Discours prononcé par Fidel Castro Ruz à la Clôture du Congrès National de Coopératives de Canne à Sucre, le 18 août 1962
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Compañeros délégués,
L’histoire de notre agriculture depuis le début de la Révolution me revient à la mémoire. Je crois que ce Congrès qui se termine a une grande importance pour la Révolution. Et son importance sera peut-être plus visible clairement au fil des années. Ce Congrès a permis de faire un grand pas en avant.
Mais il faut que vous tous, et tous vos compagnons qui travaillent dans les plantations de canne à sucre, vous compreniez bien pourquoi c’est un grand pas en avant.
Nous devons d’abord savoir quels ont été les premiers pas en agriculture et pourquoi.
Vous tous, ouvriers agricoles qui travailliez dans les latifundios de canne à sucre, vous savez pertinemment ce qu’était la vie dans nos campagnes et surtout sur ces latifundios.
Au triomphe de la Révolution, le premier pas à faire était la réforme agraire. Vous vous rappellerez qu’on a commencé à en parler aussitôt après, que ça a commencé à intéresser le peuple, les travailleurs urbains.
Beaucoup de gens avaient sans doute entendu parler de la réforme agraire sans bien comprendre pourtant ce que ça voulait dire. Mais tout le monde estimait que ça devait être utile, que la situation dans les campagnes ne pouvait être pire et que tout changement dans les conditions de vie et de travail, et d’exploitation de la terre, serait bénéfique aux paysans.
Mais la réforme agraire est l’une des tâches les plus complexes d’une révolution, et aussi l’une des plus difficiles. Tout ce qui concerne le régime de propriété de la terre et son mode d’exploitation est bien plus complexe que ce qui concerne le mode de travail dans l’industrie. Révolutionner le système de production industriel, par exemple, est bien plus simple que révolutionner les campagnes.
Dans nos campagnes, il existait deux types de production : le grand latifundio et le petit agriculteur. Le grand latifundio, surtout celui consacré à la canne à sucre, exploitait une quantité de travailleurs considérable. Parmi les petits agriculteurs, les catégories étaient différentes : le propriétaire de sa terre, une minorité ; le détenteur précaire, comme les cultivateurs de café et de cacao dans les montagnes, qui, tout en ne payant pas de rente, étaient constamment menacés d’expulsion ; et le petit paysan qui payait une rente, ces deux dernières catégories constituant la grande majorité. Il y avait donc deux types de propriété de la terre : le petit agriculteur qui cultivait sa terre ; et le propriétaire qui ne travaillait pas sa terre, qui vivait souvent très loin d’elle et qui employait parfois des centaines de travailleurs, et parfois des milliers quand il s’agissait d’un grand latifundio comme celui de l’United Fruit.
Quand nous avons décidé de faire la première loi révolutionnaire qui était cruciale pour changer ce système de production, nous avons tracé les lignes essentielles suivantes : d’abord, éliminer le latifundio ; ensuite, éliminer le système de rentes, autrement dit libérer les paysans des rentes qu’ils devaient payer soit comme colons soit comme métayers ; garantir aux détenteurs précaires la possession de la terre qu’ils travaillaient.
L’autre point était la production des grands latifundios. On avait beaucoup affirmé – et c’était le mot d’ordre à une époque où notre pays ne pouvait aspirer qu’à des victoires partielles, à des solutions partielles, quand il était impossible d’envisager une révolution totale, sinon partielle – que la réforme agraire devait consister en la distribution des terres. Cette idée comptait de nombreux partisans, et beaucoup de gens estimaient que c’était en ça que devait consister la réforme agraire.
Heureusement, notre Révolution a vu juste, et a eu assez d’audace pour tenter d’instaurer sur ces terres-là un système d’exploitation bien plus avancé. Et pourquoi la Révolution a-t-elle vu juste ? Aujourd’hui, c’est très facile à comprendre.
La distribution des grands latifundios aurait probablement ruiné la Révolution. Si elle avait divisé les terres, les résultats en auraient été catastrophiques. Il y avait d’abord le problème pratique de la façon dont il aurait fallu diviser les terres, car nous savons tous qu’elles ont des caractéristiques différentes et que, dans un même latifundio, il y a des terres fertiles, des terres plus fertiles, d’autres qui le sont moins, certaines qui servent pour une chose et d’autres qui servent pour une autre.
Politiquement parlant, il aurait été plus facile de distribuer ces terres-là. Et, d’un point de vue pratique, la Révolution aurait eu moins de tâches sur le dos. Mais ce qui paraît le plus facile à un moment donné n’est pas souvent le mieux à la longue.
Tout le monde comprend le résultat qu’entraîne la division des terres. D’abord, il n’y a pas assez de terres pour tous ceux qui les souhaitaient. Quand la loi a été promulguée, je me rappelle que quelqu’un a eu l’idée d’imprimer des formulaires pour savoir qui voulait des terres. Nous nous sommes rendus compte à temps que ces formulaires allaient avoir un résultat désastreux, parce que tout le monde voulait des terres, même les gens vivant dans les villes !
Si l’on distribuait un latifundio aux ouvriers agricoles qui le travaillaient, une grande partie se serait retrouvée sans terre ou alors il aurait fallu le diviser en lopins si petits que ça n’aurait même pas servi à leur subsistance. Prenez par exemple un latifundio rizicole de cent caballerías (1 340 hectares) ou de deux cents (2 680 hectares) distribué entre trois cents ou quatre cents familles, où chacune, en plus du riz, construirait un logement où vivre et produirait des tubercules comestibles et autres pour pouvoir survivre. De plus, le système d’irrigation sur ce genre de latifundio se fait par lots de dix (134 hectares), vingt (268 hectares) ou trente caballerías (302 hectares) ; alors, il aurait fallu y renoncer, ou alors chaque famille se serait retrouvée isolée comme un îlot au milieu d’un océan de riz…
Il se serait passé à peu pareil avec les latifundios de canne à sucre. Et pire encore dans l’élevage. La distribution de ces latifundios d’élevage avec leur cheptel aurait créé à la Révolution un de ses problèmes les plus graves. D’abord, parce qu’allez savoir combien de bêtes auraient été abattues ? Et surtout quand la Révolution se serait retrouvée face au problème – celui que nous avons maintenant – d’une demande extraordinairement accrue à la fois de viande et de cuir. Dans ces conditions-là, nous n’aurions pas pu le régler. Il n’est d’ailleurs pas réglé maintenant, mais nous avons toutes les conditions et tous les moyens et toutes les possibilités de le faire. La viande, et surtout la viande de bœuf ne suffit pas aujourd’hui, compte tenu de la demande actuelle de la population. Pour la satisfaire, il faudrait abattre non seulement les animaux adultes, mais aussi les vaches, les jeunes animaux et même les veaux. Bref, si on abattait tous les animaux qu’il faut pour satisfaire la demande actuelle, parce que la population a maintenant les ressources nécessaires pour acheter de la viande, il ne resterait plus une seule bête d’ici trois ou quatre ans.
Par ailleurs, on disposerait de toujours moins de peaux, d’année en année, pour faire des chaussures. Vous savez combien nous avons de problèmes avec la chaussure. Mais ces problèmes n’ont qu’une solution : la production. Dans ce cas précis, la production de chaussure est étroitement liée à celle de viande de bœuf.
Quelle serait la situation, aujourd’hui, si nous disposions de moitié moins de viande, de moitié moins de cuir, et si nous ne pouvions pas calculer, comme nous pouvons le faire maintenant, le nombre de bêtes qu’il faudra abattre à l’avenir, le nombre de peaux et donc le nombre de chaussures que nous pourrions produire ?
Ce n’est pas tout. Prenez n’importe quel programme de développement de l’élevage par insémination artificielle, par importation et sélection de taureaux. Une chose est de faire un plan d’insémination artificielle, de sélection, de développement du cheptel dans un grand centre qui compte des centaines ou des milliers de têtes, et une autre de le faire quand vous devez en discuter avec des milliers ou des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de petits éleveurs… Pas seulement pour les bovins, mais aussi pour les porcins, qui exigent toute une série de conditions, de besoins, de soins vétérinaires, d’aliments. Il serait difficile, voire impossible, de lancer un plan de développement sur des terres divisées en dizaines de milliers de lopins, chaque éleveur avec son style, avec ses méthodes, ses idées. C’est pareil pour n’importe quel programme de sélection et d’amélioration des cultures, ou d’irrigation. Autrement dit, en matière de production, nous nous retrouverions dans une situation inextricable.
Sans parler d’autres problèmes, comme la vie des travailleurs agricoles. Si on avait divisé ces latifundios, chacun aurait construit sa chaumière sur son petit lopin ; l’école se serait trouvée peut-être à des kilomètres de distance ; il serait impossible de faire venir l’électricité ; ou de construire des chemins, des routes, des égouts, des centres de loisirs, des commerces, etc.
Il aurait été impossible de construire un seul des nombreux villages que nous avons construits, et qui ne représentent pourtant qu’une partie des besoins dans les campagnes. Il serait impossible d’assimiler la vie paysanne à la vie urbaine ; d’apporter aux campagnes le confort qui existe dans les villes ; d’avoir une école en pleine campagne pour deux ou trois cents élèves ; de faire des activités artistiques, culturelles et autres ; d’avoir l’eau courante, l’électricité, les égouts, les rues ; bref de faire à aucun endroit de la campagne ce qu’on peut faire dans un petit village, car ces petits villages ne peuvent exister que si les terres sont travaillées collectivement.
Mais il y aurait d’autres conséquences économiques, politiques et sociales. Le fait est que, alors que la demande de produits est forte, que, par suite de la sécheresse, des mauvaises gestions et d’erreurs, la production agricole n’a pas augmenté assez pour satisfaire cette demande, on constate une certaine spéculation au sujet des produits agricoles, et une hausse des prix.
Où cela se passe-t-il ? Comment ? Pourquoi ? Pourquoi le prix de la viande ne change-t-il pas ? Pourquoi les prix de la viande de volaille distribuée dans les villes ne changent-ils pas ? Pourquoi ces produits, qui sont essentiels, ne se vendent-ils pas à trois ou quatre pesos ? Pourquoi les prix des produits du porc ne varient-ils pas ? Pourquoi trois dindes ne valent-elles pas cinquante pesos en ville, ni quatre poules vingt pesos ? Pourquoi ? Parce que ces produits viennent des fermes ! Parce que les animaux abattus en ville sont élevés dans des fermes ! Parce que les produits des fermes arrivent directement dans les villes, à des prix raisonnables, à des prix déjà fixés ! Ces produits sont sûrs parce qu’ils vont des centres de production aux centres de distribution. Quels sont les produits qui font l’objet d’une spéculation ? Les produits cultivés sur des lopins isolés.
Que s’est-il passé par exemple avec le taro de Rancho Mundito, en Pinar del Río, qui a été semé grâce à des crédits octroyés par la Révolution sur des terres dont la Révolution a rendu les paysans propriétaires, et qui était destiné aux enfants de La Havane ? Les paysans ont profité des crédits, ont semé, ont produit, mais que s’est-il passé ? Que s’est-il passé quand le Gouvernement révolutionnaire, pour éviter des gênes aux agriculteurs indépendants, pour ne pas avoir à prendre de mesures qui compliquent leur vie, a décidé de mettre fin à certaines habitudes, à certaines méthodes utilisées par les organismes qui achetaient les produits, et qu’il a autorisé les paysans à vendre pour leur compte ? Eh ! bien, tous ceux qui avaient des voitures et de l’argent sont allés à Rancho Mundito acheter le taro, certains pour le garder chez eux, et d’autres pour le vendre le double, le triple ou le quadruple, si bien que des citadins y ont acheté directement en un seul dimanche cent cinquante tonnes du taro destiné à alimenter les enfants des villes pendant plusieurs jours ! Celui qui avait une voiture et avait ramené cinquante kilos de taro avait assuré l’alimentation de ses enfants et de sa famille pour plusieurs semaines. Mais le spéculateur, qui avait acheté le taro pour le revendre, l’a revendu trois ou quatre fois plus cher aux familles qui n’avaient pas de voiture ; et les familles qui n’avaient pas les moyens de payer ce prix se sont retrouvées sans taro ! Le spéculateur, en revendant à des prix très supérieurs, a causé des problèmes d’approvisionnement à toute la population et, pis encore, corrompt le paysan ! C’est ça le pire ! Il corrompt les gens en éveillant en eux une ambition démesurée que ceux-ci ne peuvent satisfaire qu’en imposant des sacrifices et des souffrances au reste des citoyens.
Or, aucun individu dans la société ne peut se passer des autres, personne ! Quand quelqu’un veut vivre aux dépens des besoins des autres et en leur imposant des souffrances, il agit en antisocial, il agit injustement. Il oublie qu’il a besoin à son tour des autres, parce que celui qui produit un produit donné dans la campagne et veut se le faire payer dix fois plus cher que le prix juste, n’aimerait pas qu’on veut lui fasse payer le paquet de cigarettes dont il a besoin dix fois plus cher, ou les chaussures ou les vêtements dont il a besoin, ou alors le pétrole lampant, le médicament, ou le riz, les haricots noirs, le sel, le sucre, bref qu’on lui fasse payer les mille produits dont il a besoin pour vivre dix fois plus cher ! (Applaudissements.) Si nous oublions ça, alors nous oublions que tout le monde travaille en définitive pour tout le monde, que nous avons tous besoin de travailler pour tous les autres.
Dans une société, de combien de produits avons-nous besoin ? Ici même, de combien ? La lumière électrique, les sièges où vous êtes assis… il y a eu des ouvriers, des menuisiers, des décorateurs qui ont organisé tout ça. Les vêtements que vous portez, les chaussures, la pièce où vous dormez, la nourriture qu’on vous a servie, les trains dans lesquels vous avez voyagé, tout est le fruit du travail des autres ! On ne pourrait pas faire un pas dans la journée sans le travail d’autrui. Nous n’aurions pas de lumière, pas de téléphone, pas de transport, pas d’essence, pas de vêtements, pas de chaussures, si chacun vivait de ce qu’il produit. Pas de médicaments, pas de professeurs, pas de médecins, pas de poste, nous n’aurions pratiquement rien, parce que c’est une vérité élémentaire que nous dépendons tous du travail d’autrui.
Si celui qui produit quelque chose veut encaisser dix fois le prix juste, il ne peut le faire qu’en volant les autres (applaudissements). Celui qui veut vendre dix fois plus cher et payer ce qu’il consomme au prix juste ne peut le faire qu’en volant les restes des citoyens ! Par ailleurs, quand un bourgeois de la ville arrive en voiture et qu’il offre à un paysan, qui ne comprend rien à ça, qui a été seulement obsédé toute sa vie par l’argent parce qu’il vivait dans un monde où l’argent était tout, de lui acheter cinquante kilos de tubercules non à quatre pesos, qui est le prix juste, autrement dit le prix que peuvent payer les autres travailleurs, mais à dix pesos et fait miroiter aux yeux de ce paysan la possibilité de gagner trois ou quatre fois plus que ce qu’il avait pensé, et que celui-ci le fait sans penser à rien d’autre, comme si c’était naturel ou comme si c’était un droit, et qu’il vend ces tubercules à dix ou quinze pesos, ou alors qu’il s’installe sur le bord de la route et vend les trois dindes à cinquante pesos, quels sont ceux qui peuvent manger des tubercules, quels sont ceux qui peuvent manger une fricassée de dinde ? Les riches, les bourgeois qui vivent en ville ! Ou alors quand on vend un porc de quarante kilos à quatre-vingts pesos, quel ouvrier peut le consommer ? Car cet ouvrier doit gagner quatre-vingts ou cent pesos pour produire du sucre vendu bon marché, du sel bon marché, de la viande bon marché pour tout le peuple et pour tous les travailleurs… Et il ne peut manger de la dinde, de la viande de porc, ses enfants ne peuvent pas manger de taro, et les seuls qui peuvent le faire sont ceux qui ont des voitures, ceux qui ont de gros revenus, et qui, par-dessus le marché, ne produisent absolument rien !
Ça, n’importe qui le comprend, et vous, travailleurs de toute la vie, vous le comprenez parfaitement ! (Applaudissements.)
Résultat ? Les riches qui sont restés vivent bien. Mais il ne s’agit pas seulement des torts qu’ils causent, ils sèment aussi la convoitise, l’ambition, la corruption et la démoralisation chez ce petit agriculteur, qui est quelqu’un de modeste, qui est un travailleur, qui n’est pas un parasite… En effet, le vrai parasite, lui, ne peut pas faire autrement qu’agir en parasite, que le répandre, que de créer des parasites tout autour de lui. Il ne se borne pas à en être un : il veut que le paysan en soit un aussi.
Ça, dans une ferme du peuple, ça n’arrive pas. Malgré toutes les déficiences, toutes les erreurs, toutes les choses mal faites, ça n’arrive pas dans une ferme du peuple. Si on a dix caballerías de taro, aucun bourgeois ne peut se pointer et dire : « Je vous paie dix pesos les cinquante kilos. » Aucun spéculateur ne peut se pointer pour acheter plus cher et voler ensuite les travailleurs. Les dix caballarías, le peuple peut compter sur elles, et les enfants, à un prix juste (applaudissements).
De la même manière, l’ouvrier de cette ferme a le droit qu’on lui vende les articles industriels à un prix juste – les cigarettes, le tabac, tous les aliments que la ferme ne produit pas, les vêtements, les chaussures, les médicaments, tout ce qu’il faut pour le transport…
Je vous ai énuméré différentes conséquences. Avoir distribué les latifundios n’aurait pas seulement diminué extraordinairement notre production, ça nous aurait également laissé sans base pour développer rapidement notre économie agricole, ça nous aurait empêché de donner un emploi à tous ceux qui étaient sans travail dans nos campagnes. Et notre population n’aurait pu compter sur aucun approvisionnement sûr, et la spéculation se serait multipliée à l’infini.
Il y a aussi quelque chose de très juste et de très clair. Prenez par exemple une ferme du peuple à La Havane, avec des centaines d’ouvriers et qui produit mille ou deux mille litres de lait. Si ce lait était vendu librement, il serait sûrement écoulé en sa totalité dans cette ferme. Or, tout le lait ne peut rester dans cette ferme, il doit en rester seulement une partie, parce qu’il faut penser au reste de la population, aux ouvriers qui vivent en ville avec leurs familles et leurs enfants. Donc, une partie de ce lait est distribuée, parce que les villes ont besoin de lait. Mais ça ne pourrait pas se faire si on avait divisé les latifundios. En effet, le producteur indépendant pense d’abord à lui, à sa propre consommation ; ensuite, si quelqu’un vient acheter à un prix plus élevé, il le lui vend bien entendu, parce que les devoirs sociaux ne sont pas encore compris clairement. Mais il faut bien assurer les approvisionnements des villes.
Sans parler de bien d’autres choses. Par exemple, quand vous faites entrer des milliers de jeunes paysans dans une école. Ce n’est pas pareil quand vous disposez d’un certain nombre de fermes ou de coopératives, ou de fermes appelées coopératives (applaudissements). Avant, quand on l’envoyait mille jeunes faire des études en Union soviétique, par exemple, il fallait envoyer une communication à des centaines de sites…
Donc, de tous les points de vue, nous le voyons maintenant clairement, nous avons été bien avisés et ça a été un grand pas en avant de la Révolution de passer du latifundio aux centres de production collective. Oui, malgré toutes les difficultés, malgré toutes les déficiences, ça a été de toute façon un grand pas en avant.
Le chômage rural a été liquidé, vous le savez. Le problème aujourd’hui dans bien des endroits de la campagne, c’est qu’il n’y a pas assez de bras pour tout ce qu’il y a à faire. Vous connaissez bien, puisque vous êtes des travailleurs de la canne à sucre qui êtes nés et qui avez grandi pratiquement au milieu des plantations, et qui connaissez du dedans les entrailles du latifundio, la « morte-saison », les bons pour tout salaire, les mauvais traitements, les abus, l’ignorance, la carence de maîtres, de médecins, la carence de tout dans nos campagnes (applaudissements) ; vous connaissez tout ça, et vous savez que maintenant, vous n’avez plus à mettre le baluchon sur l’épaule et à prendre vos enfants affamés par la main pour aller chercher du travail à la récolte du café, par exemple (applaudissements), ou émigrer très loin, ou chercher un recruteur de voix pour qu’il vous trouve du travail dans les travaux publics ou vous trouve n’importe quel emploi, n’importe lequel, ou, en ultime instance, vous achète votre carte d’électeur pour voter pour n’importe lequel de ces misérables. Vous n’avez plus à faire ça.
Ce qui explique pourquoi des paysans qui provenaient comme vous du latifundio sont allés comme détenteurs précaires semer du café dans les montagnes, le seul endroit où on pouvait le cultiver parce que le latifundio de canne et d’élevage avait tout dévoré et que le café n’intéressait pas les latifundistes ; et s’il y a du café à Cuba, c’est grâce à ces paysans qui, fuyant la morte-saison et la faim, se sont installés dans les montagnes après bien des difficultés. Mais ce café se trouve dans ces parages éloignés, et si on pouvait le cueillir, c’est parce qu’il y avait des dizaines et des centaines de milliers d’hommes dans les campagnes qui n’avaient pas de travail.
La Révolution règle un problème élémentaire, le chômage dans les campagnes, et si elle peut le faire, c’est parce qu’elle n’a pas distribué ni divisé les latifundios, ce qui a permis d’intensifier et de techniciser l’agriculture, de développer de grandes semailles. Et maintenant, la Révolution a un autre problème : qui cueille le café ?
Mais la Révolution trouve des solutions à tout (applaudissements), parce qu’elle tire de la force, des ressources de ses propres œuvres. Et comme l’une de ses œuvres est justement le développement extraordinaire de l’éducation, et que des dizaines et des dizaines de milliers de jeunes font maintenant des études payées par la nation, elle peut mobiliser ces jeunes, mobiliser leur enthousiasme, leur énergie, comme elle l’a fait quand elle les a envoyés enseigner dans les montagnes. La Révolution règle donc le problème par ses propres ressources, grâce à ses propres fruits (applaudissements).
Ainsi donc, ces paysans ne se retrouveront pas sans bras pour cueillir leur café, et n’auront pas à regretter que leurs frères des plaines y aient du travail. La Révolution trouve toujours une solution à tout, en faveur du peuple, et le peuple trouve toujours une manière de s’en sortir. Ce paysan n’aura donc pas à se plaindre de la chance de ses frères, parce que quelqu’un sera là pour cueillir son café.
On voit que malgré tout ce qu’il nous faut encore avancer – et Dieu sait si nous avons à avancer ! – malgré tout ce qu’il nous reste encore à faire – et Dieu sait s’il y a à faire ! – quelque chose s’est fait, quelque chose a changé. Et quand nous devons dresser le bilan de nos difficultés, de nos erreurs, quand nous devons prendre de nouvelles mesures, nous ne partons pas d’en bas de la pente, nous avons déjà grimpé pas mal : nos problèmes ne sont plus ceux du premier jour, ceux du début ; ils correspondent à une étape où nous avons réglé bien des maux du passé.
Comment la production a-t-elle été organisée dans les campagnes ? La Révolution n’a pas distribué ces terres-là. Que faire ? Des centres de production collective. Quel genre de centres ? De deux sortes : la tentative de coopérative pour les plantations de canne, et les fermes d’État collectives dans les latifundios d’élevage et de riz, et sur les terres vierges.
La Révolution a fait un pas audacieux : pas de partage de ces latifundios. Quand elle a organisé la production, elle a adopté deux systèmes d’exploitation agricole : coopérative et ferme d’État, qui vont de pair.
Sur les latifundios de canne, on a organisé plus de six cents coopératives ; sur les latifundios d’élevage et sur les terres vierges, plus de trois cents fermes du peuple.
Vous savez tous, compañeros, combien nous nous sommes intéressés à ça, la quantité de fois que nous avons eu des réunions, les efforts que nous avons faits pour que ce dernier système progresse. Dans les plantations de canne, qui est-ce qui ne se souvient pas de cette première initiative d’installer une laiterie dans chaque coopérative, des crédits octroyés, des instructions données, de tous ces projets, des villages, de la solution du problème du logement ?
Bien entendu, il était impossible de régler certains problèmes en si peu de temps, comme celui du logement.
Combien de cours on a organisé pour former des mécaniciens, des techniciens pour l’agriculture, pour l’élevage ? Vous savez que dans chaque coopérative, des jeunes sont allés faire des études.
Ces deux systèmes marchent parallèlement, soumis à l’épreuve de la réalité. Ils ne sont pas pareils : la coopérative est un centre collectif différent de la ferme du peuple ; la ferme du peuple est comme une usine, et le fermier y est comme un ouvrier d’usine ; tandis que la coopérative est un ensemble de travailleurs qui travaillent à leur compte, pas au compte de la nation.
Il est donc logique que leur comptabilité soit différente. Comme le coopérateur travaille à son compte, la seule chose qu’il reçoit gratuitement, c’est la terre : tout le reste, les investissements, les machines, les logements doivent être comptabilisés et payés. Comme la production lui revient, il doit payer les instruments de travail, les investissements, les logements…
Le cas de l’ouvrier de la ferme n’est pas pareil. Il n’a pas à payer les investissements, les machines… Bien mieux, la Révolution a décidé qu’il n’aura pas à payer non plus le logement, l’électricité, l’eau.
La différence est donc la suivante : comme l’ouvrier de la ferme travaille au compte de la nation, il a le droit de recevoir les instruments de travail et tous les avantages possibles qu’elle peut lui offrir ; le coopérateur, non : le coopérateur doit payer. À crédit, bien entendu. Dans une première étape, du moins… S’il devait payer les machines, les investissements, le logement, il devait avoir une très forte productivité ; si les gens s’embourgeoisent, alors, combien d’années mettront-ils à payer ? Impossible de le préciser.
Il est logique aussi, par ailleurs, que si l’État importe dix mille vaches de race à très forte productivité laitière, il les destine aux fermes d’État dont les produits sont pour la nation, et non aux coopératives ; que s’il importe vingt mille porcs, ce soit pour la ferme ; que s’il introduit l’insémination artificielle, il l’introduise d’abord dans la ferme ; et c’est pareil pour les semences spéciales, pour les nouvelles techniques, le maïs hybride par exemple. On peut même discuter pour savoir si les premiers logements doivent être destinés aux ouvriers des fermes, qui travaillent au compte de la nation, ou aux coopérateurs qui travaillent à leur compte (applaudissements).
Mais dans la coopérative, il y avait un problème qui ne se posait pas dans la ferme : ceux qui travaillent dans les fermes sont des ouvriers, ils n’exploitent personne, tout le monde est pareil. Dans les coopératives, il y avait un problème : un certain nombre de gens étaient des coopérateurs, mais les autres, qu’est-ce qu’ils étaient ? Des travailleurs de seconde classe, des marginalisés, ils n’étaient rien ; comme ils n’étaient pas des coopérateurs, ils étaient toujours les derniers, ils travaillaient pour les coopérateurs quand il le fallait ; au moment de la distribution, ils ne recevaient rien : les logements, les droits, les avantages, c’était d’abord pour les coopérateurs.
Et comme l’agriculture fonctionne comme ça, qu’elle a besoin de plus de bras à des moments donnés, il était triste de penser à ce travailleur de la campagne pareil aux autres, tout aussi victime que les autres de l’exploitation par le passé, tout aussi victime des mêmes souffrances que les autres… et même si la Révolution a amélioré bien des choses par rapport au passé, même si elle a introduit bien plus de justice que par le passé, il continuait d’exister cette injustice difficile à comprendre, difficile à accepter en s’y résignant. Il restait donc un paria dans les campagnes, qui n’était pas coopérateur, qui n’était rien. Pourquoi ? Parce qu’il a eu la malchance d’être différent des autres, alors qu’il avait les mêmes besoins que les autres, les mêmes préoccupations… Et il devait donc avoir les mêmes droits (applaudissements).
Ainsi donc, même si on avait fait un grand pas en avant, il ne répondait pas pourtant à l’idée de la justice la plus parfaite.
En effet, quels sont ceux qui étaient devenus parfois, tout d’un coup, des demi-exploiteurs du travail d’autrui ? D’anciens ouvriers ! Quelle contradiction ! La liquidation du latifundio, une mesure qui a été un grand pas en avant, faisait faire à une masse de prolétaires – et une des masses les plus combatives, les plus aguerries et les plus révolutionnaires, autrement dit l’ouvrier de la canne – un pas en arrière, lui faisait perdre sa condition de prolétaires. Ainsi donc, ceux qui restaient prolétaires au milieu d’une Révolution fondée sur la justice continuaient d’être exploités, tandis qu’une masse bonne et révolutionnaire cessait, sans que personne le veuille, d’être prolétarienne pour se convertir en des demi-exploiteurs (applaudissements).
Où travaillaient les travailleurs agricoles les plus révolutionnaires, les plus exploités, les plus militants ? Pas sur les latifundios d’élevage, où il n’y avait bien souvent qu’un nombre réduit de péons. Non, la masse traditionnellement la plus combative, la plus révolutionnaire du prolétariat agricole, c’étaient les travailleurs de la canne à sucre, les ouvriers des latifundios de canne à sucre. Et quand la Révolution devenait prolétarienne, quand le pays faisait un pas dans son histoire vers le grand moment où ses destinées n’étaient plus aux mains de bourgeois exploiteurs, de propriétaires terriens, d’impérialistes flibustiers, vers le grand moment où le prolétariat prenait les rênes du pays, cette grande masse prolétarienne et exploitée d’hier cessait d’être prolétarienne ! (Applaudissements.)
Quel contresens, n’est-ce pas, compañeros ! Car, pour vous, même si c’était un pas en avant par rapport au passé, même si la coopérative est bien plus juste que le latifundio d’un propriétaire, même si c’était un pas en avant pour la nation, pour vous, d’un point de vue de classe, pour vous, compte tenu de l’importance historique de votre classe, pour vous, donc, c’était un recul.
Je suis sûr que tout ce passé reste gravé d’une manière indélébile dans l’esprit de chacun de vous, ce passé de contremaîtres abusifs, de police montée rurale, de politiciens sans scrupules, d’exploiteurs, de joueurs, d’escrocs de toute sorte, je suis sûr que le souvenir de ce passé reste gravé dans vos esprits, de ce passé où vous aviez faim, de ce passé d’ouvriers exploités, humiliés, d’ouvriers sans écoles, sans avenir, sans aucune possibilité de s’en sortir – qui d’entre vous pouvait penser que vos enfants iraient un jour à l’université, ou feraient des études à l’étranger, traverseraient les mers pour étudier dans d’autres pays ? qui d’entre vous pouvait penser qu’un ouvrier se convertirait en un administrateur, ou irait à la capitale discuter de ses problèmes, des questions de travail (applaudissements), discuter avec un ministre, avec le gouvernement, exprimer ses idées, participer activement aux choses du pays ? – je suis sûr, donc, que vous vous souvenez de ce passé, tout comme je suis sûr que si l’on demandait à n’importe lequel d’entre vous s’il accepte de renoncer à sa condition de prolétaire pour devenir un demi-exploiteur, il répondrait, et vous répondriez tous unanimement : « Non, nous ne renonçons pas à notre condition de prolétaires ; nous voulons être des prolétaires, maintenant plus que jamais, parce que l’avenir du pays est dans nos mains, parce que l’histoire à écrire de notre pays est dans nos mains, pour en faire un monde meilleur : sans exploiteurs ni exploités de quelque nature que ce soit ! » (Applaudissements.)
C’est à ça qu’il faut penser, compañeros. Plutôt qu’aux avantages matériels qu’on peut obtenir immédiatement, il faut penser à ce que signifie, des points de vue moral et social, la condition de prolétaire, un honneur, un titre qui est bien supérieur à aucun autre dans notre société ! (Applaudissements.)
Si, hier, le maître du latifundio était un Yankee, si c’était le patron, s’il fallait prendre rendez-vous tous les jours, aujourd’hui, l’honneur le plus élevé, le maître de la patrie, ce n’est plus le Yankee, ce n’est plus le propriétaire terrien exploiteur, c’est le prolétaire ! (Applaudissements.)
Si cette mesure-là avait atteint son but, mais s’il y avait des déficiences, de graves déficiences, si chaque type de production avait déjà subi l’épreuve de la vie et de la réalité, n’était-il pas correct de faire un pas de plus, un pas en avant, autrement dit de favoriser un rapprochement entre tous les travailleurs de la campagne, entre les ouvriers des fermes et vous-mêmes, entre ceux qui travaillaient la canne avec vous mais qui n’étaient pas coopérateurs et vous-mêmes ?
Grâce à ce pas en avant, le prolétariat agricole s’accroît de nouveau, devient le plus gros secteur ouvrier de notre pays – en taille, en quantité et en importance – parce qu’il fait un total de plus de deux cent cinquante mille, entre vous et ceux qui travaillent dans les fermes. La Révolution aura donc dans les campagnes deux cent cinquante mille prolétaires (applaudissements), une force grande et formidable.
Où était la contradiction ? Que la véritable coopérative ne peut naître du prolétariat. La véritable coopérative, qui serait un recul pour un prolétaire, est en revanche un pas en avant pour le petit agriculteur.
Quand les petits agriculteurs indépendants s’unissent pour produire plus et plus techniquement, ils progressent. Voilà pourquoi la véritable coopérative, c’est celle que constituent les petits agriculteurs qui ne sont pas des prolétaires (applaudissements), qui sont attachés à la terre, au lopin, qui ont ce sens de la propriété que n'ont pas les prolétaires. Ça oui, c’est le monde des petits agriculteurs, qui n’ont pas la mentalité progressiste des prolétaires. Alors, s’ils s’unissent, c’est un pas en avant pour la Révolution et pour eux-mêmes.
Près de trois cents sociétés agricoles de paysans qui ont joint leurs terres ont été constituées à ce jour (applaudissements).
De toute façon, c’est un problème très complexe, parce qu’ils n’ont pas la même mentalité que ceux qui ont été ouvriers et le sont toujours ; ils ont une mentalité différentes, ces paysans, ils n’ont pas ce niveau de culture et, surtout, de conscience politique qu’ont les ouvriers. Mais il faut aller de concert avec eux, qui sont des alliés de la classe ouvrière. Il faut les rendre toujours plus conscients, toujours plus révolutionnaires, toujours plus progressistes, et ça ne peut se faire qu’en suivant une politique correcte, qu’en les traitant d’une manière adéquate afin qu’ils progressent spontanément vers des formes de production supérieures. Ce paysan-là, on ne peut pas le socialiser ou le coopérativiser à la force. Non. Ce paysan-là, il faut le laisser se développer, le laisser avancer, et peu à peu, quand aura disparu cet ouvrier qui doit encore chercher un patron, quand les fermes auront absorbé toute la main-d’œuvre, et que la paire de bœufs ne suffira plus, qu’il faudra tout mécaniser, tout techniciser, il se rendra compte qu’en joignant ses forces à celles d’autres paysans, il sera plus fort, il aura plus de possibilités, il pourra produire plus. Et alors, il ira dans ce sens…
Car le jour viendra où personne ne voudra continuer de travailler pour un petit patron (applaudissements), le jour viendra – comme il arrive déjà à bien des endroits – où les masses iront vers les fermes, vers le travail rémunéré, vers tous les avantages qu’elles entraînent. Pas la ferme de maintenant, non, parce qu’il nous manque encore un tas de choses, qu’il faut régler un tas de problèmes, en commençant par le problème élémentaire du logement. Non, mais, compte tenu de tout ce qui est en cours de création, compte tenu de ce que seront ces communautés paysannes, la vie, là, n’aura rien à envier à celle de la ville.
Aujourd’hui, ici même, dans ce théâtre, des ouvriers agricoles nous ont divertis par leurs chants et leurs prestations artistiques. Des milliers d’animateurs culturels se préparent à apporter ces possibilités à toutes les fermes, à nos campagnes, à organiser non plus cette vie isolée, solitaire, ennuyeuse très souvent, mais la vie de l’avenir où le travail hautement productif alternera avec beaucoup d’autres choses agréables et qui rendront bien meilleure la vie dans nos campagnes, une vie joyeuse, une vie saine, une vie heureuse, une vie de travail, de distractions saine, de sports, de loisirs.
Le jour viendra où il n’y aura plus besoin d’allumer des quinquets ; le jour viendra où beaucoup de choses qu’on ne voit que dans les villes fonctionneront ici. Et ce jour n’est pas si lointain que vous ne puissiez pas le voir vous-mêmes (applaudissements).
C’est à ça qu’il faut penser ; c’est pour ça qu’il faut se battre. Pas pour maintenant, parce que ce maintenant est une ombre pâle du futur, même s’il est bien meilleur que le passé. C’est pour demain, et pour un demain qui n’est pas éloigné… Qu’est-ce qu’il se serait passé si on avait pu dire pareil voilà quarante ans, soixante ans, quand la République a commencé ? Alors, la Révolution n’aurait pas eu à consacrer une année entière à la liquidation du problème que représentait un million d’analphabètes, et nos campagnes connaîtraient la richesse, le bien-être, le confort…
Évidemment, les Cubains n’ont pas pu commencer voilà soixante ans, et c’est pour ça que nous avons ce que nous avons aujourd’hui… N’empêche que nous pouvons dire maintenant : Commençons ! Et c’est pour ça que nous pourrons avoir à l’avenir ce que nous n’avons pas aujourd’hui, faire ce que les générations précédentes n’ont pas pu faire pour nous (applaudissements).
N’est-ce pas ainsi qu’un peuple doit penser ? N’est-ce pas ainsi que nous devons tous penser ? (Approbations dans la foule.) Et vous savez que ce n’est pas que des mots. Vous le savez, parce que vous voyez dans vos propres fils ce que vous auriez voulu avoir quand vous étiez des enfants. Et beaucoup de vous disent : « Que ne donnerais-je pas pour avoir aujourd’hui ton âge, pour avoir les chances que tu as, toi, et que je n’ai pas eues, moi ! » (Applaudissements.)
Combien de parents, qui n’ont même pas pu aller à l’école, qui allaient pieds nus, qui ont peut-être vu mourir un petit frère dans l’abandon, sans un médecin, sans aucune aide, regardent leurs enfants avec espoir, et surtout en étant absolument sûrs de l’avenir, comme vous l’êtes tous ? En effet, quel père ne sent pas aujourd’hui que l’avenir de son fils est assuré ? Quel père ne sent pas aujourd’hui que son fils aura un avenir bien différent de celui qu’il a eu, lui ? (Applaudissements.) Quel père ne sait pas que son fils deviendra tout ce qu’il pourra être, qu’il atteindra les plus hauts sommets en technique, en culture, au travail, que toutes les chances lui sont ouvertes ? Fini cette crainte qu’avaient tant de parents quand ils se demandaient : « Que deviendront mes enfants si je meurs ? » Ces inquiétudes sont révolues, et ils le savent.
Des milliers de jeunes paysans font des études. Et s’il n’y en pas plus dans nos instituts, dans nos écoles techniques, dans nos universités, c’est que, tout simplement, il n’y avait même pas bien souvent de maîtres, qu’ils ne faisaient que deux ou trois ans du primaire. Voilà pourquoi il n’y a pas plus de paysans dans l’enseignement secondaire, dans les universités. Mais, dorénavant, ça ne sera plus pareil, parce qu’ils pourront atteindre les grades qu’ils voudront.
Et si les maîtres d’aujourd’hui ne sont pas suffisants… Je tiens à vous dire qu’à l’appel qu’a lancé le Gouvernement révolutionnaire pour couvrir quatre mille cinq cents places à l’école normale préparatoire de Minas de Frío, plus de huit mille jeunes ont répondu à ce jour (applaudissements).
Et même si notre école montre encore des déficiences – par exemple des maîtres incompétents, voire des maîtres qui ne font même pas classe – ce sera différent dans les années futures, parce que nous sommes en train d’édifier à partir de la base, de la racine. Et s’il n’y a pas encore des milliers de jeunes des campagnes dans nos universités, en tout cas des milliers de jeunes ouvriers agricoles font des études. Cette année, dans les prochaines semaines, plus de deux mille feront des études d’administration en Union soviétique (applaudissements), de machines et de techniques agricoles, et trois mille cinq cents feront des études d’administration dans notre capitale.
Autrement dit, si vous ajoutez ces cinq mille cinq cents à ceux d’autres écoles de ce genre déjà en route, ça fait six mille jeunes travailleurs des campagnes. Sans parler des écoles d’insémination artificielle, des écoles d’instruction révolutionnaire, des jeunes paysannes, ce qui fait un total de dix mille élèves. Dix mille jeunes provenant des fermes d’État et des anciennes coopératives de canne à sucre. Dix mille !
Ça vous donne une idée des occasions qu’a maintenant un jeune ouvrier de devenir un technicien, un directeur d’entreprise agricole. Non, ce n’est plus le patron yankee, ni le propriétaire terrien exploiteur : un jeune ayant le mérite et les capacités ! Car il faut former des cadres compétents, former du personnel, pour qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs que nous, les mêmes fautes que nous. Vous le savez que nous avons commis beaucoup de fautes, beaucoup d’erreurs, et de quelle autre façon pouvons-nous les amender ? Personne n’a la science infuse, et bien des gens qui ont été appelés soudain à telle ou telle fonction ne l’avaient pas non plus ; on ne peut même pas dire que c’est leur faute. Ce n’est pas non plus notre faute, parce que nous ne sommes pas coupables (applaudissements). Si, dans quelques années, il n’existe pas de gens tout à fait capables et compétents, alors ce sera notre faute. Mais elle ne retombera pas sur nous parce que nous savons ce que nous faisons. Nous savons qu’à l’avenir nous n’aurons pas les déficiences d’aujourd’hui, et que nous ne manquerons pas des éléments dont nous manquons aujourd’hui.
Aujourd’hui, notre présent est dur, fait de travail, de souffrance, de patience, et il exige toute la fermeté des révolutionnaires, toute leur foi, dans l’espoir de lendemains dont nous savons qu’ils seront très différents (applaudissements) quand ces masses de jeunes vraiment bien formés mettront la main à la pâte, se joindront à cet effort.
Demain, nos problèmes seront différents, ils correspondront à de nouvelles étapes de progrès. Tout ce qu’il nous manque aujourd’hui, nous l’aurons en abondance demain. Ça ne prendra pas des jours, ou des semaines, ou des mois, mais des années.
Évidemment, nous voudrions tous que ce soit demain, ou même tout de suite, mais ça n’arrive jamais dans la vie réelle, ni dans la graine qui doit germer. Ça prend toujours des années. Et de même que les parents regardent l’enfant qui vient de naître et l’élèvent sans s’impatienter parce qu’ils savent qu’il sera un jour un adulte dans la famille, de même devons-nous travailler avec autant de confiance (applaudissements), devons-nous défendre l’œuvre de la Révolution en sachant que nous aurons demain des dizaines de milliers, des centaines de milliers, des millions d’homme nouveaux dans la famille cubaine (applaudissements).
Il y a beaucoup de choses auxquelles nous devons penser sérieusement, d’une manière responsable. Il y a encore beaucoup de choses mal faites contre lesquelles nous devons lutter, beaucoup de défauts, de vices, pour mériter un avenir meilleur qu’on ne gagne qu’à force de sueur et de sacrifices. Nous ne gagnerons rien en dormant à l’ombre ou en vivant en Rois fainéants, en bons à rien. L’abondance que nous voulons, la satisfaction des besoins, nous ne pourrons les conquérir que par la sueur, le travail et le sacrifice (applaudissements).
Voilà pourquoi, compañeros, il faut transmettre l’idée de la Révolution, la vérité de la Révolution à tous les travailleurs de nos campagnes. Il faut faire prendre conscience que le travail est un devoir et pas une punition, qu’il est un besoin dans la vie, que c’est lui qui fait de l’homme un homme pour de bon, que c’est lui qui le distingue des autres, que c’est lui qui en fait le maître et seigneur de la nature (applaudissements).
Les fainéants n’avancent pas. Les fainéants ne nous aideront jamais à nous libérer des besoins et des pénuries. Voilà pourquoi il faut rendre hommage au travail, voir le travail comme ce qu’il est, et non pas comme une punition. Il était par le passé instrument d’exploitation de l’homme ; il est aujourd’hui instrument de rédemption (applaudisse-ments), de dépassement, de progrès de l’homme (applaudissements).
Et nous savons que nous avons bien des choses à surmonter, bien des déficiences qui nous font du mal à tous, bien des faiblesses, bien des erreurs, bien des négligences, comme, par exemple, les terres encore en friche, ou l’absence de produits agricoles dans les campagnes mêmes, par négligence, ou parce que celui qui dirige n’a pas fait attention aux instructions qu’on lui a données.
Voilà pourquoi il faut être attentif à tous ces problèmes, il faut lutter pour les résoudre, sans faire un pas en arrière. Prenons le cas des approvisionnements agricoles. Nous en avons beaucoup discuté pour savoir quoi faire. Donner un lopin de plus? Non, parce que celui à qui vous donnez un lopin en veut un autre plus grand, veut multiplier ses animaux, et il en a dix, vingt, cinquante, et votre ouvrier agricole se transforme en un latifundiaire parce que tous les pâturages doivent produire pour son bétail particulier (applaudissements). Non ! Non aux mesures qui lui font abandonner ses grands devoirs envers le travail. Il fallait dire non à l’individuel qui fomente l’égoïsme, qui fomente les différences entre les gens… Il faut aller au collectif.
Alors, quel ballon d’essai faisons-nous ? Un par province. Dans chaque province, dans une ferme de chaque province et dans un des anciennes coopératives de canne à sucre, on organise des centres d’auto-approvisionnement de familles. Autrement dit, pas quarante, ou cinquante, car il est très difficile que cinquante personnes tombent d’accord pour cultiver un centre d’auto-approvisionnement, mais par groupe de huit, par exemple…
Le ballon d’essai est le suivant : on donne deux mille cinq cents mètres carrés à chaque famille qu’elle cultive pour son propre approvisionnement (applaudissements).
Nous n’avons pas voulu promulguer une mesure, mais juste voir, vérifier les résultats afin que ces expérimentations soient réussies, pour pouvoir les étendre ensuite, de façon que chaque famille dispose de terres à cultiver pour son propre approvisionnement (applaudissements).
Et le faire dans l’ordre, sans les occuper… Par exemple, un point en discussion : faut-il utiliser pour ça les terres qui sont les plus proches des tronçons de voie ferrée qui conduisent aux sucreries ? On a fini par estimer que non, parce que ça enchérit le transport de la canne, ça cause des difficultés… Bref, il faut choisir les terres qui servent à cet objectif et qui règlent un problème, parce que le programme agricole ne dépend alors plus de l’administrateur ou de la direction, mais que l’approvisionnement est confié aux ouvriers eux-mêmes qui pourront cultiver ces terres à leurs moments de loisirs. C’est donc une solution en cours d’expérimentation. Nous devons nous efforcer de régler tous les problèmes un par un.
Comment régler celui du logement ? Impossible pour le moment d’en faire pour tous. Pour le régler, il ne faut pas être si ambitieux, dépenser ce qu’il est possible de dépenser pour le toit, au moins, même si celui-ci n’est pas celui qu’on voit dans ces villages maintenant en construction, parce que ça ne peut pas se faire en un an.
C’est comme ça qu’il fait affronter chaque problème. En pensant à l’avenir, en pensant aux intérêts de notre nation, aux intérêts de tous les travailleurs. En effet, si tout le monde dépend de tout le monde et si personne ne peut dépendre de soi-même, il faut toujours penser aux intérêts de tout le monde, analyser les choses en fonction des intérêts de tout le monde (applaudissements). Que chacun pense non à soi mais à tous, et tous penseront à vous (applaudissements).
Et il faut discuter, et non agir à coup de diktats. Discuter, raisonner à partir de la vérité. Car personne ne peut s’opposer à la vérité, à ce qui est raisonnable, à ce qui est juste. Et toujours en fonction de la raison, de ce qui est juste, en discutant toujours, en enseignant, sans vouloir imposer, en persuadant, avec votre participation à vous.
Car c’est de vous que doivent sortir les dirigeants syndicaux. Maintenant, oui, nous pouvons répondre à la question que beaucoup se posaient : « Pourquoi n’avons-nous pas de syndicats ? » Eh ! bien, oui, maintenant, vous les aurez, et vos dirigeants syndicaux (applaudissements), et les conseils techniques consultatifs qui sortiront d’entre vous. Et à l’avenir, c’est de vous que sortiront toujours plus les chefs, les responsables, les directeurs. C’est de vous, de votre masse prolétarienne, que sortiront ceux qui feront avancer nos campagnes, de vous et de vos mains. Et vous y mettrez le maximum d’intérêt, de sens de vos responsabilités, de votre sens du devoir, de patriotisme, en pensant à la nation, en pensant à notre grand peuple qui doit, uni, aller de l’avant, qui doit, uni, conquérir son avenir (applaudissements). Ainsi donc, toujours plus conscients de nos devoirs sociaux, toujours moins égoïstes, toujours plus frères, nous dépouillant toujours plus des vices du passé, en adaptant notre pensée et notre conduit au présent et au futur.
Voilà ce que je voulais vous dire, compañeros. Peut-être me reste-t-il à ajouter un détail au sujet des choses qui étaient en souffrance au Congrès, car je ne crois pas qu’on ait discuté de tout, entre autres la question de verser ou non une certaine rémunération. Je crois savoir que la norme qu’on adoptera sera de calculer les volumes de canne coupés durant la campagne sucrière pour faire un barème, mais nous estimons que la manière de faire de l’an dernier était erronée, sans faire la moindre différence entre les travailleurs, si bien que ceux qui avaient le moins travaillé touchaient pareil que ceux qui avaient le plus travaillé (applaudissements). Les méthodes de travail à l’avenir seront différentes, on instaurera des normes, et on régularisera peu à peu la vie à la campagne.
Et nous vous faisons confiance, ouvriers de la canne, nous faisons confiance à l’esprit révolutionnaire de votre grande masse. Et nous savons que vous surmonterez les difficultés ! (Applaudissements.) Nous savons que vous vous imposerez aux faiblesses, aux esprits paresseux, à ceux qui n’ont pas le sens du devoir, à ceux qui ne comprennent pas cette grande vérité : que le travail est l’activité de l’homme la plus digne, la nécessité de l’homme la plus essentielle, que le travail fait de nous des hommes ! (Applaudissements.)
Travaillons pour tous, car tous travailleront pour chacun de nous !
La patrie ou la mort !
Nous vaincrons ! (Ovation.)