Fidel, de bataille en bataille
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Lorsque Fidel Castro se tint debout sur le capot de ce véhicule amphibie qui, au milieu des inondations, ressemblait plutôt à une feuille de guasima qu'à un engin militaire, il eut réellement l’impression d’avoir sous les yeux le fleuve Amazone se déversant vers le golfe de Guacanayabo.
Le cyclone Flora [3 octobre 1963] avait tourné en boucle sur les provinces actuelles de Las Tunas, Granma, Holguin et Camagüey, avec un parcours aléatoire durant lequel les fortes pluies qui lui étaient associées, davantage que les vents, finirent par engloutir la vaste plaine du Cauto et, avec elle, la vie de 4 000 caballerias (53 680 hectares) de riz, des milliers de maisons et l'infrastructure routière de toute une région.
Même Valentina Terechkova, la première femme cosmonaute au monde, qui était de passage à Cuba, se porta volontaire pour apporter de l’aide aux villages inondés, une tâche dirigée par Fidel qui mobilisa les meilleurs pilotes du pays et ordonna de faire l'impossible pour sauver ces paysans parmi les plus humbles, comme ceux de Pinalito, qui travaillaient une partie de l'année à la récolte de la canne à sucre et l'autre partie à celle du café.
On raconte que, grâce à cette vision étendue qui le caractérisait, avant même la fin des crues provoquées par Flora, Fidel envoya chercher le commandant Faustino Pérez, et c’est sur place, sur le capot d'une jeep vert olive, autour d’une carte, que furent esquissées nombre des idées de ce qui deviendrait plus tard le programme qui prit le nom de « Volonté hydraulique » dans le pays, depuis lors une sorte d'obsession pour Fidel.
À partir des événements vécus dans la plaine du Cauto, lorsque nos pilotes d'hélicoptères violèrent toutes les règles de la navigation aérienne pour aller récupérer des personnes qui appelaient à l'aide sur les toits des cabanes, le commandant en chef comprit également l'importance de disposer d'un système de protection civile qui permettrait de prévoir et de prendre des décisions à temps, afin que la vie des personnes et la préservation des ressources matérielles ne soient pas à la merci de l'improvisation.
On ne peut pas affirmer catégoriquement que le programme de la « Volonté hydraulique » et le système de la Défense civile du pays ont pour seule origine les eaux du cyclone Flora — les deux projets ayant continué à s'enrichir de nouvelles expériences et de la vie quotidienne —, mais Fidel lui-même a reconnu plus d'une fois que cet ouragan, considéré comme l'une des plus grandes catastrophes ayant jamais frappé le pays, marqua un tournant dans la manière dont le pays faisait face à la nature.
UN LEADER CRÉATIF
L'épisode d'octobre 1963 ne fut pas unique. Pendant plus d'un demi-siècle, Fidel nous a habitués à anticiper les événements et, en même temps, à trouver des solutions créatives et durables face à la muraille que représentaient les obstacles les plus complexes. Une vertu qu'il sut cultiver dès l'époque de la Sierra Maestra.
Che Guevara et plusieurs analystes le décrivent comme un chef créatif, le guérillero qui, face au siège d'un ennemi très supérieur, apprit à se défendre en attaquant, à ne pas dormir deux nuits au même endroit pour ne pas donner trop d'indices à ses adversaires, à combiner le combat dans les montagnes avec la résistance dans les villes, à ouvrir de nouveaux fronts quand le moment fut venu d'étendre la guerre, et à savoir utiliser chaque homme et chaque ressource là où cela s’avérait le plus nécessaire.
C'est avec cette même philosophie qu'il conduisit les destinées du pays, mena des batailles internationales, gagna l'admiration du Tiers monde et des forces progressistes sur le plan international et qu'il affronta les circonstances les plus difficiles en tant que chef d'État, depuis une invasion de mercenaires et une crise nucléaire, jusqu'à plus de 600 tentatives d'assassinat, la chute du camp socialiste ou la désintégration de l'Union soviétique.
Lorsque les ennemis historiques de la Révolution tentèrent d'empêcher un geste aussi humain que la Campagne d'alphabétisation, Fidel Castro créa des bataillons de miliciens qui ratissèrent les montagnes de l’Escambray ; lorsque les entreprises étasuniennes refusèrent de traiter le pétrole soviétique, il nationalisa toutes les usines de raffinage existantes dans le pays et lorsque, des années plus tard, des agents ennemis introduisirent la dengue hémorragique, il mena une croisade sanitaire énergique et mit au point des thérapies pédiatriques, l'antécédent direct du système de soins intensifs qui existe aujourd'hui dans toutes les provinces.
Fidel nous a appris à ne pas répondre par des demi-mesures, des hésitations ou des patchs, mais par des décisions proportionnelles à l'ampleur du moment, souvent mesurées, comme l’exige la politique – « Cuba est contre le terrorisme et contre la guerre », répondit-il à Bush (Jr.) dans cette proclamation historique.
Des décisions souvent radicales, comme la mesure solomonique de restituer les pirates de l'air, seule solution face à la crise créée autour des vols entre Cuba et les États-Unis, et comme la décision de se rendre parmi la foule dans les rues de La Havane au milieu des événements violents du 5 août 1994.
Face au dogmatisme qui s'exprimait dans d'autres pays socialistes, Fidel créa le Pouvoir populaire, un système innovant de participation qui commence et finit avec le peuple. Face aux tentatives de violation de notre espace radioélectrique, il érigea un « rideau de fer » qui tourna en ridicule les chaînes contre-révolutionnaires Radio et Télévision Marti, et face à la proclamation de la « fin de l'histoire », à la prolifération des mensonges néolibéraux, au bourbier idéologique, au mauvais goût et à l'indécence mondialisée, il nous appela à former une culture générale intégrale qui nous sauverait de tous ces errements, ce qui est peut-être la dette la plus urgente que nous avons aujourd'hui envers sa mémoire.
LE COUP LE PLUS DUR
L'image de ce groupe d'universitaires, au milieu des années 1980, qui se cuisinaient une omelette pour le goûter au fond de la tranchée qu'ils creusaient à deux heures du matin sur la Loma de Quintero, à Santiago de Cuba, pourrait ressembler davantage à un épisode de réalisme magique qu'à une contribution concrète à la défense du pays, lorsque le camp socialiste et l'Union soviétique semblaient encore inamovibles.
À Cuba, cependant, deux personnes – Fidel et Raul – savaient que, face à une hypothétique intervention militaire sur l’Île par le gouvernement des États-Unis, à l'époque sous la présidence de Ronald Reagan (1981-1989), l'Union soviétique exprimerait son désaccord et protesterait vigoureusement à l'onu, mais ne s'impliquerait pas directement dans un conflit armé à des milliers de kilomètres de son territoire.
Fidel Castro, qui à cette époque était déjà guéri de ses craintes – il avait eu des désaccords avec les Soviétiques sur la gestion politique de la Crise des missiles et aussi sur la conception militaire de la campagne d'Angola – opta alors pour la doctrine de la Guerre de tout le peuple, une proposition qui rompait avec la stratégie défensive traditionnelle et assignait une mission spécifique aux millions de Cubains qui étaient prêts à défendre leur Révolution.
Mais, ce ne fut pas le pire : des années plus tard, il assista à la désintégration du bloc socialiste d'Europe de l'Est (1989), qu'il qualifia de « desmerengamiento » (mot inventé par Fidel qui signifierait collapsus) de l'urss (1991), un coup qui sembla mortel pour Cuba qui, en moins de 18 mois, perdit 35% de son Produit intérieur brut.
À cette époque, comme à l’heure actuelle, l'opportunisme et la haine de la Révolution étaient à l'ordre du jour ; le Congrès étasunien signa l’infâme Loi Torricelli (1992), un autre tour de vis dans l'escalade du blocus — ni le premier ni le dernier. Nombreux à Miami firent leurs valises, et un porte-parole enragé, l’un de ceux qui abondent toujours en Floride, Agustin Tamargo, sollicita un permis de tuer de trois jours sur l'archipel.
Entraîné dans l'art de la contre-attaque, Fidel Castro rejeta les propositions de reddition émanant y compris de certains « amis », et une fois de plus il fit confiance à la résilience des Cubains pour se sortir des circonstances les plus défavorables.
Il en résulta le renforcement de l'infrastructure touristique du pays, avec des extensions jusqu'aux cayos vierges qui entourent la grande île, et de nouveaux concepts de commercialisation de notre produit ; le développement de l'industrie biotechnologique, source de fierté pour un pays du Sud, pauvre et sous-développé, et l'exportation de services, une force qui repose sur le capital humain formé pendant 60 ans.
C'est précisément à cette même « résistance créative » que le Premier secrétaire du Parti et président Miguel Diaz-Canel fait appel pour faire avancer le pays, peut-être durant une « crue » aussi complexe que celle d'octobre 1963, lorsque Fidel pensa que l'Amazone se déversait dans les plaines du Cauto.