviens qu'à Cuba, avant la Révolution, on avait développé les dits hôpitaux mutualistes, qui fonctionnaient, qui étaient une sorte de soupape d'échappement où des milliers de personnes recevaient l'assistance médicale en échange d’une petite cotisation, et ces hôpitaux prêtaient le meilleur service possible. Il y a eu aussi les hôpitaux de la sécurité sociale dans différents pays qui, en général, fonctionnaient avec une certaine efficacité, dans quelques pays mieux que dans d'autres.
Je me souviens qu'au Mexique, pays que j'ai visité dans les années 50, les services médicaux de l'assistance sociale comptaient nombre d’hôpitaux efficaces, mais il ne s'agissait pas d'une forme de médecine privée.
Là, j’ai pu constater que les pires conditions se trouvaient en général dans les hôpitaux publics qui n’avaient ni ressources ni budget. Ils ne bénéficiaient du soutien de personne. Par ailleurs, comme cela se passait d’ailleurs dans notre pays, une partie des faibles ressources allouées faisaient l’objet de malversation, l’argent était pillé, ce qui discréditait tout simplement la médecine publique.
Nous avons vécu l'expérience et avons eu l'occasion, avec très peu de ressources, de voir fonctionner la médecine publique, et même aujourd'hui, soumis à un double blocus, on peut dire qu'elle fonctionne, bien sûr, sans toutes les ressources dont elle aurait besoin. Or, des années durant, le pays a fait des investissements en hôpitaux. On a d'abord utilisé ceux qui existaient, puis, on a construit pas mal d'hôpitaux et de cliniques, des hôpitaux modestes, y compris dans les montagnes, dans la campagne. On a ainsi établi un réseau d'hôpitaux et de policliniques tout au long du pays, ce qui a abouti finalement à la création de ce réseau singulier de soins de santé primaires, autrement dit les médecins de la communauté.
Notre illustre président du Mouvement des pays non alignés faisait allusion dans son discours aux médecins de la communauté. Je crois que c’est lui qui a mis un autre exemple d'expérience positive en matière de médecine communautaire, en Angleterre si j’ai bonne mémoire. Les Anglais se sont préoccupés, c'est une notion qui gagne du terrain, bien que notre médecin de la communauté répond à une notion différente, plus générale. Notre médecin de la communauté ne remplace ni le spécialiste de la policlinique, ni la policlinique ni l'hôpital. Avant, les services d’urgences des hôpitaux étaient très fréquentés, car beaucoup de personnes n’avaient pas de confiance dans les policliniques; on pensait que les meilleurs médecins étaient aux hôpitaux, raison pour laquelle les services d’urgences étaient bondés.
On se demandait si l’expérience du médecin de la communauté serait viable, ce qui s’est avéré un succès colossal. Au début, c’étaient 10 médecins, non pas 1 000. Autrement dit, un peu plus de 10 médecins dans une zone desservie par une policlinique d'une commune de la capitale. Il n’y avait pas alors d’installations, le médecin et l'infirmière s'installaient dans une chambre ou dans un garage d'une maison de famille.
Cette expérience a aussi été essayée à la campagne : 10 médecins de la communauté dans la plaine, un certain nombre dans les montagnes et 10 dans une policlinique.
Le compañero Ordóñez, assis au premier rang, est le directeur de cette policlinique. Il est encore là parce qu'il est un bon médecin et un excellent directeur, et aussi parce que cette policlinique est devenue en fait un laboratoire. La ville comptait 10 médecins de la communauté, rattachés directement à une policlinique.
Par ailleurs, on a choisi cette policlinique pour essayer une méthode de recyclage des médecins de la communauté. Ces médecins, en plus de prêter service à la communauté, faisaient des études d'une nouvelle spécialité dans la policlinique, car l’idée du médecin de la communauté a coïncidé avec celle de former les médecins dans la spécialité de médecine générale, alors qu’on luttait aussi contre l'hyper-spécialisation. Il a fallu faire d’énormes efforts pour contrecarrer l’idée de créer de nouvelles spécialités.
Qui était donc le médecin généraliste ? Le diplômé universitaire qui n’avait pas suivi des cours supérieurs. Nous nous sommes alors rendu compte de l’importance que revêtait le médecin de la communauté. Il s’occupait des voisins, raison pour laquelle il devait avoir des connaissances approfondies en matière de pédiatrie, de gynécologie obstétrique et de médecine interne. Un programme d'études de trois ans pour étudier la spécialité de médecine générale intégrale a été mis en place. Les policliniques où travaillaient des médecins de différentes spécialités sont devenues des établissements d'enseignement médical spécialisé. Ainsi, des milliers de jeunes médecins de la communauté sont déjà des spécialistes en médecine générale intégrale qui prêtent service dans les communautés et qui sont en contact direct avec les citoyens. Dans les villes, les habitants sont à 50 ou à 100 mètres du cabinet du médecin de la communauté.
Il était impossible de faire cette expérience dans le cadre de la médecine privée. Dans certains pays, il y a des médecins qui traitent systématiquement quelques familles résidant parfois très éloignées les unes des autres. Notre médecin de la communauté est là, tout près de ses patients. S'il faut vérifier la tension artérielle d’un citoyen, celui-ci n'a pas besoin d'aller à l'hôpital. Le médecin est maintenant tout près de lui pour contrôler sa tension artérielle ou pour s’occuper de lui à tout moment. En plus, ce médecin peut diagnostiquer certaines maladies et, dans bien des cas, au lieu d'être hospitalisé, ce malade peut être soigné chez lui. Il n'a donc plus besoin d'être hospitalisé. Ainsi, les lits d’hôpital et les installations sont utilisés d’une manière plus rationnelle. Ce procédé est dénommé hospitalisation à domicile, car le patient reçoit tous les soins médicaux chez lui.
Cependant, si le patient ne voulait pas être soigné par ce médecin, il avait toujours la possibilité, soit d’aller à la policlinique pour se faire soigner par un spécialiste, soit d’aller directement à l'hôpital. Les options étaient donc très variées.
Que s'est-il passé avec ces premières expériences ? Que les patients n'allaient plus à la policlinique. Je me souviens d’une policlinique desservant 25 000 habitants qui a été saturée de médecins de la communauté : 500 patients y étaient soignés chaque jour, chiffre qui a baissé à 100; les services d’urgences ont par la suite commencé à être moins demandés. Les patients avaient beaucoup de confiance dans ce médecin frais émoulu, à tel point que lorsque le spécialiste de la policlinique leur prescrivait un traitement, ils allaient demander l’avis du médecin de la communauté. Les patients n'allaient à la policlinique que pour se faire des examens ou pour consulter un spécialiste.
Par conséquent, l'idée a été couronnée de succès, car les gens y faisaient confiance. A partir de cette expérience, cette même conception a été appliquée aux aux médecins diplômés des 21 facultés de médecine créées tout au long du pays dans le cadre de nos programmes de santé. Les médecins de la communauté n’étaient plus seulement dans les quartiers, mais aussi dans les crèches, les écoles, les usines, les centres de travail en général, les hôtels, les bateaux de la marine marchande, etc.
Pour accéder à la catégorie de spécialiste dans l’une quelconque des branches de la médecine, à de rares exceptions près, le médecin diplômé doit être d'abord médecin de la communauté, un professionnel expérimenté ayant des connaissances approfondies sur l'homme, ayant été en contact avec l’homme et ayant soigné des patients dans une communauté et étant au courant de leurs conditions de vie. Alors, s'il le veut, il peut étudier une deuxième spécialité. Il s'agit des médecins qui ont de vastes connaissances, qui ont suivi des cours universitaires pendant six ans, qui ont étudié trois ans dans la policlinique, autrement dit neuf années d’étude. Puis, s’ils veulent faire une deuxième spécialité, ils devront étudier pendant trois ou quatre ans de plus.
Il y a d'autres plans et programmes de soins médicaux très importants, concernant la préparation du personnel. En ce moment, il fait souligner une idée, celle concernant la préparation éthique, solidaire et scientifique du personnel médical.
Il s'agit de programmes concernant le sujet ici analysé. Qui mieux placé que l’Etat pour les mettre en marche ? Si l'Etat est malade, il faut le soigner, il faut lui restituer sa santé. Il est nécessaire que l'Etat fonctionne d'une manière salutaire. Mais il ne faut trouver au marché la solution des problèmes de la santé humaine.
Je ne suis pas en train de suggérer que les hôpitaux privés doivent être fermés, loin de là. Si dans les pays pauvres il y a des gens qui ont des ressources, qui ont de l'argent, et s'ils veulent l'utiliser pour soigner leur santé dans un établissement privé, qu'ils le fassent.
Nous avons développé un système de santé pour tout le peuple indépendamment des revenus des citoyens, bien qu'il y ait des différences de revenus. Mais, dans une société constituée fondamentalement par des travailleurs manuels ou intellectuels, les bons médecins et les meilleurs spécialistes sont au service de tous les citoyens partout dans le pays.
Nous avons dû développer les programmes médicaux au milieu d’une confrontation avec nos voisins du Nord, d’un blocus acharné, d’un harcèlement permanent; mieux encore, au milieu de la tentative de nous enlever nos professionnels. Ils ont ouvert tout grand les portes à tous les citoyens cubains qui voulaient émigrer, ce qu'ils n'ont jamais fait à aucun pays du monde. Nous savons tous qu'ils encouragent la fuite des cerveaux : ils attirent les meilleurs scientifiques de vos pays non seulement parce qu'ils ont beaucoup d'argent et qu'ils puissent payer de très bons honoraires, mais aussi parce qu'ils disposent des institutions scientifiques inexistantes aux pays du tiers monde.
Certes, ils défendent farouchement leurs brevets, mais combien de Latino-Américains ont mené à bien des recherches importantes dans des laboratoires des pays industrialisés dont les sociétés sont aujourd'hui les propriétaires de ces brevets; combien de médecins éminents et d'autres professionnels ont fait leurs études dans leurs pays pauvres et modestes et sont ensuite allés prêter leurs services dans des pays riches.
Voilà un problème que vous avez bien sûr abordé, celui concernant la coopération, le transfert de technologie et les recherches scientifiques en matière de médecine.
Madame la ministre de l'Afrique du Sud vient de mentionner les problèmes qui ont trait au génie génétique et à la biotechnologie, des domaines clés dans la recherche de solutions à des problèmes médicaux et à d'autres concernant l'alimentation, l'agriculture, même le mélange de l'agriculture et de la médecine, car, par cette voie, il serait peut-être possible de développer une vache capable de produire du lait à partir de l’insuline ou d'autres médicaments, pour que ceux-ci soient présents dans le lait. Ce n’est qu’un exemple, mais il peut y avoir bien d’autres concernant des animaux et des plantes producteurs d’aliments.
Ces technologies ouvrent des perspectives énormes. Or, ce ne sont pas nos pays ceux qui possèdent les ressources nécessaires, mais ceux qui veulent défendre à tout prix et d'une manière très égoïste leurs brevets. Les nôtres ne sont pas protégés, même les marques de nos produits sont contrefaites aux Etats-Unis.
Un jour, j'ai dit, seulement pour plaisanter, que nous allions installer ici une usine de Coca-Cola, à partir d’une formule cubaine. En fin de comptes, quelle cour ou quel juge nous protège là-bas ? Les brevets qu’on nous vole aux Etats-Unis, qui les protège ?
Evidemment, leurs brevets sont protégés, très bien protégés, chaque jour mieux protégés.
Voilà la question la plus débattue et la plus farouchement défendue par les voisins du Nord et les pays industrialisés à l'OMC, à l'OCDE et à d’autres forums internationaux. L'OCDE est un club pour riches, exception faite du Mexique qu'un beau jour a été admis à ce club bien qu'il ne soit pas encore assez riche, mais tous les autres ont des revenus par habitant très élevés. Les Etats-Unis y machinent souvent les accords qu'ils présentent ensuite à l'OMC. Nous y avons été, nous connaissons tout ce qu'on essaie d'imposer après les négociations d'Uruguay. Il s'agit d'étendre la domination, d'assurer les intérêts des pays industrialisés.
En ce qui concerne les brevets et les technologies, ce sont les Etats-Unis ceux qui exercent le plus des pressions, parce qu'ils avaient attiré nombre de meilleurs scientifiques de la planète. Einstein lui-même, et d'autres scientifiques qui ont contribué d'une manière décisive à la découverte et à la conception des bombes nucléaires, thermonucléaires et les missiles porteurs, étaient originaires d'autres pays; ils ne se sont pas formés aux universités nord-américaines. C'est ainsi que les Etats-Unis ont ramassé des talents. Une fois devenus la puissance la plus riche du monde, ils n’ont jamais cessé de voler les meilleurs cerveaux du tiers monde. Mais il y a aussi un autre problème grave : la plupart des jeunes du tiers monde choisis pour étudier aux pays industrialisés, une fois diplômés, ne rentraient pas dans leurs pays. Vous le savez très bien!
Il y a pratiquement un seul pays, ou l’un des rares pays au monde, où le médecin ou le professionnel diplômé rentre dans son pays. Croyez-moi, ce n’est pas un manque de modestie. Ce pays c’est Cuba.
Combien d'étudiants ont été diplômés dans nos universités ? Et il ne s'agit pas de Londres, de Paris, de New York ou de San Francisco. Cuba n'est pas en mesure de payer des salaires très élevés, et il ne serait pas capable non plus de voler un seul professionnel à un autre pays du tiers monde.
A un moment donné, quand nous n'étions pas dans la situation d'aujourd'hui, après l’effondrement du camp socialiste, notre pays a accueilli 22 000 boursiers étrangers. Vingt-deux mille ! Et il y en a encore des milliers.
Il y a donc cette tragédie, au lieu de coopérer au développement des pays pauvres, les pays riches attirent les jeunes professionnels diplômés à l'étranger et en choisissent les meilleurs. Ne tentent-ils pas aussi de voler nos scientifiques ? Ils les invitent à suivre un cours, puis on lui dit : «Tu sais, tu es très intelligent, il serait bon pour toi de rester un an de plus», et ainsi de suite. Le prétexte peut durer cinq, six ans. A la longue, ils sont déracinés, les adaptent, même aux ressources et à la vie d'un pays industrialisé.
Nous devons défendre nos scientifiques. Grâce à nos programmes d'enseignement supérieur, nous avons réussi à former des dizaines de milliers de scientifiques dans les centres de recherche, l’un des programmes auxquels on a accordé une attention toute particulière.
Voilà pourquoi nous défendons avec ardeur la médecine sociale, le rôle central de l'Etat, ce qui a été exprimé dans le discours de Mme la ministre de la Santé de l'Afrique du Sud et souligné dans la Déclaration finale.
Compte tenu du fait qu’il faut maîtriser les données et les statistiques, ces réunions, autrement dit celle qui s’est récemment tenue à Genève, nous avons pris davantage de conscience sur tous ces problèmes.
Je me souviens qu’à la réunion de la FAO à Rome, lors du débat de la Déclaration finale, j'ai protesté énergiquement car ce document ne parlait que de réduire, j’ai oublié maintenant le chiffre exact, à 500 millions le nombre de personnes affamées pour l'an 2020 ou 2025. Et j'ai dit : comment pouvons-nous nous résigner à ce qu’il ait tant d’affamés dans le monde à ce moment-là ?
A la réunion de l'OMS - l’une des institutions des Nations Unies que j'apprécie le plus, tout comme d'autres institutions de cette organisation, exception faite du Conseil de sécurité -, il a été mis au point un programme pour réduire dans une période de vingt-cinq ans la mortalité infantile et d'autres taux de mortalité à des chiffres assez modestes à mon avis. Cette organisation n'a peut-être pas d'autres options à partir des ressources dont elle dispose ou, compte tenu de ce qui se passe dans le monde, elle ne considère pas prudent ou réaliste de se fixer des objectifs supérieurs. Mais, et ceux qui meurent entre-temps ? Ceux qui meurent, alors que le monde consacre 800 milliards de dollars chaque année aux dépenses militaires ? Ces personnes ne figurent-elles pas dans les statistiques ? Peut-on défendre un ordre mondial qui doit se résigner à ce que des centaines de millions de personnes meurent ?
Je me souvenais d'un chiffre qui m'a beaucoup frappé à partir d'une estimation que j'avais faite. Je cherchais des données statistiques et il m'est venu à l'esprit de penser combien d'enfants étaient morts depuis la création de l'OMS, après la dernière guerre mondiale. Selon des calculs très conservateurs, le chiffre était de 600 millions d'enfants dont les vies auraient pu être préservées. Même des personnes de trente ou quarante ans auraient pu mourir à cause de maladies infectieuses évitables ou curables. Or, il est encore plus frappant quand on parle d'enfants de moins de cinq ans, parce qu'on parle de vies perdues, d'enfants que auraient pu être sauvés avec un vaccin qui coûtait des cents. Comme je l’ai déjà expliqué, il suffisait seulement de faire montre d’un peu de générosité, et surtout de solidarité, ce terme qui figure à juste titre dans la déclaration. Ainsi donc, 600 millions d’enfants sont morts. Aujourd’hui, la population de la planète est peut-être de l’ordre de 6,5 milliards d’habitants.
Il est probable que, effrayés par l'excès de population, certains pays très riches, qui ont une peur bleue de l'immigration - quand la force de travail faisait défaut, ils n'avaient pas peur comme aujourd'hui, lorsque nos populations montent en flèche - ont paniqué. Voilà pourquoi ils ont construit des murs cent fois plus grands que celui de Berlin, comme celui qu'ils ont érigé à la frontière du Mexique, où chaque année meurent plus de personnes que celles qui sont mortes pendant tout le temps d'existence du fameux mur de Berlin. Et ce n'est pas pour éviter la contrebande de marchandises, mais pour empêcher les personnes d'y passer.
J'ai fait une autre estimation à propos des femmes qui meurent en couches. C'est un calcul très conservateur réalisé à partir de celles qui meurent à présent, car le taux de mortalité était plus élevé il y a vingt ans. Et selon ce calcul ultraconservateur, 25 millions de femmes sont mortes en couches.
Vous voyez bien que je n'ai parlé que de deux catégories d'êtres humains qui sont morts et qui auraient pu se sauver : les enfants de moins de cinq ans et les mères jeunes. Faites vous-mêmes le calcul de personnes, outre les enfants de moins de cinq ans et les femmes en couches, mortes pour des raisons diverses et qui auraient pu se sauver,
Qu'est-ce que cela ? Est-ce qu’il ne s’agit pas là d’un génocide ? On parle de la seconde guerre mondiale, un événement très triste, pendant laquelle 50 ou 60 millions de personnes sont mortes. On parle beaucoup des guerres, des holocaustes et des génocides, mais personne ne parle de ce génocide dont je viens de parler.
Qui est le coupable qu'il faudrait poursuivre en justice devant la Cour internationale de justice ? Le système, l'ordre économique régnant dans le monde; ce système qui se développe dans une direction, comme le soulignait le président Samper lorsqu'il parlait «d'une mondialisation guidée par la logique du marché», à laquelle il ajoutait la phrase «sans visage humain» - voyez bien la signification - «qui porte en soi les germes de sa destruction».
Excuse-moi, cher ami, je ne sais pas combien je peux te nuire en disant que cette phrase me rappelle une autre de Karl Marx, auteur d'un livre intitulé Le Capital; et je ne veux pas faire des imputations qui pourraient te nuire dans le domaine politique dans ton pays. «Qui porte en soi les germes de sa destruction». C'est exactement ce que nous pensons.
Les lois aveugles du marché conduisent vers cette mondialisation néolibérale, étape qu'il faudra inévitablement, semble-t-il, traverser, sans laisser pour autant de lutter au maximum pour atténuer au moins ses conséquences dures et amères, alors que les germes font leur travail et en attendant la mise en place d’un ordre mondial plus humain, plus juste et plus solidaire.
J'ai exprimé cette idée, en affirmant que cet ordre ou cette mondialisation néolibérale est intenable.
Cet ordre, ce système, doivent être poursuivis en justice devant la cour pour des crimes de guerre, pour génocide, même s'il s'agit d'une cour morale; ou du moins, qu'une cour ou un juge agissant dans la conscience de milliards d'êtres humains les jugent et les condamnent.
Nous avons confiance en l'humanité, en l'homme, et l'humanité ne permettra sa destruction, ni celle de sa nature, de ses eaux, de ses mers, de ses ressources. Non, elle réagira, car il y a quelque chose qui se développe partout, dans nos peuples : la conscience, les idées toujours plus claires sur ces réalités.
Ces idées sont reflétées dans votre déclaration, si juste, si logique et si raisonnable. Nous espérons qu'elle contribuera à réduire le nombre de ceux qui vont mourir et qui ne répéteront cette phrase célèbre des gladiateurs de la Rome antique: «Salut, César, ceux qui vont mourir te saluent !». Ceux qui meurent aujourd'hui si injustement peuvent dire aux césars du nouvel Empire : «A bas, César, ceux qui vont mourir te condamnent et te méprisent !».
Vos propositions ne sont pas des utopies. Il faut seulement avoir le courage de les comprendre et de lutter pour elles. Il est impérieux de défendre ce programme à toutes les instances, de le réitérer encore une fois au prochain sommet et dans toutes les réunions qui se tiendront en matière de santé.
Qui mieux que vous ? Croyez-vous que les sept ou les cinq grands, je ne sais pas combien de grands, vont-ils analyser à leurs réunions les budgets de santé de nos pays, ou du coût des médicaments et des technologies, ou de l'énorme inégalité existante, ou des millions d'êtres humains qui meurent ? Ceux qui meurent et qui peuvent se sauver sont à presque 100% des pauvres. Les enfants de moins de cinq ans qui meurent et qui auraient pu se sauver sont à 99%, voire à 100%, des enfants pauvres.
Je me suis étonné le jour où j'ai appris le nombre de femmes mortes en couches l'an dernier ou il y a deux ans, plus de 500 000, dont la plupart habitant dans les pays du tiers monde et 2 000 seulement dans les pays développés. Les femmes qui meurent sont pauvres elles aussi. Ces réunions ne vont pas aborder ces questions, mais les problèmes financiers, les taux d'intérêt, le libre-échange. Les pays pauvres, eux, ne vont recevoir aucune protection. Ce ne sont pas des problèmes de santé qu'on y discute. En revanche, les portes restent ouvertes toutes grandes aux sociétés transnationales, au capital financier international.
On n'y discute pas les questions que vous avez discutées ici, pas non plus l'aide au développement. A Genève, nous avons souligné que les Nations Unies avaient décidé que les pays industrialisés avaient le devoir moral d’apporter 0,7% de leur PIB pour contribuer à l'aide au développement. On avait réussi à atteindre graduellement le chiffre de 0,34%. Au fur et à mesure que progressait la vague de mondialisation néolibérale, ce chiffre a chuté à 0,24%; je crois que le taux pour cette année est de l’ordre de 0,22%.
Les pays nordiques ont atteint le chiffre de 0,7%, parfois plus. Lors d’une conversation avec le premier ministre de la Norvège quelques minutes avant de monter à la tribune, il m'a dit qu'il avait l'intention d'atteindre le chiffre de 1%. J'ai fait mes calculs et j’ai pu alors me rendre compte qu’avec 1% du PIB des pays industrialisés on pouvait réunir 200 milliards de dollars. Si ce miracle se concrétise, car ce serait vraiment un miracle et nous savons que ce miracle ne se produira pas, avec seulement un quart de ce 1% apporté par les pays industrialisés, tous les pays du tiers monde pourraient atteindre en quelques années les indicateurs de santé du monde développé. Il y aurait suffisamment d'argent pour impulser leur développement économique, notamment celui des pays les plus pauvres.
Nous savons qu'en Sierra Leone, pendant la première année de vie meurent 173 sur 1 000 enfants nés vivants et qu’une situation similaire existe dans d'autres pays. La situation n'est pas la même dans tous nos pays, il faut partir de ces faits, mais nous rencontrons certains problèmes communs : ceux qui ont été mentionnés ici et ceux à caractère économique qui concernent le service et les aspirations de santé de tous nos peuples. Les pays les plus pauvres de l’Afrique, mais aussi les plus avancés, les plus développés du tiers monde, ne disposent pas des ressources suffisantes pour développer leurs programmes de santé. Les pays les mieux dotés de ressources dans cet hémisphère, depuis la frontière du Mexique jusqu'à la Patagonie, manquent de ressources pour les consacrer à la santé, sans aucune exception; les budgets ne sont pas suffisants, nous le savons tous.
A quoi il faut ajouter que la région du monde où la distribution des richesses est la plus inégale c’est l'Amérique latine. Ce sont là des réalités : les inégalités entre une minorité riche et une immense majorité pauvre.
Je pense que certains pays les plus développés de notre région et qui sont mieux dotés de ressources, pourraient atteindre les niveaux de santé qui figurent au programme Santé pour tous en l'an 2000. Cela dépend d'autres facteurs. Mais, en ce qui concerne la situation sanitaire du monde, les objectifs sont loin d'être atteints; ils ont été ajournés pour l'an 2015. On verra ce qui va se passer. Au rythme actuel, en l’an 2015, il faudra revoir les chiffres et ajourner la réalisation des objectifs. Nous connaissons bien la situation réelle des pays du tiers monde, car nous avons voyagé un peu et avons eu le privilège, l'honneur de coopérer avec beaucoup d'entre eux.
A l'OMC, en écoutant ce que disait le président des Etats-Unis sur une société idyllique, celle qu'ils veulent nous présenter comme résultat du néolibéralisme, formée de milliards de personnes de classe moyenne, c'est-à-dire des sociétés d'un drôle de monde où il n’y aurait qu’une seule classe - pratiquement similaire à celle conçue par Karl Marx, mais en l’occurrence formée non pas de travailleurs, mais de citoyens de classe moyenne -, j'essayais d'imaginer l'Afrique, par exemple, transformée entièrement en classe moyenne dont Clinton délirait. Cette Afrique où le nombre de téléphones du continent tout entier est inférieur à celui de Tokyo ou de Manhattan. J'essayais d'imaginer tous ces pays avec des écoles, des niveaux de scolarisation élevés, sans analphabètes, avec services d'électricité, de communications, aux foyers avec non seulement une voiture, un téléviseur en couleurs et un téléphone, mais aussi avec un ordinateur relié à Internet. C'était vraiment pour éclater de rire, comme quand on écoute une histoire très drôle, mais pour respect, parce que la réunion était solennelle et, en plus, parce que c'est quelque chose qui provoque plutôt l'irritation, je me suis limité a sourire par-dedans et je me suis alors posé cette question : Est-ce qu'ils y croient vraiment ? Qui essaient-ils de tromper ? Evidemment, tout cela est sous-tendu par des revues, bourrées de propagande commerciale qui circulent en Afrique, les films, presque tous faits à Hollywood, la télévision avec sa propagande et ses feuilletons qui reflètent la vie, les moeurs et les goûts des sociétés riches.
Même l'Europe a été envahie par cette culture générée aux Etats-Unis, pour ne pas parler de l'Amérique latine. On connaît bien la situation du cinéma, ladite industrie de la récréation de l'Amérique latine, totalement ruinée par les sociétés transnationales nord-américaines, et tout ce qu'on y montre n'est qu'idéologie et culture en boîte, ce qui n'est pas très bon pour la santé mentale et le bon sens. Aucun enseignant, aucun psychologue ne le recommanderait.
Les sommes investies dans le monde en propagande pour inculquer ces idées, pour contrôler les esprits et pour aliéner les personnes, dépassent celles consacrées à la médecine. Ce sont des faits objectifs.
Je pourrais vous parler longuement de ce sujet et de bien d’autres; or, l’essentiel est de bien élaborer des idées, de lutter pour elles, et vous en avez déjà exposé les fondamentales.
La formation de professionnels est un sujet clé. Au triomphe de la Révolution, il n'y avait pas un nombre suffisant de médecins dans le pays et en plus, ils n'avaient pas la volonté d'aller exercer leur noble profession à la campagne. A présent, nos médecins sont prêts à aller à n'importe quel pays du monde, à n'importe quelle bourgade reculée. Nous sommes très fiers du fait qu'aujourd'hui quelques centaines de médecins cubains prêtent leurs concours en Afrique du Sud, déjà indépendant. Le cas de l’Afrique du Sud est très particulier. Voilà pourquoi il inspire tant de sympathie et d'admiration. A l'heure actuelle, ce pays entame des programmes sociaux au profit des dizaines de millions de personnes de sa population noire ou métisse qui n'ont pas eu l'occasion d'étudier, d'aller à l'école ou de recevoir des soins médicaux.
Nous avons été très honorés de la demande faite par ce pays dans le sens de recevoir un groupe élevé de médecins cubains -je crois en avoir parlé à Genève - qui ont déjà démontré que la langue n'est pas un obstacle pour dispenser les soins médicaux; à cette fin, ils ont dû étudier l'anglais d'une manière intensive pour passer les examens, et quand beaucoup d'entre eux sont arrivés au village où ils devaient travailler personne n'y parlait l’anglais - je ne sais pas (il regarde la ministre de la Santé de l'Afrique du Sud), c'est mon impression, si je dis quelque chose de faux je vous prie de me rectifier, mais c'est l'information reçue des médecins, c’est-à-dire qu’aux villages beaucoup de personnes ne parlaient pas l'anglais; alors, ils ont dû apprendre le dialecte du village, parce qu'il y a beaucoup de dialectes.
Je m'en réjouis énormément, car cela prouve que pour la coopération en matière de soins médicaux la langue n'est pas un obstacle, là où les médecins sont plus nécessaires. Pour faire des cours, pour l'alphabétisation, là, oui, il est impossible de surmonter les barrières linguistiques; or, pour ce qui est des soins médicaux, le médecin, le professionnel, peut se communiquer avec ses patients en très peu de temps et peut sauver beaucoup de vies.
Ne croyez pas que nous avons aidé les autres, ce sont les autres qui nous ont aidé, car les milliers de médecins qui ont coopéré dans d'autres pays - à peu près 25 000 - ont appris, ont connu le monde, ont développé leur conscience, leur esprit internationaliste et solidaire. Il ne faut pas seulement parler de notre aide au tiers monde, mais aussi de celle du tiers monde au développement de nos consciences et à la formation humaine de nos médecins.
Pour nous ce n'est pas un devoir, mais plutôt un avantage, car ce monde à venir, celui qui adviendra après la mondialisation néolibérale, ne saurait être conçu sans solidarité, sans une profonde conscience solidaire. Et c'est dans ce sens que nous avons essayé de former notre peuple, alors que notre voisin essaie de nous déformer et de nous aliéner par tous les moyens à sa portée, de nous éblouir avec ses modèles de consommation absurdes, une invention diabolique et inévitable de son système.
Quand l'homme a besoin de tant de choses, d'abord l'école et l'enseignant, l'hôpital et le médecin, les aliments, à quoi bon de lui inculquer l’idée d'une voiture énorme, semblable à celles qui roulent par les routes des Etats-Unis et ailleurs dans le monde, là où seule une minorité peut se payer le luxe de l'acheter, et où même les pauvres achètent souvent des voitures d'occasion ? Rien qu'avec les voitures qu'ils remplacent, les pays riches peuvent inonder le monde, encore plus facilement sans les barrières douanières. Puis, il faudra importer des carburants, des pièces détachées, des pneus et tout le reste. C'est une tragédie, un modèle de consommation intenable. Avec tant de problèmes à résoudre dans ce monde, avec tant de milliards d'habitants, de pauvres, d'analphabètes, d'affamés, de malades, de morts prématurés - je ne vais plus vous accabler encore une fois avec des chiffres et des données statistiques -, avec des besoins si pressants, et où l'air pur, l'eau potable, les ressources naturelles, les terres arables en érosion constante par l'empoisonnement chimique et la désertification, n’y suffiraient pas.
La China comptera d’ici quelques années - plutôt dans quelques décennies, car ce pays a réussi à freiner l'explosion démographique - 1,5 milliard d'habitants pour l'an 2050, peut être avant. Cependant, la population de l’Inde, à ses côtés, augmente plus rapidement que celle de la Chine. Seuls dans ces deux pays il y aura 3 milliards d'habitants.
Est-ce que le modèle de consommation occidentale, qui véhicule par le monde son système économique et social, est applicable à ces 3 milliards d'habitants ? Pour ne pas parler du Bangladesh, de l'Indonésie et de tous les autres pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.
C’est ce modèle-là ? Est-ce que nous sommes fous ? Peut-on nous tromper, nous qui avons été leurs colonies, qui avons donné notre sueur, notre sang, nos richesses naturelles pour que ces deux mondes puissent exister aujourd'hui, un monde superdéveloppé et chaque fois plus riche, et un autre appauvri, misérable et toujours plus démuni, et ce non pas à cause de l'imbécillité des habitants du tiers monde ou de l'infériorité humaine ou raciale de ceux qui y habitent ? Car le tiers monde renferme un grand mélange d'ethnies : des Chinois et des Indiens, des Arabes et des Noirs africains vivant en Afrique et ailleurs dans le monde; en Afrique et à Cuba, en Afrique et dans les Caraïbes. Nous sommes un mélange qui comprend aussi les Blancs d'origine européenne. Je suis absolument convaincu que ce mélange d'ethnies, que ces ethnies possèdent un potentiel d'intelligence extraordinaire. Qui oserait dire le contraire aux Cubains, qui ont accompli des missions internationalistes dans tant de pays ? Qui connaît les Africains mieux que nous ? J'aimerais bien imaginer une Afrique instruite, avec son talent et une technologie de pointe.
Qui peut ignorer le talent des Chinois ? On ne sait pas par hasard qu’aux olympiades de mathématiques ou d’autres matières, les Chinois décrochent presque toutes les médailles d’or ? Est-ce que les Chinois sont inférieurs à ceux qui les ont colonisés et dominés ? Ils ne sont pas inférieurs aux Japonais, aussi extraordinairement développés, tout comme ceux-ci ne sont pas non plus inférieurs aux Nord-Américains.
Le tiers monde déborde de travail, de sacrifice, de dévouement, de talent. Que tous ses talents, que toutes ses possibilités mentales et physiques soient déployés ! Oui, parce que les pays riches aménent chez eux ces personnes, non pas pour les éduquer, mais pour réaliser les travaux les plus pénibles qu'ils ne veulent plus réaliser, ou pour gagner des médailles olympiques. Et pour gagner des médailles olympiques, il faut non seulement les muscles et les réflexes mais aussi l’intelligence, parce que les combinaisons d'un match de basket-ball sont aussi compliquées que celles d'un match d'échecs, tout comme un match de volley-ball ou de football, très à la mode en ce moment. Et j'exprime toutes mes sympathies (il s'adresse au président Samper et à la délégation colombienne) à l'équipe fraternelle de la Colombie qui a été battue 2-0 par les Anglais. Les Anglais doivent m’excuser, je ne sais pas s’il y en a ici - à ma connaissance ils n'appartiennent pas encore au Mouvement des pays non alignés - mais je me réjouis beaucoup des victoires remportées par les Africains et les Latino-américains au football, sport difficile où il faut faire preuve non seulement de résistance et de capacité physique mais aussi de talent.
Il s’agit donc de libérer le talent, les potentialités de nos pays, car ce sont eux qui pourront sauver le monde, et non pas le détruire comme les autres.
Au Kyoto, par exemple, les débats portent sur les problèmes de l'environnement, sur les émanations des gaz et la politique de chacun. L'égoïsme du pays le plus riche ne s’exprime pas seulement par la question de l'environnement.
La contribution à l’aide au développement apportée par les Etats-Unis, par exemple, est la plus faible proportionnellement. Je ne me souviens pas si j'ai mentionné le chiffre lorsque j'ai abordé ce sujet. C'est moins de 1% de son PIB, soit 0,08%, dix fois moins par rapport à la Norvège et aux autres pays nordiques; et le PIB des Etats-Unis se monte à environ 10 billions de dollars.
Ils sont d’ailleurs les plus réticents à diminuer le taux des émanations des gaz. Au terme de longues discussions, ils se sont engagés au Japon à réduire pour l'an 2010 seulement 7% du niveau enregistré en 1990, qui était le point de repère par rapport auquel l'Europe était prête à réduire plus de 15%, même si les Etats-Unis consomment le quart du combustible mondial. Ah ! mais ils ont inventé un autre marché : le marché de contingents des émanations des gaz. Peut-on concevoir quelque chose de plus irrationnelle que la création d'un marché de contingents des émanations, et au lieu d’escompter les réductions réalisées par les pays concernant les émanations au niveau mondial, les vendre tout simplement pour que d'autres puissent les dépenser ? Si l’excédent d’un pays est de 20%, au lieu de libérer l'humanité de ce 20% d'émanations, ce droit est vendu sur le marché. Voyez jusqu’à quel point ils sont aveugles, fanatiques et fondamentalistes pour voir au marché le remède, la panacée universelle ! Les Etats-Unis s'opposaient à des réductions indispensables. En réalité, c’est ce pays qui a opposé la plus grande résistance à la conclusion d’un accord limité. Que pouvons-nous attendre d'un système et d'un monde régis par ces principes, par ces croyances ?
Or, une grande partie du tiers monde appartient au Mouvement des pays non alignés. Il y a eu certains qu'une fois reçu quelques prêts et en privatisant beaucoup de choses se sont déjà considérés comme faisant partie de l'autre monde et ont dit : «Ce groupe ne nous convient plus, on s'en va». Si quelqu'un a abandonné le Mouvement des pays non alignés, beaucoup d'autres viendront nous rejoindre.
Pourquoi attachons-nous une importance particulière à cette réunion convoquée par le Mouvement ? Tout simplement parce que le Mouvement des pays non alignés n'est pas un club pour riches. J'admets qu'il regroupe certains pays riches, et ce pour différentes raisons; certains d'eux traversent maintenant une crise dramatique à cause des cours du pétrole; or, ils ne peuvent être considérés comme des pays industrialisés ou classés dans cette catégorie.
Ils détiennent une ressource indispensable pour le monde, consommée surtout non pas par le tiers monde, mais par les pays industrialisés. Ils ont certes reçu des revenus plus élevés, mais ils appartiennent au tiers monde et j’aperçois le sens de la solidarité dans leurs expressions. Et c’était justement le tiers monde qui les a appuyé quand nombre d'entre eux ont nationalisé l'industrie pétrolière, à l'époque où il n'existait pas la vague actuelle de privatisations engendrée par la notion de mondialisation susmentionnée. Nous les avons appuyé en dépit du coût élevé que ceci représentait pour nombre de pays pauvres, non producteurs de pétrole; mais nous nous sommes solidarisés avec leur lutte. Et c’est aussi pour exprimer notre solidarité que nous avons appuyé ceux qui se sont unis pour défendre les prix de l'aluminium, entre autres cas similaires.
Ce Mouvement va se consolider, plutôt que s’affaiblir, car certains pays du premier monde ont grossi ces derniers temps les rangs du tiers monde. Il ne s’agit pas d’un club mais d’un Mouvement qui regroupe les pays les plus touchés par ces situations, par cet ordre mondial qu'on nous a imposé.
Nous représentons une majorité, une large majorité aux Nations Unies. Nous jouissons du droit de vote, au moins à l'Assemblée générale. Aussi, devons-nous lutter en faveur des transformations nécessaires au sein de cette organisation, ce qui est aujourd’hui plus impérieux que jamais auparavant.
Il faut lutter pour les réformes. Ils parlent trop de réformes. Hé bien, il faut réformer les Nations Unies. Les maîtres puissants de l'argent et des richesses du monde parlent trop de «démocratie», mais ils jouissent cependant des privilèges spéciaux aux Nations Unies. Il faut démocratiser les Nations Unies. Evidemment, on ne pourra y parvenir du jour au lendemain, car ils font l’impossible pour prolonger ce processus.
Il faut en parler, car cela concerne nos besoins, nos aspirations. Si l'on ne peut supprimer le droit de veto - la solution idéale -, il faut au moins élargir le nombre de membres pouvant l’exercer, et non seulement avec les pays riches.
Nous avons soulevé cette question et proposé que l'Amérique latine devait compter au moins deux membres permanents au sein du Conseil de sécurité; l'Afrique, deux membres permanents et l'Asie, l'Asie du tiers monde, outre la Chine, deux membres permanents. Nous ne sommes pas contre l'admission de quelques nouveaux membres du monde développé. Mais il faut avant tout faire preuve de justice avec les régions qui comptent des milliards d'habitants de la planète et qui ne sont pas représentées à cet organe.
Oui, nous sommes en faveur de son élargissement, et si l'on ne peut supprimer le droit de veto, les nouveaux membres doivent au moins jouir du même droit que les cinq autres, car ce pouvoir a été exercé à maintes reprises par le plus puissant de tous pour défendre des politiques injustes. Ce pouvoir, entre les mains des pays pauvres, pourrait être une arme pour défendre la cause la plus juste : leur propre cause. Il vaut mieux un privilège partagé qu'un privilège exclusif. Et je dis ceci car quelqu’un - quelqu-un que vous connaissez - a lancé une idée pour semer la discorde, l’idée d'un membre pour l'Amérique latine. Qu'est-ce que cela ? Qui a parlé d'un membre ? Pour quoi un seul membre ? Pourquoi l'Europe va-t-elle être représentée par quatre ou cinq membres, alors que l'Amérique latine et l’Afrique en auront un seulement ? Ils font déjà appel à la pomme de discorde pour nous diviser.
Si nous voulons demander plus, nous le ferons, pourquoi pas ? Le privilège doit être partagé pour que plusieurs pays du tiers monde puissent aussi jouir du droit de veto. Se laisser abuser serait une erreur colossale.
Je répète que la solution idéale serait de supprimer le droit de veto. Mais l’adoption de cette réforme dépend de ceux qui ont le droit d’y mettre leur veto. La décision finale sera prise par ceux qui ont le droit d’y mettre leur veto. Et ceux qui jouissent de ce droit n’y vont pas renoncer, tout comme ceux qui possèdent des armes nucléaires et qui ne veulent pas y renoncer.
Alors, va-t-il s'élargir ? Oui, mais la décision doit être adoptée aussi par l'Assemblée générale; il faut donc lutter, car personne ne vas nous faire des cadeaux. Pour atteindre nos objectifs, nous devons lutter et nous aider mutuellement, car nous représentons l'immense majorité au sein des Nations Unies, qui sera peut-être l'embryon de formes futures de direction, même de gouvernement. Et cette mondialisation qui semble arriver inévitablement et qui aura un jour, espérons-le, une autre expression, aura alors besoin de direction.
Evidemment, cette direction existe déjà, mais c'est une direction exercée par une puissance hégémonique, la seule superpuissance qui tente d'utiliser certains mécanismes aux Nations Unies. Pour la contrecarrer, il faut réformer et utiliser les mécanismes de cette organisation pour lutter contre cette domination. Et le Mouvement des pays non alignés, formé des pays qui sont l'immense majorité, a une force qui peut s'accroître au fur et à mesure qu’on en prenne conscience.
Face aux Sept Grands, nous, tous ensemble, nous sommes plus grands. Si nous nous unissons, nous pouvons être aussi grands que les Sept, même plus grands, même s'ils sont d’ordinaire accompagnés d’un autre invité. Certains disent sept, d’autres, huit; or, ceux qui font la pluie et le beau temps - comme on dit - ceux qui tiennent la queue de la poêle, sont les sept connus (Rires). Cela ne veut pas dire que nous sommes les ennemis des sept connus, pas du tout; mais il ne faut pas oublier aussi qu’au sein des Sept Grands il y a aussi des contradictions. Par exemple, le plus grand veut imposer ses intérêts et ses critères aux autres. Il ne faut pas simplifier, il faut tenir compte du déroulement des événements. A mon avis, ces contradictions ne portent pas préjudice à nos pays; il y a même parfois des communautés d’intérêts entre nos pays et certains des Sept Grands.
Le bon sens conseille de ne pas oublier ces facteurs dans nos luttes, n’est-ce pas, Monsieur le président ?
Le Mouvement des pays non alignés ne se réunit pas seulement tous les trois ans, mais presque tous les jours, car nos pays sont là, aux Nations Unies, pour nous représenter à l’Assemblée générale, autrement dit ils se réunissent systématiquement pour discuter des questions importantes.
Nous sommes malheureusement parfois divisés. Il faut lutter pour essayer d'éliminer tout ce qui puisse nous diviser. Il faut devenir oecuméniques. Pratiquons l'oecuménisme entre nos pays, indépendamment des ethnies, des religions, des conceptions politiques et sociales. Je ne parle pas de l'idéologie et de la culture de chacun, mais de situations qui nous touchent, de réalités quotidiennes.
C’est un mouvement qui a ses représentants aux Nations Unies, qui, à mon avis, doivent se réunir et travailler aujourd’hui plus que jamais. Au prochain sommet, nous aurons l’honneur de compter sur la présence d’une figure aussi illustre et éminente comme celle de Nelson Mandela, symbole de beaucoup de choses, entre autres, de la lutte héroïque, du talent politique et révolutionnaire de l’Afrique, qui a lutté énergiquement pour éliminer l’un des systèmes politiques les plus répugnants qui aient existé sur la Terre, un mélange de colonialisme, de capitalisme, de fascisme, d’esclavage et de racisme.
Grâce aux efforts consentis par la commission d'enquête sur les crimes commis par l'apartheid en Afrique du Sud - et j’apporte cet élément pour sous-tendre cette affirmation -, plusieurs scientifiques ont fait connaître les recherches qu'ils menaient à bien pour produire des maladies à l'intention de la population noire et non pas de la population blanche. Ils faisaient appel au génie génétique, à la biotechnologie, pour créer des bactéries auxquelles seulement la population noire serait sensible. On envisageait pratiquement l'extermination de la population d'un pays et de tout un continent. Et ce sont eux, les scientifiques eux-mêmes, ceux qui travaillaient dans ces recherches sur l’ordre du gouvernement, qui l'ont avoué. L'esprit répressif, génocide, impitoyable et inhumain de l'apartheid, est arrivé au point de mener à bien ces recherches et ces programmes.
Lorsque des dizaines de milliers de combattants cubains luttaient aux côtés des Angolais contre les troupes de l'apartheid, tout près de la frontière de la Namibie, l'Afrique du Sud détenait alors sept armes nucléaires. Cependant, personne n’a rien dit. Est-ce que quelqu'un peut croire que ceux qui ont le plus de satellites, d'espions et qui dépensent environ 30 milliards de dollars par an au titre de services d'intelligence et de transferts technologiques, ignoraient que l'Afrique du Sud possédait déjà sept armes nucléaires ? Nous nous en doutions. Nous avons conçu les tactiques, de concert avec les Angolais, pour entraver la possibilité d'une tentative de coup de ce genre; nous avons pris toutes les mesures de protection possibles, assurer l’emplacement d'armes antiaériennes et la maîtrise de l'air pour réduire au minimum les possibilités d'une attaque avec ce type d'armements.
Une fois l'apartheid disparu, on a informé le monde que ce régime avait alors sept armes nucléaires et que ceux qui contrôlaient ces armes avant l'accession de l’ANC au pouvoir les avaient détruites. Alors que cette question des essais et des armes nucléaires sont à la mode, il faudra promouvoir un peu plus de transparence sur ce qui s'est passé avec les armes nucléaires des racistes sud-africains.
Voyez jusqu'à quel point on est arrivé. Et c’est sur cette terre-là que se tiendra votre réunion, ce qui vous permettra peut-être de lire ou de demander les rapports sur la déclaration des médecins à propos des bactéries homicides produites pour liquider la population noire. Drôle d’idée de créer des bactéries racistes pour exterminer des ethnies complètes, alors que le monde et l’Afrique sont déjà saturés de bactéries et de maladies. Le Sommet de l'Afrique du Sud sera une grande réunion. Nous aspirons à ce que nos frères sud-africains, nos frères de l'ANC, qui dirigent ce pays avec tant de gloire et d'honneur, recueillent et soutiennent les aspirations de leurs frères du tiers monde qui s’est toujours solidarisé avec l'ANC et avec la lutte héroïque du peuple sud-africain contre l'apartheid.
Le privilège de nous réunir là-bas sera tout un symbole pour nous. Il faut oeuvrer, approfondir, éclaircir nos idées pour lutter ensemble, pour constituer la force que nous sommes ou que nous devons être, et avoir le droit à un avenir meilleur et plus humain, pour dénoncer énergiquement, dans ce pays qui a connu l'apartheid politique, d'autres types d'apartheid existant dans le monde. Comment peut-on définir la politique appliquée par les Etats-Unis avec leur blocus criminel contre Cuba ? Il s’agit là d’une politique d'apartheid économique et politique, d’une tentative de faire mourir notre peuple de faim et de maladies pour détruire sa Révolution et son exemple.
Dans son discours, le président Samper a fait allusion à l'apartheid technologique, l’une des questions que vous avez débattue ici. C'est tellement réel et évident qu'il n’y a pas de termes capables de le définir. C'est terrible que le fruit de l'intelligence humaine soit utilisé pour nous asservir, pour nous exploiter, pour nous piller, pour vendre parfois un médicament à un prix cinquante fois supérieures à son coût, dont les fameux cocktails contre le sida : dix mille dollars annuels pour qu'un homme, avalant des comprimés pendant toute la journée, ait l’espoir de survivre.
Ceux qui gagnent tant d’argent, sont-ils vraiment intéressés à produire un vaccin, à appliquer la technique la plus efficace et la plus productive, pour prévenir la maladie ? Nous espérons qu’il y aura des vaccins, y compris contre beaucoup de types de cancers et d'autres maladies.
L'homme ne peut pas être considéré comme une marchandise, pas non plus la santé de l’homme, car vendre, faire du commerce et s'enrichir aux dépens de la santé équivaut à vendre, à faire du commerce et à s'enrichir aux dépens des esclaves, cela équivaut à faire du commerce et à s'enrichir aux dépens de la vie humaine.
Il faut lutter contre tout cela. Tous ces phénomènes doivent être divulgués et dénoncés pour qu’on en prenne conscience.
Dans le cas de notre pays, comment aurions-nous pu mettre en pratique les programmes de santé sans développer, à partir de nos ressources modestes, la production de médicaments ? Nous produisons presque 90% des médicaments dont a besoin le pays. Il est vrai qu'il faut importer beaucoup de matières premières et de composants, mais nos chercheurs ont travaillé durement dans les formulations de ces médicaments.
Oui, nous payons les matières premières, parfois à des prix très élevés; or, les prix de beaucoup de médicaments importés, même les aspirines, sont aussi très élevés. On sait que la matière première de l'aspirine coûtait il y a quelques années des fractions de cents. Si l'on importait les composants et les matériels d'emballage nécessaires pour produire sur place les médicaments, on pourrait réduire sensiblement leurs coûts par rapport à ceux importés qui ont été produits aux laboratoires des transnationales. Qu'ils s'enrichissent sous le prétexte des recherches ! Les recherches sont nécessaires, certes, et parfois chères. Nos pays assument aussi les énormes coûts de la propagande utilisée par les grandes sociétés capitalistes pour promouvoir leurs produits qui peuvent souvent concurrencer les autres, mais sous des marques différentes.
Je pense qu'au lieu de dépenser tant d'argent dans le développement d'armements chaque fois plus sophistiquées, ceux qui détiennent les ressources devraient favoriser les recherches médicales et mettre au service de l'humanité les fruits de la science, en créant des instruments de santé et de vie, et non de mort. Il n'existerait pas alors le moindre prétexte de fixer ces prix aux médicaments. Le jour viendra où ces médicaments contre le sida, vendus d'abord à 15 dollars le comprimé, puis à 10, soit 10 000 dollars par personne et par an. (En ce moment on lui remet un papier). On me rappelle l'heure et à juste titre (c’est sur le programme d’activités de la visite officielle du président de la Colombie), je ne l’avais pas oublié. Seulement quelques minutes pour conclure. Selon nos informations, le prix de revient de ces comprimés peut être de l’ordre de moins de deux dollars.
Comment les peuples africains, incapables, faute de ressources, de freiner cette maladie qui est devenue une épidémie, peuvent-ils acheter les comprimés dont ont besoin des dizaines de millions de personnes ? Ou est-ce qu’ils sont condamnés à mourir inévitablement ? Les coupables de cette tragédie, ceux qui empêchent que des dizaines de millions de personnes puissent survivre parce qu’ils ne peuvent payer les prix de ces médicaments, ne sont-ils pas poursuivis en justice ?
L’administration de ces médicaments, aux prix actuels, à un million d’Africains atteints du sida, coûterait 10 milliards de dollars. Il y a des pays qui ont plusieurs millions de personnes contaminées, chiffre qui augmente tous les ans. Les sujets que vous avez analysés ici, sont-ils donc importants ou pas ? Alors, comment les ignorer, les nier ?
Une idée nous anime, et c’est que ces réalités soient comprises, divulguées, dénoncées, combattues. Voilà pourquoi ce mouvement est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.
Certains ont dit que la guerre froide étant terminée, le Mouvement des pays non alignés n’était plus nécessaire. Non, il est aujourd’hui plus nécessaire que jamais, car il est né dans un monde où existaient et concurrençaient deux grandes superpuissances. Nous vivons aujourd'hui dans un monde caractérisé par la domination mondiale d'une seule superpuissance, la plus puissante, qui ait jamais existé dans l’histoire, sur les terrains politique, économique, technologique et militaire.
Nous ne pouvons nous aligner sur la mondialisation néolibérale, sur toutes les injustices qui sont commises dans ce monde, sur les responsables de ces dizaines et dizaines de millions de personnes que perdent leurs vies tous les ans seulement dans le domaine de la santé.
Nous ne pouvons nous aligner sur le génocide, sur l'hégémonisme unipolaire, nous ne pouvons nous aligner sur quoi que ce soit qui puisse léser notre avenir et celui de l'humanité.
Aujourd'hui, nous devons préserver notre liberté, nos droits les plus légitimes et nos aspirations les plus justes, dans des circonstances les plus terribles et difficiles.
Nous serons toujours des pays non alignés et nous continuerons de nous appeler ainsi. Or, nous demeurerons alignés sur nos peuples et leurs intérêts, sur les meilleures causes de l'humanité, alignés et unis pour préserver la survie et l’avenir de tous les êtres humains de la planète.
Je vous remercie.
(Ovation)