EST-CE TOI OU N’EST-CE PAS TOI?
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«“Père, lui dis-je, est-ce toi ou n’est-ce pas toi, ou qui es-tu ?” Alors, regardant la caserne de la Montagne, il dit : « “Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.”»
Telle fut la réponse du Libertador de América à la question impertinente que lui posa Pablo Neruda à l’éclatement de la guerre civile espagnole, quand les ouvriers eux-mêmes empêchèrent les fascistes de s’emparer de la caserne de la Montagne à Madrid.
Ces souvenirs m’assaillaient devant les événements qui se déroulaient dans la République bolivarienne du Venezuela, notre sœur. Dans notre patrie solitaire, la Révolution avait éclaté depuis bien des années et nous étions lancés dans une lutte inégale et quasi inconcevable contre l’Empire le plus puissant que l’humanité ait connu.
Soudain, le téléphone sonna, celui des urgences : l’appel provenait du bureau d’Hilda Castro, la veuve de Tamargo, le premier sténodactylo que j’ai connu dans ma vie après la victoire de la Révolution en 1959. Quarante-trois ans s’étaient écoulés depuis…
À partir d’ici je publie intégralement la transcription d’Hilda :
CONVERSATION TÉLÉPHONIQUE ENTRE FIDEL CASTRO RUZ ET HUGO CHÁVEZ FRÍAS, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA, le dimanche 14 avril 2002, 7 h 01.
HUGO CHAVEZ. …l’héroïne, Fidel, c’est María1. (Apparemment, je l’avais traité de héros quelques secondes avant.)
FIDEL CASTRO. Ah ! c’est elle la championne, ça alors ! Mais quelle histoire ! Quelle histoire !
HUGO CHÁVEZ. (Il rit.) J’ai du mal à y croire, Fidel !
FIDEL CASTRO. J’étais en train de réfléchir, je n’arrivais pas à m’endormir. Je voulais le faire, mais je n’y arrivais pas, quand j’ai entendu la sonnerie… Quelle histoire !
HUGO CHÁVEZ. Quelle journée, Fidel ! Je… Incroyable, absolument incroyable! Je suis toujours en train de faire le tri. Et nos gars… ! Parce que j’étais isolé, tu sais ? On m’a arrêté cette nuit-là1, on m’a fait partir d’ici, à peu près deux heures après notre conversation2. Alors je leur ai dit, comme nous en avions parlé : « Non, je ne démissionnerai pas ! Arrêtez-moi, alors ! » Et je suis parti, volontairement. J’ai parlé à mes gars, qui sont, tu le sais, des guerriers, je leur ai dit : « Ne faites pas de conneries ! Je vais en prison, mais ce n’est pas fini. » Parce que je n’avais plus de cartes en main. Il y avait d’autres unités loyales, mais loin, tu vois ? Celles qui étaient solides, surtout la brigade de paras à Maracay. Baduel3 m’a téléphoné.
FIDEL CASTRO. Oui, et tu ne pouvais pas les mettre en branle, Hugo, ça aurait déclenché une bataille, même pas une guerre civile.
HUGO CHÁVEZ. Oui, oui, c’est exactement ça. Je lui ai dit…
FIDEL CASTRO. J’ai entendu dire qu’ils voulaient venir et que tu leur as dit non.
HUGO CHÁVEZ. Oui, je lui ai dit : « Maintiens ta position. » Et des gars de Maracaibo, dans l’Ouest, ceux des chars, m’ont appelé. Alcalá1 me dit : « J’ai mon bataillon de chars prêt, en colonnes, et tous mes officiers et tous mes soldats. La Patrie ou la mort ! Je vais occuper Maracaibo ! » Je lui ai dit: « Non, maintiens ta position. Il me suffit que tu maintiennes ta position morale, de combat, mais maintiens aussi ta position physique. Mais armée et prête, hein, au cas où les forces de l’air t’attaqueraient, ou quelque chose comme ça ! »
Et ça s’est multiplié au niveau des commandants des bataillons de chars, d’infanterie, d’un bataillon de la forêt vierge, là-bas, qui ont commencé à dire qu’ils ne reconnaissaient pas ce prétendu gouvernement, ce gouvernement illégitime. Et Baduel est devenu l’axe de tout ça, et d’autres généraux sont allés le rejoindre. Beaucoup de mes gars à moi qui se sont retrouvés isolés se sont concentrés à Maracay.
Après avoir parlé avec toi, j’étais en train de préparer un plan. La seule solution qui me restait, c’était d’aller à Maracay, mais tu sais que ça fait au moins deux heures de route, et je n’étais pas sûr de pouvoir y arriver.
FIDEL CASTRO. Non, c’était impossible, impossible…
HUGO CHÁVEZ. Oui, oui, on m’aurait arrêté en cours de route, et ça risquait de déclencher une bataille… Va savoir ce qui aurait pu se passer ! C’est pour ça que j’ai décidé de me rendre.
Ils m’ont conduit à cinq endroits, d’un endroit à l’autre, ils ont exercé des pressions pour que je signe ma démission. Je leur ai dit : « Non, non, je ne démissionne pas. Je suis votre prisonnier, un point c’est tout. Alors, jugez-moi ! »
Vers minuit, ils m’ont conduit à un embarcadère de la marine2, et deux heures après, j’avais presque tous les sergents avec moi, des commandos, des paras !
FIDEL CASTRO. Ça, c’est vendredi, hein ?
HUGO CHÁVEZ. Tu dis ?
FIDEL CASTRO. C’était vendredi ?
HUGO CHÁVEZ. Non, c’était avant-hier, jeudi soir.
FIDEL CASTRO. Jeudi ? Ah bon! Mais tu étais au Palais, hein ?
HUGO CHÁVEZ. Non, non, pardon, c’était vendredi.
FIDEL CASTRO. Oui, tu es parti à 3 h 50 du matin, dans la nuit du vendredi, avant l’aube.
HUGO CHÁVEZ. Exact.
Ce jour-là, ils m’ont envoyé à trois endroits différents. Et finalement ils ont décidé, comme les gens commençaient à s’attrouper… Moi, j’étais prisonnier au régiment
de la police militaire, dans une cellule, à environ un kilomètre de la sortie du fort Tiuna1, et on entendait les cris des gens. Parce que les gens savaient que j’étais là. C’est de là que j’ai téléphoné à Marísabel2 et à la famille : « Dites-leur que je suis au fort Tiuna. » Et les gens ont commencé à se rendre là-bas, à s’attrouper. Des milliers de personnes, scandant des slogans, sans peur…
FIDEL CASTRO. À quelle heure du vendredi c’était ?
HUGO CHÁVEZ. C’était déjà dans l’après-midi.
FIDEL CASTRO. Et comment tu t’es arrangé pour parler avec María et avec le ministre de l’Éducation et du Travail ?
HUGO CHÁVEZ. Un militaire m’a passé son portable.
FIDEL CASTRO. Où ? À quel moment ? Au fort Tiuna ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, on m’a prêté un téléphone et j’ai commencé à téléphoner : à mes enfants, à María Isabel… Je leur ai demandé de parler au monde, de dire que je n’avais pas démissionné. Et c’est là alors que María3 t’a téléphoné…
FIDEL CASTRO. Elle m’appelle à 10 h 02. Le vendredi.
HUGO CHÁVEZ. Du soir.
FIDEL CASTRO. Non, du matin.
HUGO CHÁVEZ. Ah bon !
FIDEL CASTRO. Elle me téléphone à 1o h 02. Et c’est là que je lui demande si elle est prête à parler elle-même. Elle me dit : « Bien sûr, qu’est-ce que je ne ferais pas pour mon père ! »
Alors, j’ai tout préparé pour qu’elle parle avec Randy1, le journaliste, et à 12 h 40, on a lancé la transmission. On l’a aussi passé aux agences et à la CNN. La CNN a commencé à retransmettre, et après elle a passé l’info toutes les demi-heures.
HUGO CHÁVEZ. Combien de temps María a parlé ?
FIDEL CASTRO. Elle a dû parler… elle a parlé six minutes, elle s’en est très bien sortie rien qu’en six minutes.
HUGO CHÁVEZ. Tu vois bien que c’est elle l’héroïne !
FIDEL CASTRO. Non, non, mais oui ç’a été grandiose, parce que ces gens…
HUGO CHÁVEZ. Non, ç’a été très, très important.
FIDEL CASTRO. Alors, Felipe2 a dû…. Ça se passait vers quatre heures de l’après-midi, quand notre ambassade était attaquée, ils voulaient y pénétrer. Alors, l’ordre qu’il a donné à notre ambassade était de tirer, de se défendre, parce que sinon on les aurait tous tués, et il y avait cinq femmes et un enfant, dix-sept compagnons au total. Une situation très tendue…
HUGO CHAVEZ. On dit qu’on leur avait même coupé l’électricité et l’eau.
FIDEL CASTRO. Une situation très tendue. On leur a coupé la lumière, on leur a coupé l’eau, ils ne pouvaient pas bouger, et les autres ont même failli entrer de force. Ç’a été le moment le plus critique. Ça aurait tout troublé terriblement. Parce qu’en cas d’un échange de coups de feu…
HUGO CHÁVEZ. Germán3 était là, hein ?
FIDEL CASTRO. Germán s’est conduit… Et tout le monde s’est conduit… vraiment en héros ! Parce que l’ambassade était encerclée4. Une foule. Romani et
toute cette racaille. Si tu voyais ce qu’ils disaient ! Parce qu’on transmettait ce qu’ils disaient. Eux, oui, les chaînes les transmettaient !
HUGO CHÁVEZ. Bien entendu, tout était transmis.
FIDEL CASTRO. Les chaînes ont passé la journée à calomnier, à parler de ta démission, rien que de ta démission, toute la journée. Et ils ont tout construit à partir de ta démission. Et c’est là qu’ils ont fait une connerie !
HUGO CHÁVEZ. (Il rit.) Oui, parce qu’ils se sont mis à diffuser un texte que je n’ai pas voulu signer, quand je me suis réuni au fort Tiuna avec ces traîtres de généraux achetés par l’oligarchie d’ici et par d’autres secteurs.
Bon, donc, ils m’ont fait prisonnier. Et c’est alors que les gens commencent à s’attrouper au fort Tiuna, dans l’après-midi…
FIDEL CASTRO. À quelle heure il y a eu des échanges de coups de feu là-bas ? Parce qu’il y en a eu, pas vrai ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, des coups de feu. Mais en l’air, apparemment.
FIDEL CASTRO. Oui, les gens s’attroupaient, ils étaient en train de descendre des collines.
HUGO CHÁVEZ. Exact.
FIDEL CASTRO. Oui.
HUGO CHÁVEZ. Alors, ils me conduisent en hélicoptère à un embarcadère naval qui se trouve à environ une heure et demie de Caracas en hélicoptère. Je ne savais pas où on me conduisait. Je monte dans l’hélicoptère, et ils me conduisent à un embarcadère naval où il y avait des commandos de la marine.
FIDEL CASTRO. Oui, Riuma…
HUGO CHÁVEZ. Hein?
FIDEL CASTRO. Ça a un nom… Je l’ai vu hier matin, parce qu’un ami, quelqu’un à vous, l’a dit à l’AFP. Je parle de vendredi, n’est-ce pas ? Non, de samedi matin. Il dit à l’AFP qu’on t’a emmené quelque part, et il en donne le nom. Il dit : à cent kilomètres de Caracas, en direction de Miranda plus ou moins, et il donne le nom de l’endroit où tu es.
HUGO CHÁVEZ. Turiamo.
FIDEL CASTRO. Turiamo, c’est ça. Je l’ai appris à la fin d’un meeting, dans la matinée, où je n’ai pas mâché mes mots. Donc, je sors de ce meeting et on me dit qu’une dépêche de presse indiquait l’endroit où tu étais. Alors, je téléphone là-bas. Tes parents avaient écouté María dans la nuit, ils avaient tout vu sur CNN. Ta maman envoie un message, elle veut me parler, parce qu’elle veut faire une déclaration elle aussi1. Je lui ai téléphoné d’abord au Gouvernorat, mais on m’a passé trois numéros et ils étaient à la résidence, là où on a mangé du poisson
HUGO CHÁVEZ. Oui. (Il rit.)
FIDEL CASTRO. Je l’ai eue, elle était de très bonne humeur. Mais là je me rends compte. J’avais aussi parlé à ton père et je lui avais demandé comment ça allait. Les rapports avec le commandement militaire étaient très bons, il y avait eu une réunion. Celui de Sabaneta était aussi très actif. Tes parents étaient déjà entrés en contact avec les paras, et eux, ils contrôlaient la situation là-bas, et tout était bien organisé. C’est alors qu’arrivent les premières nouvelles. Après avoir parlé à tes parents, j’ai appelé María, vers 10 h, 10 h 10, pour savoir si elle avait des nouvelles et je lui dis qu’on t’avait conduit à cette base.
HUGO CHÁVEZ. Exact. J’y ai passé la nuit. Je me suis reposé un peu, j’ai parlé avec les gars, avec les commandos… Parce que ce sont des commandos paras, même s’ils sont de la marine, et je finis par entrer en confiance avec eux, je les amadoue. Et, dans la matinée, l’un d’eux me propose de me sortir de là, autrement dit d’occuper la base, de me libérer et de partir pour Maracay en voiture – parce que l’hélicoptère n’était pas tout près, il était à l’embarcadère et sous contrôle. Alors, ils m’ont mis dans une baie avec une centaine de commandos, c’était un groupe d’officiers et de sergents qui m’ont dit : « Mon commandant, on est prêts de partir d’ici avec vous. On arrête quelques officiers d’ici qui ne sont pas de notre bord et on va à Maracay, parce que le général Baduel est en train de s’y consolider ; à Caracas les gens sont dans la rue. Partons donc. » Ils faisaient donc ce plan, et au bout d’un moment…
FIDEL CASTRO. Et comment vous seriez allés à Maracay, vous ?
HUGO CHÁVEZ. Par la route, parce que Maracay est à deux heures environ.
FIDEL CASTRO. Maracay, c’est à l’est ou à l’ouest de Caracas ?
HUGO CHÁVEZ. Maracay est au sud-ouest de Caracas et, avec l’endroit où j’étais, ça forme presque un triangle équilatéral entre…
FIDEL CASTRO. D’accord, mais alors cette base se trouve dans la région de Miranda ou à l’ouest de Maiquetía ?
HUGO CHÁVEZ. À l’ouest de Maiquetía, dans l’État de Carabobo, en allant vers…
FIDEL CASTRO. Cette base-là ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, celle de Turiamo.
FIDEL CASTRO. Oui, oui, d’accord, je comprends.
HUGO CHÁVEZ. Turiamo est dans l’État d’Aragua, dont le chef-lieu est Maracay. Les autres, ils ont fait une erreur en me conduisant dans l’État d’Aragua.
FIDEL CASTRO. Ils t’ont conduit près de là où étaient les paras…
HUGO CHÁVEZ. Tout près ! Ils ne s’en sont pas rendu compte. Moi, là, je me sentais plus solide, et les gars étaient prêts.
Bon, alors, qu’est-ce qu’il se passe ? Baduel n’a pas été le seul à aller à Maracay. Un autre général, qui était avec moi au Palais, García Montoya1, y est allé aussi. C’est lui qui m’avait recommandé de me rendre. Il m’avait dit : « Non, vous devez rester en vie. Nous, on se charge de la résistance ici. Rendez-vous, demandez des garanties, et nous, on exigera qu’on respecte votre vie. » Donc, moi, on m’arrête, mais lui il part à Maracay, parce que c’est un grand ami de Baduel, et là, comme il est général de division, il organise le Commandement de la résistance et de la dignité2. Et mes gars à moi, les jeunes que tu as connus, sont aussi partis pour Maracay, qui est à environ une heure et demie de Caracas. Ils sont partis, ils ont échappé à la surveillance de leurs chefs. Ils avaient déjà un plan. Certains sont restés sur place, planqués dans un sous-sol.
FIDEL CASTRO. Je crois que Martínez3 était là aussi, non ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, Martínez y était aussi. Ils y étaient tous.
FIDEL CASTRO. J’ai parlé au général que tu dis.
HUGO CHÁVEZ. García Montoya ?
FIDEL CASTRO. Oui, j’ai d’abord parlé avec Baduel, parce que c’est María qui s’est chargée de la communication. Elle m’a communiqué avec le chef du commandement, celui qui était commandant, Lucas.
HUGO CHÁVEZ. Ah ! Lucas ? Lucas ? Tu lui as parlé ?
FIDEL CASTRO. Oui. María m’a mis en contact avec lui. C’était quand tu étais à l’Orchila1, à peu près à cette heure-là. Dans l’après-midi, en début d’après-midi2. Après, elle me dit que Baduel veut me parler et elle me donne ses numéros de téléphone. Ça a été très difficile, la communication s’est interrompue deux fois – avec Lucas, aussi, d’ailleurs. Donc, María me dit que Baduel voulait me parler, je l’ai eu au téléphone un bon moment, et on était très inquiets de ta situation et on avait peur que les autres, dans leur désespoir, fassent quelque chose, tu comprends ? C’est là que Baduel me met en contact avec ce général.
HUGO CHÁVEZ. García Montoya.
FIDEL CASTRO. Montoya. Il me dit qu’ils veulent faire eux aussi une déclaration publique. Alors, je lui ai dit qu’on allait l’enregistrer, je lui ai dit de le faire, et il a adressé un discours à l’opinion publique mondiale. On l’a fait aussitôt passer à notre télévision et on l’a aussi remis à toutes les chaînes et stations d’ici. Quelle histoire ! Bien entendu, toi tu ne savais rien de ce qu’il se passait ici, pas vrai ?
HUGO CHÁVEZ. Non, je ne savais rien de tout ça. Bien entendu, je supposais qu’il y aurait une réaction des civils et des militaires, mais j’étais inquiet que ça puisse même dégénérer en une guerre civile. Mais il s’avère que…
FIDEL CASTRO. Non, Baduel et l’autre général étaient très clairs à ce sujet, et je les en ai félicités : ils ne savaient pas s’ils devaient descendre dans la rue ou non. Je leur ai dit : non, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de combats. Je leur ai donné mon avis, mais ils pensaient justement pareil. Alors j’ai parlé…
HUGO CHÁVEZ. Je crois qu’ils ont lancé un ultimatum à ceux de Caracas : je devais réapparaître, ou sinon les paras allaient descendre sur Caracas.
FIDEL CASTRO. Oui, mais Baduel et l’autre général avaient décidé de ne pas bouger et ils ont téléphoné à toutes les unités. Et ils ont lancé ce message que nous avons retransmis ici partout.
HUGO CHÁVEZ. Oui, ils ont transformé le commandement des parachutistes en un commandement de la résistance. Et ils ont appelé toutes les unités, les généraux, les commandants, et ils avaient un tableau au mur sur lequel un de mes gars, un lieutenant, écrivait, tandis que le général appelait les autres : « Vous, de quel bord vous êtes ? Définissez-vous ! » Et les autres disaient qu’ils étaient indécis. Si bien qu’il a fini par gagner la confiance de tous les officiers en leur expliquant que je n’avais pas démissionné, que c’était un gros mensonge, que c’était une trahison, que ces gens-là allaient de nouveau livrer le pays à la FEDECÁMARAS1, aux hommes d’affaires, aux « adecos2 », aux « copeianos3 », parce que ceux-là, hier, ils ont fait la fête ici.
FIDEL CASTRO. Oui, oui.
HUGO CHÁVEZ. Ils sont venus ici au Palais pour faire la fête.
FIDEL CASTRO. Oui, oui, et on les a pêchés sur place (il rit), les ministres et les autres…
HUGO CHÁVEZ. Un certain nombre ont été arrêtés, mais le nouveau président et le reste… Tu te souviens de Churio4 ?
FIDEL CASTRO. Oui.
HUGO CHÁVEZ. Churio, le major. Ce gars-là est le chef de mes commandos. Eux, ils étaient dans le sous-sol et alors… Heureusement qu’ils ne l’ont pas fait ! Parce que, quand les autres imposteurs étaient en train de prêter serment au prétendu président dans la grande salle, ils voulaient les prendre en otages !
FIDEL CASTRO. (Il rit.)
HUGO CHÁVEZ. Il y a de quoi écrire un livre, Fidel !
FIDEL CASTRO. Oui, oui, il y a de quoi…
HUGO CHÁVEZ. Un livre pour l’histoire, parce que… Tu es bien plus âgé que moi, mais moi en tout cas je ne me souviens pas d’un exemple pareil…
FIDEL CASTRO. Non, non, il n’y a rien de semblable, rien.
HUGO CHÁVEZ. Je n’arrive pas à y croire.
Tiens, Fidel, hier soir1, j’étais encore là-bas, avec les gars dans la baie de Turiamo. Alors, comme il faisait très chaud, je leur ai dit : « Laissez-moi sortir un moment, je ne vais pas m’enfuir. » Et je me suis mis à parler avec eux. Ah !, et ça, ça m’a beaucoup servi, Fidel, de parler avec les soldats, d’écouter leurs plaintes, celles des sergents. Ils se plaignent beaucoup des chefs qu’ils ont eus sous toutes ces années de mon gouvernement, qu’on les a oubliés, merde !, qu’ils ont des problèmes économiques, que leurs installations sont très vieilles, qu’il leur manque des ressources pour l’entraînement et pour l’entretien des armes. Oui, ils se mettent à me raconter toutes ces choses-là. Et ça, c’est une leçon ! Je ne peux pas oublier ces gars-là, ne compter que sur les hauts gradés, n’écouter que ce qu’ils disent. Il faut descendre, aller à la base, les écouter, eux, avec leurs problèmes. Ça a été une nuit agréable, et je leur ai dit : « Écoutez, si on me condamne, si on me dégrade, je vais demander qu’on m’envoie comme simple soldat dans votre unité, je reste avec vous comme soldat du rang, parce que ça me plaisait beaucoup, je suis un soldat comme vous. »
Les gars viennent donc, ils me font du café et ils me laissent seul, en s’éloignant un peu. Alors, je me suis mis à réfléchir en regardant le ciel, et je me suis dit : « Non, je suis sûr que cette semence déposée depuis tant d’années dans le peuple, ces organisations populaires que nous avons lancées, organisées, que les Cercles bolivariens2, les partis, le MBR3, le PPT4, le MAS5, le PCV6, tous ces gens-là, ils ne peuvent rester les bras croisés, parce que s’ils ne font rien, alors, merde !, ils ne méritent pas ça, ils ne méritent pas encore une révolution ! »
FIDEL CASTRO. Oui, mais on les avait trompés, on les avait sacrément intoxiqués, déconcertés avec toute cette campagne contre toi.
HUGO CHÁVEZ. Oui, oui, bien sûr. Et puis, on m’avait coupé le signal de la chaîne publique, et des militaires déloyaux avaient occupé ma chaîne là-bas à la station, et je n’avais pas moyen de communiquer avec le peuple.
FIDEL CASTRO. Oui, on t’avait coupé de tout.
HUGO CHÁVEZ. Ça me prouve que je dois installer un équipement de transmission, ici même, au Palais Ce sont des choses comme ça que je tire en conclusion…
Naturellement, je suis encore sous le coup, stupéfait, je suis encore en train d’évaluer les choses, ce cyclone et ce contre-cyclone. Tout a été si rapide que je ne peux pas encore y croire. Je suis encore ici à…
FIDEL CASTRO. C’est que depuis hier matin, un torrent de gens s’est dirigé vers le Palais ; ils ont aussi cerné le fort Tiuna. Plus de cent mille personnes.
HUGO CHÁVEZ. Oui, oui, tout ça. Ils ont fait des chaînes humaines, ils ont bloqué les routes dans presque tout le pays. Ils ont bloqué les routes, mais sans violence. Ce n’est que ce soir qu’il y a eu quelques saccages ici à Caracas, mais…
FIDEL CASTRO. Beaucoup ou pas beaucoup ? Parce que tout le monde en parle… Je veux dire, des gens à toi en ont parlé à la télévision, ils ont parlé contre. Et après tu es intervenu. Excellent, d’ailleurs, ton discours ! Très bien.
HUGO CHÁVEZ. Tu l’as écouté ?
FIDEL CASTRO. Il ne manquait plus que ça !
HUGO CHÁVEZ. J’étais…
FIDEL CASTRO. Tu étais calme, bien, réfléchi, ça m’a paru excellent. À tous les autres aussi qui l’ont écouté ici. Tu as parlé pendant à peu près une heure.
HUGO CHÁVEZ. Oui, en gros. Une fois terminé le discours, je suis sorti sur le balcon qui donne sur la place. Les gens étaient rassemblés dehors, et ils ne voulaient pas s’en aller avant de m’avoir vu.
FIDEL CASTRO. Alors, tu les as salués…
HUGO CHÁVEZ. Naturellement ! Je suis sorti sur le balcon après l’allocution, pour être avec eux.
FIDEL CASTRO. Ah ! bon, je croyais que tout était terminé, et alors…
HUGO CHÁVEZ. Non, non, je suis sorti sur le balcon. Ce qui s’est passé, c’est que…
FIDEL CASTRO. Et ça aussi, on l’a vu à la télé ?
HUGO CHÁVEZ. Je n’en suis pas sûr, Fidel. Peut-être bien. Je n’en suis pas sûr. J’ai vu des caméras en bas, mais je ne sais pas si elles transmettaient. En fait, tout a été très rapide, très rapide. Je n’y suis resté que quelques minutes, car…
FIDEL CASTRO. Tous ces gens étaient là depuis le matin.
HUGO CHÁVEZ. Oui, toute la journée. Je leur faisais signe pour qu’ils aillent dormir, et…
FIDEL CASTRO. Tu sais, ils avaient encerclé le fort Tiuna, c’était une sacrée foule !
HUGO CHÁVEZ. Oui, un aumônier militaire y est allé, et il m’a dit aujourd’hui qu’il y avait au moins 50 000 personnes, qui bloquaient les militaires pour qu’ils ne puissent pas sortir.
C’est à ce moment-là que les choses ont commencé, quand un hélicoptère est arrivé là-bas à Turiamo. Mes gars étaient déjà en train de préparer l’opération, mais j’avais de doutes, hein ? Alors, je leur ai dit : « Il n’y a pas de téléphone ici, pour que je puisse parler à Baduel ? » « Non », ils me disent, « là-bas, il n’y a pas de signal téléphonique. » « Alors, on ne peut partir comme ça, sans rien planifier avec lui, c’est difficile. Il risque d’y avoir un choc en cours de route, et qu’une bataille se déclenche. » Mais je pensais sérieusement à y aller, parce que c’est plus près de Maracay. Et comme je connais si bien Maracay, et les paras, et qu’eux aussi me connaissent...
FIDEL CASTRO. Ces deux-là, Montoya et Baduel, ont été très intelligents. Très. Je parle d’intelligence politique.
HUGO CHÁVEZ. Ils sont très intelligents, ce sont de mes amis les plus brillants, pleins d’aplomb et d’intelligence. Et ils ont surgi comme leaders militaires, et politiques aussi, grâce à cette action, parce qu’ils ont fait de Maracay la deuxième… Mais tu sais que c’est la principale place forte du pays, parce qu’en plus le général de la base aérienne où se trouvent tous les avions de combat F-16, il l’a occupée et il l’a mise au service de la Révolution.
FIDEL CASTRO. Oui, ils avaient l’aviation, ils avaient des chars, des avions, l’infanterie, tout…
HUGO CHÁVEZ. Ah ! et les chars de Valencia, où se trouve le général Rangel, qui a été ici le chef de la Maison militaire. Je leur avais rendu visite il y a à peine une dizaine de jours, j’étais avec eux.
Bon, alors, les gars viennent de me raconter… Quelque chose d’impressionnant, Fidel ! (Il s’adresse à son fils : « Hugo, apporte-moi.. »). Huguito1 est à côté de moi, il te salue bien, il va bientôt aller là-bas.
FIDEL CASTRO. Oui, je lui ai parlé.
HUGO CHÁVEZ. Il va faire des études chez vous. Tu lui as déjà parlé ?
FIDEL CASTRO. Oui, je lui ai demandé quand est-ce qu’il arrivait ?
HUGO CHÁVEZ. Il va être ingénieur, on dirait.
FIDEL CASTRO. (Il rit.) Je lui ai parlé, et à Rosa2 aussi.
HUGO CHÁVEZ. Tiens, justement Rosita est avec moi, elle t’embrasse. Et Hugo dit que c’est d’accord pour le plan. En tout cas, c’est ce qu’il m’a dit.
FIDEL CASTRO. Oui.
HUGO CHÁVEZ. Il fait des tas de projets. Le problème avec lui, c’est que presque aucun ne marche ! (Ils rient.)
FIDEL CASTRO. En tout cas, il semblait emballé. Avec le dernier, du moins…
HUGO CHÁVEZ. Celui-là, on dirait qu’il va marcher.
Donc, je… Mais c’est qu’on m’a donné des détails des gars d’ici…
FIDEL CASTRO. Raconte-moi ! Je meurs d’envie que tu me racontes ! Vas-y !
HUGO CHÁVEZ. Il y a de quoi écrire je ne sais combien de livres.
Un de mes gars vient juste de me raconter. Ils sont allés à l’école militaire, les élèves ne savaient pas trop quoi faire. Il y a à peu près deux semaines, je suis allé faire une conférence à ceux de cinquième année, la dernière, pour sortir sous-lieutenant. Je leur parle beaucoup, je leur raconte des choses dans le cadre de leur formation. Donc, mes gars sont allés à l’école militaire, et les élèves étaient en train de l’occuper. Le sous-lieutenant major avait la clef de toutes les armes et il a dit : « Je ne donne rien. »
FIDEL CASTRO. Ils n’avaient pas d’armes. (Il rit.) Ils étaient sans armes.
HUGO CHÁVEZ. Elles étaient là, mais il avait toutes les clefs, prêt pour si jamais il fallait les sortir. Donc, mes gars occupent l’école militaire, occupent l’édifice du commandement de l’armée, et ces généraux, je les imagine courant de tous les côtés sans savoir où se fourrer. Mes gars en train de les chercher, tu vises un peu ! Ce sont des militaires subalternes qui ont arrêté tous ces traîtres ! Une leçon d’honneur, mon vieux, qui me…
FIDEL CASTRO. C’était quand, ça ?
HUGO CHÁVEZ. Aujourd’hui, en début d’après-midi.
FIDEL CASTRO. Ah ! aujourd’hui dans l’après-midi1 !
HUGO CHÁVEZ. Oui, et ils ont aussi mis aux arrêts le foutu président de transition, au fort Tiuna, Mes gars ! Avec ces quelques généraux.
FIDEL CASTRO. Et cette école, elle est près du fort Tiuna ?
HUGO CHÁVEZ. Elle est dans l’École. C’est là où nous sommes allés le jour de mon entrée en fonctions, dans cette grande cour. C’est ça l’école militaire. Et tout près de là, au fort Tiuna, ils ont emprisonné le foutu président et ses ministres.
FIDEL CASTRO. Mussolini, parce que c’en est un ! (Ils rient.) Quand il a pris la parole à sa prise de possession, je l’ai suivie, on aurait dit Mussolini.
HUGO CHÁVEZ. Ils ont promulgué un décret pour éliminer l’Assemblée nationale, pour éliminer le ministère de la Justice, pour éliminer les…
FIDEL CASTRO. Quelle horreur ! Mais ils ont facilité les choses aussi, tu sais! Ils ont aidé, parce qu’à faire tant de conneries !
HUGO CHÁVEZ. Oui, à trop faire les clowns ! Et aussi à me retenir prisonnier sans que j’aie démissionné ! Tu te rends compte ? Violant toutes les règles ! C’est ça, leur démocratie! Ils disaient que c’était pour restaurer la démocratie. De cette façon-là, qui allait les croire ? Même les États-Unis ont dû rectifier aujourd’hui. Cet après-midi1, ils ont émis un communiqué pour rectifier leur stupidité.
Bon, je vais finir mon récit. Alors, un hélicoptère arrive à Turiamo. « Écoutez – me dit un amiral2 – écoutez, Président… » Quand je l’entends me dire « Président », je me suis dit : « Nom de Dieu…! » « Écoutez, président, on m’a envoyé vous protéger ; on va aller à l’Orchila, pour que vous soyez… » L’Orchila, c’est au nord, tu y es allé, tu y as passé… »
FIDEL CASTRO. Oui, j’y suis allé. C’est à combien de kilomètres?
HUGO CHÁVEZ. De Turiamo, c’est…
FIDEL CASTRO. Non, de la côte.
HUGO CHÁVEZ. À un centaine de kilomètres.
Alors, je lui dis: « Écoutez, amiral, pourquoi venir me chercher ici ? Je suis ici, je me suis habitué aux soldats d’ici, je suis prisonnier ici, ne vous tracassez donc pas… » « Non, mais vous serez mieux là-bas dans la résidence présidentielle. » Je lui dis : « Non, non, je n’en ai pas besoin, je me sens bien ici. » « Oui, mais c’est qu’ils veulent vous parler. »
Et moi, j’essaie de le sonder, parce que c’était un signe de faiblesse, pour voir jusqu’où je pouvais aller. Alors, je lui dis : « Ah ? Ils veulent me parler ! Ça alors ? Quand on devait se parler, ils n’ont pas voulu, je leur ai fait un tas de propositions… » « Non, non, c’est que maintenant ils veulent. Maintenant que les choses sont plus claires. Ils veulent que vous partiez à Cuba. » Alors, je lui dis : « Écoutez… »
FIDEL CASTRO. Oui, ils n’avaient pas voulu l’accepter l’autre soir, hein ?
HUGO CHÁVEZ. Oui. Alors je lui dis: « Écoutez, isolé comme je suis, sans rien savoir de ce qu’il se passe, j’ai des compagnons prisonniers… » Parce que je savais qu’ils avaient arrêté le ministre de l’Intérieur, Rodríguez Chacin3, chez lui, menotté ; le gouverneur Blanco de la Cruz4, aussi, à son gouvernorat ; le député
Tarek1, aussi. Donc, je lui dis : « Il n’y a pas de conditions pour que je puisse prendre une décision. Je ne peux pas abandonner le pays, pas question, alors que des gens à moi sont arrêtés ! Je n’ai de communication avec personne. »
FIDEL CASTRO. Ça, c’était à quelle heure ?
HUGO CHÁVEZ. Aujourd’hui, ou plutôt hier, samedi, vers deux heures de l’après-midi.
FIDEL CASTRO. Vas-y, continue…
HUGO CHÁVEZ. Alors, je lui dis de toute façon : « Écoutez, je peux y aller, mais appelez et dites à celui qui vous a envoyé – un amiral qui avait été nommé ministre de la Défense2 et qui est maintenant sous les verrous – dites à l’amiral que j’y vais sans qu’il y ait de bonnes conditions. Je ne… » « Ils veulent que vous signiez votre démission. Une fois signée, on vous expédie à Cuba. » Je lui dis : « Non, dans ces conditions, je ne peux pas signer une démission ni abandonner le pays. Mais là-bas, on aurait du moins un téléphone et on pourrait communiquer entre nous. Ce qui m’intéresse si je vais là-bas, c’est avoir des informations. Et dites-leur d’y aller eux aussi, comme ça nous parlons, pour voir ce qu’ils veulent. » C’est ce qu’on a fait.
Ah ! un autre détail, très touchant. Quand je suis en train de m’habiller, un soldat, un caporal, entre dans la petite pièce où j’étais. Il me dit : « Mon commandant, je suis le caporal Rodríguez, je suis de Sabaneta3. » Un gars de Sabaneta, un gars de chez moi ! Je lui dis : « Et qu’est-ce que tu fais ici ? » « Je suis de la famille Rodríguez, de la famille de votre oncle Antonio Chávez… » C’était lui aussi un Rodríguez4.
« Merde alors », je lui fais. « Et qu’est-ce que tu fais ici, mon garçon ? » Ça fait des années que je ne le voyais plus. Donc, il entre en cachette, parce qu’il n’était autorisé à entrer dans ma cellule. Il a profité que j’avais demandé du café et il est entré avec le cuisinier1. Il me dit : « Mon commandant, vous avez démissionné ? » Je lui dis : « Non, et je ne vais pas le faire ! » Alors, il se met au garde-à-vous, me salue et me dit : « Alors, vous êtes mon président ! Ne démissionnez pas ! Nous allons vous tirer de ce foutoir ! »
Alors, je lui dis : « OK, c’est d’accord, il me reste deux minutes ici. Je vais te demander un service. » Il me dit : « Ce que vous voulez. » « Je vais te faire une note pour que tu… »
(Il s’adresse à quelqu’un d’autre : « Bonjour, Pedro. Salue tes parents de ma part. ») C’est Pedro2 qui vient d’arriver, le fiancée de ma fille Rosa. (Il s’adresse de nouveau à Pedro : « Vas te reposer, vas-y… »)
FIDEL CASTRO. Oui, oui. (Il rit.)
HUGO CHÁVEZ. Il a pris les enfants pour…
FIDEL CASTRO. Oui, ils étaient chez lui.
HUGO CHÁVEZ. Pour les protéger.
FIDEL CASTRO. Jeudi soir. Après, ils sont allés chez Reyes.
HUGO CHÁVEZ. C’est ça.
J’en reviens à mon gars. J’écris à toute vitesse, et il me dit : « Écoutez, je ne peux pas rester plus longtemps. Écrivez ce que vous devez écrire, et vous me laissez la note dans la corbeille à papier – une corbeille qu’il y avait là – vous la mettez tout au fond, je la récupérerai… » (Il rit.) Tu vois le truc ! Alors, j’écris un communiqué, très court: « Au peuple vénézuélien et à qui de droit. »
FIDEL CASTRO. Oui, c’est passé à la télévision.
HUGO CHÁVEZ. Bon, alors, je laisse…
FIDEL CASTRO. Je n’ai pas démissionné, et à jamais…
HUGO CHÁVEZ. « Je n’ai pas démissionné. À jamais ! » Et j’ai signé. Alors, je laisse le papier dans la corbeille, on vient me chercher, je prends mes affaires et je pars. Et je n’ai plus rien su de cette petite note. Je me suis dit : « Si seulement ce gars pouvait faire quelque chose ! Le hic, à cet endroit, c’est qu’il n’y a pas de fax. » C’est un endroit inhospitalier, un commando de la marine, éloigné, des commandos qui s’entraînent, font des sauts en parachute… Mais pas de téléphone, pas de télévision, pas de fax, rien. Quelques baraquements, pour des unités de combat en pleine montagne, sur une baie montagneuse…
Et pourtant, quand je suis revenu ici, ça avait fait le tour du monde, tu te rends compte ! Le gars a récupéré la note, je ne sais pas comment il s’est débrouillé pour sortir de ces montagnes, et deux heures après, il expédiait le fax à tous les
coins du monde1 ! (Ils rient.) Une vraie mitrailleuse ! Et ici, tout le monde avait ce fax à la main! Et j’ai dû en signer je ne sais pas combien ! En plus de ma signature, j’ai dû le signer de nouveau parce que les gens me le demandaient…
FIDEL CASTRO. Quelle histoire !
HUGO CHÁVEZ. On m’a dit que ce fax avait fait le tour du monde. En tout cas, quelle capacité de réponse !
FIDEL CASTRO. Oui, oui,
HUGO CHÁVEZ. Impressionnant!
Alors, j’arrive à l’Orchila, Fidel, un vol d’environ une heure en hélicoptère, et au bout d’un moment, la Commission arrive.
FIDEL CASTRO. C’était qui ? Elle était formée de qui?
HUGO CHÁVEZ. Le cardinal de l’Église catholique2, un de ceux qui avaient signé le décret napoléonien ou mussolinien, ce décret ridicule. Ils prétendaient avec ce décret à la con liquider d’un seul coup des années de lutte, surtout la Constitution3, éliminer les quarante-huit lois exécutives4 d’un trait de plume, que la République ne s’appelle plus bolivarienne, que le Venezuela ne vende plus de pétrole à Cuba…
FIDEL CASTRO. C’est une autre histoire à raconter…
HUGO CHÁVEZ. Une connerie ! Mais c’est pour l’Histoire, mon vieux ! Cette oligarchie insensée, imbécile et ignorante ne se rend compte de rien. À force de les ressasser, elle croit ses propres mensonges et finit par mépriser la réalité.
Donc, ils se pointent.
FIDEL CASTRO. Il y avait qui d’autre avec l’évêque ?
HUGO CHÁVEZ. En plus du cardinal ? Un général, mais qui est procureur militaire, qui n’a aucune autorité, aucun commandement…
FIDEL CASTRO. Du fort Tiuna ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, de l’armée de terre, du fort Tiuna. Et un colonel, un de ceux qui ont poussé à la conspiration, un avocat, très ami des généraux, un de leurs compagnons. Bon, alors, on s’assoit pour discuter. Ils avaient déjà préparé la démission.
FIDEL CASTRO. Et ils t’ont proposé quoi ?
HUGO CHÁVEZ. Que je signe ma démission. Avec une date rétroactive, avec en-tête, pareil qu’un décret présidentiel. Donc : « Aujourd’hui… »
FIDEL CASTRO. Même ça, ça ne pouvait plus les sauver. À cette heure-là, ils étaient foutus…
HUGO CHÁVEZ. Oui, mais ils faisaient un dernier effort. Et ils me tendaient un piège pour me faire partir du pays. Car ils m’ont dit : « L’avion est prêt. Et après, tu vas à Cuba. » Je leur ai dit : « Non, comme ça, je ne peux pas. Sans information crédible sur ce qu’il se passe dans le pays, je ne vais pas signer ma démission, je n’ai pas l’intention de démissionner, et encore moins de partir du pays. Cherchez-moi un téléphone pour parler au président Castro, pour coordonner avec la famille. Comment pouvez-vous penser que je vais partir en abandonnant mes enfants, ma femme, mes compagnons en prison ! » « Non, non, on les a tous libérés, il n’y a plus de prisonniers. » « Je veux leur parler, parler à Diosdado1, je veux avoir Bernal2 au téléphone, je veux parler à Rodríguez Chacín. Ce n’est que si vous me permettez de leur téléphoner, pour qu’ils me donnent des informations crédibles, que je pourrais penser à prendre une décision. Pour l’instant, je ne bouge pas d’ici. Et si vous me maintenez prisonnier, alors renvoyez-moi à Turiamo. Je ne veux pas être prisonnier dans cette maison de luxe. Non, envoyez-moi à ma prison…”
FIDEL CASTRO. Mais l’avion était déjà prêt, je crois, hein ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, l’avion était là. J’ai même demandé de mieux vérifier, parce que José Vicente3 vient de me dire qu’il y avait un avion étasunien4 à l’Orchila.
FIDEL CASTRO. Je crois même qu’ils ont parlé à Shapiro1. Ils ont dû le faire. Vérifie bien autant que tu peux, parce qu’ils avaient même l’idée de te conduire aux États-Unis. En tout cas, c’est le bruit qui a couru.
HUGO CHÁVEZ. Oui, sur la piste, j’ai vu l’avion, avec des sigles. Un avion privé, bien entendu, mais avec des sigles des USA.
FIDEL CASTRO. Un avion des États-Unis.
HUGO CHÁVEZ. Tu vois un peu tout ce qu’ils avaient préparé ! Même m’expédier aux États-Unis, ou bien je ne sais où2 !
FIDEL CASTRO. Le bruit a couru, et très fort. Rien de tout ça ne nous est arrivé ici. Tout ce qu’ils m’ont demandé depuis le Palais, qui était déjà occupé, c’est que je fasse une déclaration. Eh ! bien, on a fait une déclaration ! Que nous avons diffusée aussitôt : que c’était un mensonge de plus, que s’ils te conduisaient de force à Cuba, nous te renverrions illico dans notre avion de ligne le plus rapide à Caracas, où le peuple t’attendait. (Ils rient.) Voilà notre déclaration !
HUGO CHÁVEZ. Eh ! bien, moi, sans rien savoir de tout ça, je leur ai dit en gros la même chose : « Écoutez, si vous m’envoyez à Cuba et que vous me mentiez, et si j’apprends là-bas qu’il y a des gens emprisonnés ici, ou que le peuple est dans la rue, et que la… » Parce qu’ils voulaient me berner : « Non, non, la situation militaire est absolument sous contrôle. » Je leur ai dit : « C’est sûr ? »
FIDEL CASTRO. Ils disaient : sous contrôle ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, ils disaient ça pour me tromper. Alors, je leur demande: « Qu’est-il arrivé au général Baduel ? » « Ça y est, lui, il a tout accepté, il est dans sa caserne, tranquille. »
FIDEL CASTRO. Quels fils de pute !
HUGO CHÁVEZ. Exact. « Non, je n’en suis pas si sûr. Je veux un téléphone pour parler à Baduel. Une fois qu’il m’aura tout expliqué, je prendrai une décision. » Alors, pour gagner du temps, je leur ai fait un autre texte…
FIDEL CASTRO. Ça, c’est toujours avec la commission ?
HUGO CHÁVEZ. Oui, toujours avec elle. Alors, je leur dis : « Non, je ne vais rien signer! » Je les sentais nerveux, parce que Baduel les avait menacés d’aller en hélicoptère avec des commandos de paras jusqu’à l’Orchila pour me libérer, si je n’apparaissais pas…
FIDEL CASTRO. Il avait déjà un plan.
HUGO CHÁVEZ. Ah bon !
FIDEL CASTRO. Oui, il avait un plan pour occuper l’endroit.
HUGO CHÁVEZ. Alors, l’amiral me dit… Eux, ils avaient occupé des positions de combat à l’Orchila, un petit groupe, d’accord, mais c’étaient des commandos très bien entraînés. Alors, l’amiral se rapproche de moi et me dit : « Ne signez rien. Il a est à peu près sûr que Baduel va venir vous libérer. S’il arrive ici, il n’y aura pas de résistance, on partira avec lui, sûrement en direction de Miraflores1. Voilà ce que me dit l’amiral, celui qui était avec moi depuis Turiamo.
FIDEL CASTRO. D’accord.
HUGO CHÁVEZ. Donc, ces gens-là… En fait, la situation avait totalement changé. Alors, ils me mettent en contact avec José Vicente – ils avaient finalement trouvé un téléphone ! – et là alors, il se passe quelque chose d’incroyable ! « Où es-tu, José Vicente ? » « Ici, au ministère de la Défense, nous l’avons récupéré ! » (Ils rient.)
FIDEL CASTRO. C’est la première nouvelle que tu as de toute cette situation.
HUGO CHÁVEZ. Oui, la première. Elle vient de José Vicente. Tout le reste était des fausses informations, des contre-informations, des doutes. Mais là non, putain ! Mais je me disais : « Ce n’est pas possible qu’ils aient récupéré si vite… » Alors, je lui demande : « Et le prétendu président, où est-ce qu’il est ? » Il me dit : « Il est ici, on l’a arrêté, avec un petit tas de généraux, aussi. » (Il rit.) « Il y a eu des morts, il y a des combats ? » « Non, non, même pas un coup de feu, rien. Une réaction foudroyante du peuple, des jeunes militaires, et tous ces gens-là sont en train de fuir comme des lapins. On en a attrapé la plupart. »
FIDEL CASTRO. Et sous quel prétexte tu es arrivé à ce qu’ils te laissent parler à Rangel ?
HUGO CHÁVEZ. Bon, c’est qu’à ce moment-là… La commission qui était venue me chercher avait changé complètement d’attitude ; ils étaient assis tous les trois, sans la ramener… C’est l’amiral qui était venu avec moi pour me surveiller qui m’informe, c’était le chef de l’aviation militaire de la marine. Il me prend à l’écart et il me dit : « Président, ne signez rien, ne tombez pas dans le piège. On dirait bien que vous allez rentrer à Miraflores ce soir même. » Et il s’est mis à me donner des informations qu’il obtenait depuis son commandement. Alors, j’ai repris du poil de la bête, je me suis mis à parler en président, et eux de leur côté ils me donnaient du président gros comme le bras !
FIDEL CASTRO. Quand est-ce qu’ils t’ont passé le téléphone ?
HUGO CHÁVEZ. Vers minuit, quand j’ai parlé avec José Vicente. Après, j’ai parlé au gouverneur Blanco de la Cruz, et après ils m’ont passé un autre gouverneur.
« Le peuple est dans la rue ! » Blanco de la Cruz avait récupéré le siège de son gouvernorat, il s’y était installé, il avait déclaré la résistance dans l’État de Táchira, il avait appelé le peuple à descendre dans la rue. Et le peuple dans la rue… avait cerné le siège d’où on l’avait fait sortir en le rudoyant, la partie de la police qui avait passé… alors il me dit (changement de cassette)… Caracas.
Au bout d’un moment, on est venus… J’ai parlé aussi à Baduel, à García Montoya, à d’autres généraux qui étaient là-bas avec Rangel. Et alors, quatre ou cinq hélicoptères sont arrivés, ceux de Baduel, bourrés de paras de Maracay1.
FIDEL CASTRO. Sans blague ! (Il rit.)
HUGO CHÁVEZ. Et aussi les « Casse-cou ». Ils ont un slogan maintenant : « Loyauté jusqu’à la mort ! » Une sacrée histoire ! Et après sont arrivés les commandos de la marine, les commandos des forces de l’air, les commandos de paras, et on est tous rentrés en un vol triomphal, et on a atterri ici à Miraflores, où le peuple était dans la rue…
FIDEL CASTRO. Tu es passé par Maracay ?
HUGO CHÁVEZ. Non, j’y vais demain.
FIDEL CASTRO. Vous êtes allés directement d’Orchila à…?
HUGO CHÁVEZ. Je devais rentrer au Palais, qui est le symbole du pouvoir, tu le sais.
FIDEL CASTRO. Oui, oui.
HUGO CHÁVEZ. Et il y avait beaucoup de gens.
FIDEL CASTRO. On a eu une information qu’on avait donnée à Germán depuis le Palais… La confusion régnait. On a même dit à un moment que tu étais blessé, qu’on était allé te libérer et que tu avais été blessé. On a beaucoup dit aussi qu’on t’avait tabassé, oui, le bruit a couru très fort…
HUGO CHÁVEZ. Beaucoup de crainte, oui. Qu’on m’avait aussi esquinté le foie, et je ne sais quoi encore…
FIDEL CASTRO. Oui, ça aussi. Qu’on t’avait frappé au foie. Mais c’étaient des gens à toi qui faisaient courir des rumeurs, à cause de la confusion. Et ça, ça a terriblement touché María, dans l’après-midi, toutes ces nouvelles…
HUGO CHÁVEZ. Tu sais ? Je viens d’apprendre que c’étaient les gars à moi qui faisaient courir ces rumeurs, qui faisaient une campagne psychologique par téléphone, hein ? Afin que les gens soient encore plus furieux, tu comprends ? Il est blessé, on l’a tabassé, et après ce slogan : « On veut le voir ! On veut le voir ! On veut le voir ! » Pour que le peuple fasse pression : « On veut voir Chávez ! On veut voir Chávez ! » Je ne sais pas quoi d’autre. Mais c’est ça qui a fait changer les choses.
Voilà, je suis arrivé ici, et j’y reste1 !
FIDEL CASTRO. Oui, cette partie, je l’ai vue à la télévision, ton arrivée… Avec des images impressionnantes, le visage des gens, leur joie. Jamais vu ça, Chávez ! À en faire des tableaux, des peintures, quand les caméras filmaient les gens derrière une grille, par exemple. Des images impressionnantes ! Il faut en faire un film, parce que c’est… Bon, et quand est-ce qu’elle est rentrée, ta commission des trois ?
HUGO CHÁVEZ. Ah, eux, ils sont rentrés avec moi !
FIDEL CASTRO. Ah, ils sont rentrés avec toi ? C’est vraiment incroyable ce que tu me racontes, vraiment incroyable ! Mais tu dois chercher à savoir quelle idée ils avaient en tête. Fais enquêter quelqu’un pour savoir où ils voulaient t’emmener. À un moment donné, ils ont parlé de Saint-Domingue, mais il y a quelque chose de curieux dans ce truc de l’avion.
HUGO CHÁVEZ. Oui, c’est bizarre, sans aucun doute, c’est un drôle d’histoire…
FIDEL CASTRO. En tout cas, aucun d’eux ne s’est adressé à Cuba, ni n’a demandé de permission pour aucun avion. Tu vois vérifier. Fais enquêter quelqu’un pour savoir quel plan ils avaient, où ils voulaient t’emmener…
HUGO CHÁVEZ. Oui, j’ai déjà chargé de le faire, mais je vais suivre ça demain pour savoir ce qu’il y a de vrai dans ce plan de me conduire aux États-Unis.
FIDEL CASTRO. Oui, parce que c’est dégradant. Il y a de la perfidie dans le piège qu’ils t’ont tendu. Les salauds !
HUGO CHÁVEZ. Oui.
FIDEL CASTRO. Terrible!
HUGO CHÁVEZ. Utiliser le cardinal pour ça ! « C’est moi qui vais garantir tout ça, et que tout soit respecté… » !
FIDEL CASTRO. Il a t’a dit ça !
HUGO CHÁVEZ. Oui. Je lui ai dit: « J’ai des raisons de douter de vous aussi, je vous ai vu hier signer le document de Mussolini ! Quelle honte pour l’Église, monseigneur, vous qui faites semblant de parler de démocratie, en train de signer un décret qui élimine le congrès, l’assemblée, les gouverneurs, le pouvoir judiciaire, le procureur… ! » À propos, les déclarations du procureur, Isaías Rodríguez2, ont été…
FIDEL CASTRO. Décisives ! Mais ça, c’était à cinq heures de l’après-midi, ou quatre… Non, avant, vers trois heures.
HUGO CHÁVEZ. Un rayon de lumière !
FIDEL CASTRO. Oui, un homme très courageux, tu sais, avec des arguments massue, du tonnerre. Et très serein.
HUGO CHÁVEZ. Oui, courageux.
FIDEL CASTRO. Mais on ne l’a pas laissé finir ! La télévision l’a sûrement trompé, parce qu’il a commencé à parler et on ne l’a pas laissé finir, ni Lara1 non plus.
HUGO CHÁVEZ. Oui, mais de toute façon il a pu dire ce qu’il avait à dire : « Où est la démission du président ? Je veux la voir signée. Et à supposer qu’elle existe… »
FIDEL CASTRO. Ça doit être l’autre… Et la démission doit se faire devant la Chambre, qu’il a dit. Des arguments très solides.
HUGO CHÁVEZ. C’est ça. Et que c’est le vice-président qui doit occuper la présidence. Il a dit : « Je veux voir la démission du président. Il me semble qu’il n’a pas démissionné. » Et ça a fait le tour du monde. Un rayon de lumière !
FIDEL CASTRO. Ça, c’était vendredi, autour de…
HUGO CHÁVEZ. Bon, je vais à Maracay, j’y vais demain. On ne va pas pouvoir faire « Allo président2 » parce qu’on n’a même plus les équipements. Ces gens-là les ont volés ! Ils ont volé les caméras, ils ont volé des équipements, ils ont pillé la partie des télécommunications. Ils ont volé des câbles… Tu te rends compte ! En un jour, ils avaient déjà saccagé…
FIDEL CASTRO. Tu imagines s’ils restent un mois ! (Ils rient.)
HUGO CHÁVEZ. Il ne reste plus rien ! Un seul jour, et des équipements disparaissent…
Donc, je vais y aller, chez les paras, où se trouve Baduel, une conférence de presse. J’ai invité toute la presse, parce qu’aujourd’hui je n’ai pas voulu répondre, à cause du temps limité et parce que je devais sortir sur le balcon pour m’adresser au peuple. Alors, je leur ai dit : demain midi, au commandement des paras, parce qu’ici c’est le symbole de la contre-révolution, comme je l’appelle…
FIDEL CASTRO. Et là-bas, celui de la loyauté, de l’audace, de l’intelligence. Ces types-là étaient perdus à partir du moment où une seule unité militaire se soulevait, parce qu’ils n’avaient pas de force, que personne n’aurait obéi à un ordre d’attaquer des compagnons. Ils ont cherché à les tromper… Je m’en suis rendu compte à partir du moment où une seule unité s’est rebellée, à plus forte une unité comme celle-là. Ils n’avaient pas la force pour la réprimer et ils étaient fichus dès ce moment-là.
FIDEL CASTRO. Décisives ! Mais ça, c’était à cinq heures de l’après-midi, ou quatre… Non, avant, vers trois heures.
HUGO CHÁVEZ. Un rayon de lumière !
FIDEL CASTRO. Oui, un homme très courageux, tu sais, avec des arguments massue, du tonnerre. Et très serein.
HUGO CHÁVEZ. Oui, courageux.
FIDEL CASTRO. Mais on ne l’a pas laissé finir ! La télévision l’a sûrement trompé, parce qu’il a commencé à parler et on ne l’a pas laissé finir, ni Lara1 non plus.
HUGO CHÁVEZ. Oui, mais de toute façon il a pu dire ce qu’il avait à dire : « Où est la démission du président ? Je veux la voir signée. Et à supposer qu’elle existe… »
FIDEL CASTRO. Ça doit être l’autre… Et la démission doit se faire devant la Chambre, qu’il a dit. Des arguments très solides.
HUGO CHÁVEZ. C’est ça. Et que c’est le vice-président qui doit occuper la présidence. Il a dit : « Je veux voir la démission du président. Il me semble qu’il n’a pas démissionné. » Et ça a fait le tour du monde. Un rayon de lumière !
FIDEL CASTRO. Ça, c’était vendredi, autour de…
HUGO CHÁVEZ. Bon, je vais à Maracay, j’y vais demain. On ne va pas pouvoir faire « Allo président2 » parce qu’on n’a même plus les équipements. Ces gens-là les ont volés ! Ils ont volé les caméras, ils ont volé des équipements, ils ont pillé la partie des télécommunications. Ils ont volé des câbles… Tu te rends compte ! En un jour, ils avaient déjà saccagé…
FIDEL CASTRO. Tu imagines s’ils restent un mois ! (Ils rient.)
HUGO CHÁVEZ. Il ne reste plus rien ! Un seul jour, et des équipements disparaissent…
Donc, je vais y aller, chez les paras, où se trouve Baduel, une conférence de presse. J’ai invité toute la presse, parce qu’aujourd’hui je n’ai pas voulu répondre, à cause du temps limité et parce que je devais sortir sur le balcon pour m’adresser au peuple. Alors, je leur ai dit : demain midi, au commandement des paras, parce qu’ici c’est le symbole de la contre-révolution, comme je l’appelle…
FIDEL CASTRO. Et là-bas, celui de la loyauté, de l’audace, de l’intelligence. Ces types-là étaient perdus à partir du moment où une seule unité militaire se soulevait, parce qu’ils n’avaient pas de force, que personne n’aurait obéi à un ordre d’attaquer des compagnons. Ils ont cherché à les tromper… Je m’en suis rendu compte à partir du moment où une seule unité s’est rebellée, à plus forte une unité comme celle-là. Ils n’avaient pas la force pour la réprimer et ils étaient fichus dès ce moment-là.
HUGO CHÁVEZ. C’est ce que j’appelle le pays virtuel. Ces types-là croyaient que comme ça, avec une campagne médiatique, de manière virtuelle, ils pouvaient ignorer le pays réel, le pays combatif… Tu sais comment il est, notre peuple !
FIDEL CASTRO. Oui, et que les soldats allaient se battre entre eux pour défendre ce pauvre type ridicule qu’ils avaient installé à la présidence.
HUGO CHÁVEZ. C’est ça.
FIDEL CASTRO. Ils croyaient que les soldats allaient mourir et attaquer leurs compagnons pour ça.
HUGO CHÁVEZ. Oui, Fidel, ça vaut la peine d’en faire l’histoire. Je t’enverrai…
FIDEL CASTRO. Il faut réunir toutes les informations. Nous, on va regrouper ce qu’on a ; toi, fais-le de ton côté.
HUGO CHÁVEZ. Oui, et maintenant, il faut lire tout ça avec soin et donner un nouvel élan à la Révolution.
Tu sais ce que je me disais, le jour où… je suis parti, très triste, bien entendu, hein ? Putain de merde, seul, enfermé…
FIDEL CASTRO. Tu sais, notre rage ici n’était pas moindre que la tienne là-bas… Quelle amertume !
HUGO CHÁVEZ. Tu sais ? Je me disais: « Si en fin de compte je dois abandonner le Venezuela, alors je dois aller à Cuba. Il n’y a pas… »
FIDEL CASTRO. Pendant que je parlais avec toi, je pensais que ce serait pour plus tard.
HUGO CHÁVEZ. Oui.
FIDEL CASTRO. Je ne pensais pas à quelque chose d’aussi foudroyant.
HUGO CHÁVEZ. Moi non plus.
FIDEL CASTRO. Je t’ai dit : « Tu dois préserver ta vie, et tu dois même préserver celle des gens qui sont les plus loyaux… »
HUGO CHÁVEZ. Oui, moi aussi je pensais que ce serait au mieux dans quelques mois, à la fin de l’année… que j’aurais le temps d’organiser une réaction des patriotes… Mais les miens, tu as vu… Je leur ai dit : « Merde, vous ne m’avez même pas laissé une journée de repos dans une cellule ! Vous m’avez libéré trop vite ! » (Il rit.) Vraiment impressionnant, tu sais ! On va rassembler des preuves, des images…
FIDEL CASTRO. Je vais tout rassembler, tout, absolument tout. Parce que je me suis fait des amis là-bas… tous ces gens qui…
HUGO CHÁVEZ. Mais maintenant nous devons suivre les choses de bien plus près ! Nos services de renseignement, par exemple, sont mauvais. Très mauvais ! Et les hauts gradés ont agi très mal. Très mal ! Ils m’ont caché des choses. J’ai donné des ordres qu’ils n’ont pas exécutés, ou alors qu’ils ont exécuté à moitié, ou alors à leur convenance. Ces fascistes les harcelaient. Et alors, ils avaient tendance à ne pas prendre de décisions1.
FIDEL CASTRO. Ils t’ont acculé à la défensive. En plus du truc de faire donner des militaires. Tout a été très bien pensé de leur part, comme faire faire des déclarations aux militaires, toute une série de déclarations. Tiens, en ta faveur, il y a ça aussi : aucun d’eux n’a été arrêté.
HUGO CHÁVEZ. De qui tu parles ?
FIDEL CASTRO. De ceux qui ont fait des déclarations. C’est quelque chose qui te favorise comme argument : aucun de ceux qui ont fait des déclarations, qui étaient des actes de subversion, de conspiration, n’a été arrêté. Je veux dire par là qu’à la différence de ce qu’ils ont fait, eux, en quarante-huit heures, et même moins, en vingt-quatre heures, vous, autrement dit la Révolution bolivarienne, vous avez fait preuve de patience, ce qui prouve la différence entre l’humanité, la générosité de la Révolution et ce que les fascistes ont fait en vingt-quatre heures2.
HUGO CHÁVEZ. Tu as raison.
FIDEL CASTRO. Incroyable ! Ils ont cassé le pouvoir judiciaire, le parlement, ils se sont emparés de tous les gouvernorats, de presque toutes les mairies.
HUGO CHÁVEZ. Je me suis dit : « Pauvre petit vieux ! Si, moi, j’ai tant de mal à gouverner, si j’ai tant de problèmes rien qu’avec le pouvoir exécutif, comment il va faire, ce pauvre homme, après s’être endossé tous les pouvoirs ! » Quelle maladresse ! Oui, ils ont vraiment été très maladroits ! La soif du pouvoir !
FIDEL CASTRO. Ils se seraient bagarrés entre eux aussitôt. Au bout de trois jours, ç’aurait été la bagarre !
HUGO CHÁVEZ. Non, non, tout de suite ! Ils étaient déjà en train de se bagarrer. Des généraux… tel poste… Par exemple, il y en a qui voulaient être chefs, alors ils étaient furieux, ils sont partis, ils n’ont pas assisté à la cérémonie. Ceux de la CTV non plus. Parce que l’Ortega3 en question voulait être vice-président ou quelque
chose de ce genre. Alors, ils ont commencé à se battre entre eux, ça a commencé à s’effondrer très vite…
En tout cas, quelle journée ! Une journée historique, pas de doute !
FIDEL CASTRO. Oui, inoubliable ! Moi qui ai vécu…
HUGO CHÁVEZ. Incroyable ! Inoubliable! En tout cas, il y a quelque chose à laquelle il faut réfléchir, et surtout il faut faire connaître ce cas au monde pour qu’on voie… Parce que la preuve est faite, Fidel… C’est que je te disais : hier soir, le jour où j’ai dû partir – un peu triste, naturellement – je me disais dans ma cellule : « Merde alors ! C’est donc vrai qu’une révolution pacifique est quasiment impossible ? Que d’efforts ! » Je me faisais ce genre de réflexions, je doutais, tu comprends, j’avais des doutes. Je me disais : « D’accord, mais je suis sûr que le peuple ne va pas accepter ça comme ça, et surtout pas les jeunes militaires… » Et ils ont réagi aussi sec ! À peine j’ai pris la direction de la prison, ils se sont mis à comploter… (Il rit.) Ils se sont infiltrés dans le Palais, ils se sont planqués dans les sous-sols, ils ont fait des groupes, ils communiquaient entre eux avec les casernes… Et finalement, tout ça a éclaté et a pris corps dans tout le pays.
FIDEL CASTRO. Ils ont travaillé comme des fourmis ! Ils sont allés partout.
HUGO CHÁVEZ. Et quel courage ! Ils ont même pensé à… Un des gars de la marine qui est avec moi m’a dit : « On avait même un plan : quatre d’entre nous allaient attraper ce vieux, ce Mussolini, et le conduire à Catia, la zone populeuse qui compte au moins trois millions d’habitants, et on allait dire : "On vous l’échange. Tant que vous ne nous ramenez pas Chávez, ce petit vieux, on le relâche pas". »
Dieu merci, ça n’a pas été nécessaire ! Tout s’est terminé comme tu le sais. Mais maintenant il faut commencer à restructurer des tas de choses, à réviser… Faire des corrections, tu comprends ?
FIDEL CASTRO. Tout est pour le mieux, donc ! Et puis, tu sais, je me réjouis que tu passes une journée… ! Je me réjouis que tu aies interrompu tout ça, car je pense que tu dois te reposer. Je ne sais pas comment tu allais te débrouiller. C’est une chance qu’ils aient volé les équipements ! (Il rit.)
HUGO CHÁVEZ. Non, mais je vais en tout cas à Maracay. Je dois y aller. Après, je visiterai quelques garnisons qui sont restées loyales, quelques localités…
FIDEL CASTRO. Tu ne peux pas savoir la commotion que ça a causée ici dans le peuple. C’est là que j’ai pu constater combien les gens t’aiment ici. Quelle commotion !
HUGO CHÁVEZ. J’imagine la tristesse qu’ils ont dû ressentir.
FIDEL CASTRO. À qui le dis-tu ! J’ai rarement senti autant d’amertume dans ma vie que l’autre jour. Je voulais… Tu sais que j’ai toujours été optimiste, que question de se battre, je me bats, parce qu’à peine debout, le téléphone… Je dors deux ou trois heures, et ce jour-là je me suis couché vers six heures du matin. Je me réveille à neuf heures, je me mets à faire des choses, et à 10 h 10, María m’appelle. C’est comme ça que ça s’est passé.
HUGO CHÁVEZ. Et tu sais ce que je pensais? Je pensais même : « Putain, et quelle gueule je fais, moi, là-bas, si j’arrive à Cuba ! »
FIDEL CASTRO. Oui, bien sûr.
HUGO CHÁVEZ. Tu comprends ?
FIDEL CASTRO. Tu sais que si tu arrivais en avion ici, tu repartais là-bas illico presto ! (Chávez rit.) L’avion… Il faut chercher à savoir pourquoi ils ont fait toute cette saloperie. Car t’envoyer ici… Oui, pourquoi ils ont fait cette saloperie, parce qu’il faut penser à quelque chose de pire, à des intentions encore plus mauvaises…
HUGO CHÁVEZ. Oui, j’en suis sûr. Ils avaient des intentions sinistres, car je suis sûr qu’ils n’allaient pas m’expédier à Cuba, j’en suis sûr. Mais le hic, c’est qu’ils n’ont pas eu le temps, parce que la réaction patriotique, bolivarienne a été si rapide… Moi, de mon côté, j’ai essayé de gagner du temps : le document ci, le document-là, cherchez-moi un téléphone… Oui, gagner du temps parce que je constatais que leur position était faible. Tu sais comment ? Le regard ! Les regards qu’ils échangeaient entre eux! Et puis, ils étaient très pressés pour que je signe le document. Et moi, j’étirais les choses, je rallongeais, jusqu’au moment où l’amiral m’a dit : « Ne signez rien, Baduel vient vous libérer. » Alors je me suis rendu compte que la victoire était proche…
Mais ce n’est pas une victoire. Je pense plutôt que c’est une leçon, une leçon, car il faut ajuster des choses, il faut prendre des décisions qu’on n’a pas prises et que…
FIDEL CASTRO. Et où est-ce qu’il est, le général qui était dans le fort, le chef de l’armée ?
HUGO CHÁVEZ. Il est aux arrêts, au fort.
FIDEL CASTRO. Il doit connaître le plan.
HUGO CHÁVEZ. Bien entendu !
FIDEL CASTRO. Il faut essayer qu’ils te le disent. Et l’autre… Ceux qui t’ont rendu visite là-bas doivent le connaître aussi.
HUGO CHÁVEZ. Oui. Demain, je vais m’y mettre, chercher des détails, prendre des décisions.
FIDEL CASTRO. Naturellement.
HUGO CHÁVEZ. Parfait, mon vieux.
FIDEL CASTRO. Et tu crois que tu vas pouvoir dormir avec toute cette excitation ?
HUGO CHÁVEZ. Il faut que je dorme un peu, c’est sûr. Mais c’est une excitation merveilleuse, un peu enivrante…
FIDEL CASTRO. Oui, c’est incroyable !
HUGO CHÁVEZ. C’est quelque chose comme… Oui, je suis enivré, c’est vrai, d’amour pour ce peuple, mais surtout, Fidel, c’est un message d’engagement, c’est un engagement avec ce peuple qui est descendu dans la rue, sans armes ni rien… appuyé bien entendu par les militaires patriotes…
FIDEL CASTRO. Ça a commencé dans la matinée, très tôt, un torrent de gens, ils ont cerné le fort. Il y avait beaucoup de monde.
Eh bien, je te félicite mille fois ! Tu le mérites !
HUGO CHÁVEZ. Quel plaisir d’avoir pu te parler, vieux !
FIDEL CASTRO. On dirait qu’une main divine te conduit.
HUGO CHÁVEZ. Oui, le peuple, mon vieux. Dieu et le peuple. Et, comment est-ce que tu dis, Ave María Purísima ! (Il rit.) Ave María Purísima, quelle histoire !
FIDEL CASTRO. Fantastique !
HUGO CHÁVEZ. Mais maintenant on doit se renforcer.
Rosita et Hugo, qui est ici, te saluent. Ma petite-fille a fini par s’endormir. Ils sont tous avec moi.
FIDEL CASTRO. Magnifique ! Beaucoup de bonheur à tous !
HUGO CHÁVEZ. Salue Felipe et tout le monde là-bas.
FIDEL CASTRO. Ils ont tous été mêlés à ça, tous.
HUGO CHÁVEZ. J’imagine quelle souffrance ! Je te promets… Kadhafi vient de m’appeler, très content lui aussi. Je te promets de faire tout mon possible pour ne plus te causer de nouveau de l’inquiétude et de la tristesse…
FIDEL CASTRO. D’accord. Mais en plus de la tristesse, nous avons eu le privilège d’être les témoins de la chose la plus extraordinaire qu’on aurait pu imaginer.
HUGO CHÁVEZ. Et moi de la vivre ! J’espère te voir bientôt. D’accord ?
FIDEL CASTRO. Oui, on doit se voir, d’accord.
HUGO CHÁVEZ. Alors, Fidel…
FIDEL CASTRO. Pour parler de tout ça. C’est le plus important, c’est ce qui nous intéresse.
HUGO CHÁVEZ. C’est ça.
FIDEL CASTRO. D’accord.
HUGO CHÁVEZ. Je t’embrasse, vieux frère, je t’embrasse…
FIDEL CASTRO. Moi aussi.
HUGO CHÁVEZ. Jusqu’à la victoire à jamais !
FIDEL CASTRO. Jusqu’à la victoire à jamais !
HUGO CHÁVEZ. Je t’embrasse, vieux frère.
Bolívar a tenu parole. Plus de cent ans après, il s’est réincarné en Chávez, il a été fidèle à son engagement de revenir maintenant que s’éveille, cette fois-ci plus que jamais, la conscience du peuple vénézuélien.
Pour ma part, ne tenant pas à occuper un millimètre de l’espace du Granma, j’ai demandé de publier un tabloïd qui accompagne l’organe officiel de notre parti.
Fidel Castro Ruz
27 mars 2014
16 h 40
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1 María Gabriela, la seconde fille du (premier) mariage d’Hugo Chávez avec Nancy Colmenares, 21 ans.
2 Hugo Chávez est arrêté par les militaires putschistes le vendredi 12 avril 2002, entre trois et quatre heures du matin.
3 Fidel, après l’avoir tenté sans succès depuis le début de l’après-midi du jeudi 11 avril, parvient à joindre Chávez au téléphone le vendredi 12 à 00 h 38. Compte tenu du rapport de force que lui présente Chávez, il lui dit : « Pose les conditions d’un traitement honorable et digne, et préserve la vie des hommes que tu as, qui sont les plus loyaux. Ne les sacrifie pas, et ne te sacrifie pas toi non plus. » Comme Chávez affirme qu’ « ils sont tous prêts à mourir avec lui », Fidel poursuit : « Je le sais, mais je crois que je peux penser avec plus de calme que toi en ce moment. Ne démissionne pas, exige des conditions honorables et des garanties pour ne pas être victime d’une traîtrise. Je pense que tu dois te préserver. Et puis, tu as un devoir envers tes compagnons. Ne t’immole pas ! Ne démissionne pas ! Ne renonce pas ! » Fidel lui parle ensuite de son idée de mobiliser le corps diplomatique au Venezuela et à Cuba, d’envoyer à Caracas le ministre cubain des Relations extérieures et un groupe de diplomates dans deux avions pour aller le chercher, lui et ses compagnons, et le ramener à Cuba à titre provisoire, parce qu’il est quasiment convaincu que le peuple et une grande partie des force armées n’accepteront pas ce putsch.
Le frère aîné de Chávez, Adán, alors secrétaire privé de la présidence, témoigne : « Le 11 avril, j’étais à Miraflores. Ce jour-là, je fêtais mes quarante-neuf ans et j’ai pensé que ce serait mon dernier jour. J’étais de ceux qui croyaient, comme José Vicente Rangel, qu’on devait s’immoler. J’avais donné des instructions à des amis de sauvegarder Carmen, ma femme, et ma benjamine, qui étaient à Caracas. Le coup de fil de Fidel avec son conseil d’éviter l’affrontement, a été providentiel. De toute façon, on était très abattus. » (Rosa Miriam Elizalde et Luis Báez, Chávez Nuestro, La Havane, 2004, Editorial Abril, pp. 45-46.)
« L’appel de Fidel fut décisif pour éviter l’immolation, déterminant. Son conseil nous a permis de mieux voir dans le noir. Il nous a beaucoup aidés. » José Vicente Rangel, ministre de l’Intérieur, in id., p. 158.)
4 Raúl Isaías Baduel, général de brigade à la tête de la 42e brigade de parachutistes à Maracay, une garnison stratégique. Avait été le secrétaire particulier de Chávez après les élections de décembre 1998. Le dernier poste militaire du lieutenant-colonel Hugo Chávez fut celui de commandant de la 422e brigade de parachutistes Colonel Antonio Nicolás Briceño, à Maracay, de 1991 au 4 février 1992. L’un des fondateurs du MBR-200.
5 Le général Clíver Alcalá, qui commande un bataillon de chars à Maracaibo.
6 Après avoir conduit Chávez au fort Tiuna, à Caracas, la plus grande garnison du pays et siège du ministère de la Défense, le vendredi 12 à quatre heures du matin, comme la foule commence à s’attrouper autour de cet endroit, les putschistes le font monter, à la tombée de la nuit du même jour, dans un hélicoptère de la marine et le conduisent au régiment d’Opérations spéciales, sur la base navale de Turiamo, dans l’Etat d’Aragua.
7 Fuerte Tiuna, siège du ministère vénézuélien de la Défense à Caracas et la plus grande installation militaire du pays. Après avoir conduit Chávez au siège de l’État-major de l’armée, les meneurs putschistes, à savoir les généraux Fuenmayor León, qui a menacé de bombarder Miraflores, Vázquez Velazco et González González, ont une réunion avec lui. Alors qu’il était encore au palais de Miraflores, Chávez leur avait posé quatre conditions: 1) Respect de la vie et de l’intégrité physique des personnes ; 2) Respect de la Constitution (la nouvelle, celle qui a été votée le 15 décembre 1999) qui implique que le président doit démissionner devant l’Assemblée nationale (or, celle-ci a été dissoute par le nouveau « président », Carmona) ; 3) Pouvoir informer le peuple de sa décision (or, les medias publics ont été bloqués) ; 4) Abandonner le pays avec les compagnons prêts à partir avec lui. Assistent à cette réunion deux cardinaux, Baltazar Porras, président de la Conférence épiscopale, et Azuaje, et quelques civils, tandis que Pedro Carmona Estranga, le président du patronat, que Vázquez Velazco a présenté à cinq heures du matin comme le nouveau président du gouvernement provisoire, attend dans une pièce voisine. Chávez réitère ses conditions et sa position : il ne signera aucune démission. C’est après cette réunion, vers 6 h 30, que Chávez est enfermé dans une cellule de la police militaire.
8 Marisabel Rodríguez, sa seconde femme, dont il a eu une fille Rosinés et dont il se séparera en 2003.
9 C’est Chávez en personne qui demande à María Gabriela de contacter Fidel.
Témoignage de María Gabriel : « …il m’a dit d’appeler Fidel, le seul qui pouvait faire la dénonciation internationale, et il insistait : "Dis-lui que je suis un président prisonnier, que je n’ai pas démissionné." On a parlé environ trois minutes ». […] Quand j’ai appris que j’étais en communication avec le bureau de Fidel, je me suis mise à pleurer. Je me suis effondrée. À peine il a écouté ma voix, il m’a dit : "María, comment vas-tu ?" Il parlait très bas. "Fidel, aidez-nous, je vous en supplie !" "Calme-toi, María." J’étais désespérée : "Mon papa m’a demandé de te dire que s’il meurt aujourd’hui, c’est parce qu’il sera loyal à ses convictions jusqu’au dernier moment. Il m’a dit expressément de te le dire." Je lui ai raconté aussi toute la conversation. À mesure que je lui parlais, je me sentais libérée d’un poids énorme. Je savais que Fidel ne nous abandonnerait pas. […] A partir de là, et jusqu’au retour de mon père à Miraflores, il m’a appelé toutes les demi-heures. C’est Fidel qui a eu l’idée que je parle à Randy Alonso… […] Je me souviens d’avoir dit à Fidel que j’étais très timide, que j’avais le trac de parler aux journalistes. "Ne te tracasse pas, María, Randy est un ami. " "Pour mon papa, je fais n’importe quoi. » "C’est ce que j’attendais de toi." » (Rosa Miriam Elizalde et Luis Báez, Chavez Nuestro, La Havane, 2004, Editorial Abril, pp. 298-300.)
10 Randy Alonso, qui dirigeait alors – et encore aujourd’hui – un programme quotidien très suivi, la « Table ronde télévisée », de 18 h 30 à 20 h. Il enregistre le message de María Gabriela à 11 h, le transcrit, l’adresse aux agences de presse, puis le passe en différé dans une transmission spéciale, à 12 h 40.
11 Felipe Pérez Roque, ministre cubain des Relations extérieures.
12 Germán Sánchez Otero, l’ambassadeur cubain en poste depuis 1994.
13 En fait, l’ambassade cubaine de Caracas est soumise à des attaques dès les 9 et 10 avril 2002 : cris, insultes, jets de pierre, cocktails Molotov… Mais c’est le 11 que les choses empirent : la nuit tombée, une fois le putsch conclu, des groupes de personnes commencent à vandaliser les voitures du personnel diplomatique, à crever les pneus, à briser les glaces, à peindre des slogans contre Cuba, tandis que deux individus armes tentent de pénétrer dans la résidence diplomatique. Le 12, à 8 h, un terroriste d’origine cubaine, Salvador Romaní, téléphone qu’il vient occuper l’ambassade avec un groupe de personnes. Germán Sánchez, l’ambassadeur, appelle alors le maire de la municipalité, Henrique Capriles Radonski, pour l’informer de la situation, sans que celui-ci réponde. À 8 h 30, un autre terroriste Ricardo Koesling apparaît à la porte, annonçant l’arrivée d’une foule pour pénétrer dans l’ambassade sous prétexte que Diosdado Cabello, le vice-président de la République, s’y est réfugié avec d’autres collègues du gouvernement. À 11 h, plus de mille personnes sont massées devant l’ambassade, les plus enragées coupant l’eau et l’électricité, et tentent, vers 13 h 30, de défoncer la porte, tandis que d’autres pénètrent dans une maison inhabitée pour tenter par le fond d’incendier l’ambassade avec de l’essence et des cocktails Molotov. Vers 15 h, la horde donne un délai d’une heure pour que l’ambassadeur ouvre la porte, sinon elle entrera de force. Soudain, apparaissent des fonctionnaires des mairies de Baruta et de Mayor, qui disent venir dialoguer. L’ambassadeur autorise les fonctionnaires municipaux et ensuite le maire Capriles à entrer en passant par-dessus le mur par une échelle, mais refuse de les laisser fouiller l’ambassade à la recherche de prétendus réfugiés. Devant cette attitude résolue, ils doivent ressortir et expliquer aux fanatiques que les ambassades sont inviolables. En fait, à l’heure qu’il est, les choses ont commencé à tourner mal pour les putschistes et le rapport de force a commencé à basculer… À 21 h, c’est au tour de Mgr Baltazar Porras de se présenter, puis, à 23 h, le général putchiste Diamani Bustillo, le nouveau ministre de l’Intérieur, qui affirme avoir reçu des instructions de Pedro Carmona de normaliser la situation. Au petit matin du 13 avril, l’eau et l’électricité sont rétablies, la populace se retire, mais de nouveaux petits groupes de provocateurs apparaissent vers 8 h du matin, malgré la quarantaine de policiers en cordon depuis le début de la nuit précédente. Finalement, le putsch ayant fait fiasco, la situation se normalise, bien qu’à 17 h, huit cocktails Molotov et quatre bouteilles d’essence soient encore lancés contre le consulat.
14 À la question : « Vous avez parlé avec Fidel ? », la mère de Chávez répond : « Oui, le 12, le jour le pire. Une des filles d’Hugo Rafael, María Gabriela, m’a téléphoné et elle m’a dit qu’elle avait parlé avec Fidel. Je lui ai dit de me mettre en contact avec lui. On ne savait pas où était mon fils et j’étais au désespoir. Fidel m’a téléphoné : "Calmez-vous, Elena, ne vous tracassez pas tant. Il ne peut rien arriver à Hugo." Je lui ai répondu : "Mais on ne sait pas où il est, Fidel, et j’ai très peur. " Et lui : "Écoutez, l’important est que le monde sache ce qu’il se passe. Parlez-en à la presse." Et j’ai parlé à la presse, mais ici au Venezuela, ils n’ont rien dit. Je sais qu’à Cuba, oui, on m’a écoutée, parce que j’ai reçu des lettres de Cubains qui m’ont écoutée ce jour-là, quand j’ai demandé qu’on ne tue pas mon fils. Vous vous rendez compte qu’il y a une relation spéciale entre Fidel et mon fils ? Parfois, on dirait un père et un fils. J’ai beaucoup d’estime pour Fidel, car je sais qu’il l’aime vraiment. Fidel, oui, il est sincère ! Pour ça, oui, il ressemble à Hugo Rafael, car eux, quand ils donnent de l’affection, c’est qu’ils l’éprouvent vraiment. » (Rosa Miriam Elizalde et Luis Báez, Chávez Nuestro, La Havane, 2004, Editorial Abril, pp. 27-28.)
15 Julio García Montoya.
16 Dès le vendredi 12 avril à midi, ces militaires ont lancé le Manifeste de salut de la dignité nationale, signé par le général de division Julio García Montoya (qui a été nommé chef du commando chargé de libérer Chávez), les généraux Luis Acevedo et Pedro Torres, chefs de la Base aérienne Libertador, à Maracay, Alí Uzcátegui et Nelson Verde Graterol, les amiraux Orlando Maniglia et Fernando Camejo, et appuyé par la plupart des chefs de garnison et tous les commandants de bataillon du pays. C’est un total de quatorze généraux, à la tête de vingt mille soldats, chars, aviation, artillerie et infanterie, qui se regroupe à Maracay. Leur manifeste réclame : 1) Que la police métropolitaine de Caracas cesse de faire régner la terreur ; 2) Rétablissement de l’ordre constitutionnel ; 3) Éviter tout affrontement entre unités militaires ; 4) Démission immédiate du gouvernement usurpateur ; 5) Accès aux médias pour dire la vérité. Mais ceux-ci censurent le Manifeste.
17 Lieutenant-colonel Argenis Martínez Hidalgo, qui commande la 422e brigade à Maracay.
18 L’Orchila est un petit archipel de 40 km2, formé d’une dizaine de cayes sablonneux et de récifs coralliens, distant de 180 km au nord de Caracas, où existent une base navale et une résidence présidentielle que Chávez avait visitée pour la première fois à la semaine sainte de l’année précédente. Les putschistes l’y ont amené le samedi 13 avril à 17 h dans l’intention de l’obliger à démissionner. Ils choisissent pour ce faire le colonel Julio Rodríguez Salas, qui est avocat et qui avait été chargé de le surveiller au fort Tiuna, le général Godoy Peña, de la justice militaire, et le cardinal Ignacio Velazco, censé servir de garant. Ils lui présentent une déclaration de démission datée du 11 avril et l’informent qu’une fois celle-ci signée, un avion le fera partir du pays. Ce que Chávez refuse une fois de plus, insistant à nouveau, toujours pour gagner du temps que, selon la Constitution, il doit se démettre devant l’Assemblée nationale.
19 Le vendredi 12 avril, à 22 h 15 (23 h 15 heure de Cuba), María Gabriela a téléphoné à Fidel pour lui dire que son père avait été emmené en hélicoptère à un endroit inconnu. Le samedi 13, alors que les forces militaires loyales à Chávez ont décidé d’entrer en action pour le libérer, Fidel, après avoir téléphoné à 15 h 15 à l’ambassadeur cubain pour lui demander de transmettre au général Vázquez Velazco le message suivant : Qu’ils libèrent Chávez, le seul à pouvoir éviter un bain de sang, ce que refuse le putschiste qui continue de réclamer le départ de Chávez, téléphone à María Gabriela pour lui demander de le mettre en contact avec le général Baduel, ce qu’elle réussit à faire à 15 h 49.
20 Fédération du patronat présidée par Carmona.
21 Membres du Parti Action démocratique (AD).
22 Membres du Comité d’organisation politique électorale indépendante, ou Parti social-chrétien (COPEI). AD et COPEI se partagèrent le pouvoir jusqu’en 1998.
23 Le major Jesús Suárez Churio, qui était le chef de son escorte et qui l’accompagne pour le protéger jusqu’au fort Tunia. Il avait été avec lui jusqu’au dernier moment, dans un édifice proche de Miraflores, en 1992, lors de la première tentative de Chávez de renverser le gouvernement.
24 Non, avant-hier, le vendredi 12 avril.
25 C’est le 21 avril 2001 que Chávez avait, à son programme radio-télévisé dominical « Allo président », lancé l’idée de constituer dans les quartiers populaires et ceux de la classe moyenne, sur les lieux de travail et d’étude, en ville et à la campagne, les Cercles bolivariens qui devaient devenir les cellules de base de la future organisation populaire et regrouper tous les courants du grand mouvement bolivarien révolutionnaire. Ces cercles pouvaient naître de groupes de citoyens ayant des intérêts communs, et devaient servir de connexion entre les aspirations et besoins de la population et les réponses du gouvernement. Chávez envisageait une organisation sociale souple et polyvalente, remplissant des fonctions politiques et idéologiques, de défense de la Révolution et de diffusion de l’idéologie bolivarienne. Ils auraient un contact direct avec Miraflores, sans intermédiaires. Le 17 décembre 2001, des milliers de Cercles bolivariens étaient enregistrés au Palais présidentiel.
26 Le Mouvement bolivarien révolutionnaire 200 (MBR-200), de nature civile et militaire, est fondé par Chávez en 1982, dans la ligne de l’Armée bolivarienne révolutionnaire 200 (EBR-200) qui avait vu le jour en 1977, ses membres fondateurs étant aussi Jesús Urdaneta, Raul Isaías Baduel et Felipe Antonio Acosta Carlez. Ils prêtent serment le jour du bicentenaire de Simón Bolívar, comme celui-ci l’avait fait à son époque…
27 Patrie Pour Tous (PPT), issu en 1997 d’une scission de Cause radicale (CR).
28 Mouvement au socialisme (MAS), fondé en 1971 à partir d’une aile du Parti communiste vénézuélien.
29 Parti communiste vénézuélien.
30 Hugo Rafael, dernier né du couple Hugo Chávez-Nancy Colmenares, né en 1982.
31 Rosa Virginia, l’aînée du couple Chavez-Colmenares, née en 1978.
32 Il est évident que la terrible tension nerveuse qu’a vécue Chávez depuis le début de la semaine, le manque de sommeil finissent par brouiller sa notion du temps : parlant avec Fidel le dimanche 14 avril à sept heures du matin, c’est bien entendu de la veille dont il s’agit. En effet, le samedi 13 avril, dès midi, les militaires loyaux reprennent du poil de la bête, d’autant plus que le peuple lui aussi est sur le qui-vive et descend en masse des « collines », autrement dit des quartiers populaires et des bidonvilles qui cernent Caracas, en direction du palais de Miraflores et du fort Tiuna, tandis qu’à Maracay, les paras du général Baduel ont décidé d’entrer en action. À cette heure-là, le chef de garde d’honneur du palais présidentiel, le colonel Jesús Morao Gardona, entre en contact avec Baduel puis avec le général Carneiro, qui lui demande alors d’occuper Miraflores, d’emprisonner les putschistes et les civils alliés dans les sous-sols et de garantir leur sécurité physique. L’opération démarre autour de 13 h. La garde nationale met hors d’état de nuire les membres de l’Unité des opérations spéciales de la marine que le contre-amiral Tamayo avait installée à Miraflores ; la seconde partie du plan, l’arrestation des putschistes et des civils, alors sur le point de prêter serment dans la salle des Glaces, s’accomplit aussi sans coup férir, bien qu’une erreur permette à Carmona de s’enfuir et de se réfugier au fort Tiuna où l’un des chefs putschistes, le général Vázquez Velasco, est en train de faire face à une fronde d’une cinquantaine de commandants d’unités, lieutenants-colonels et capitaines.
33 Même brouillage temporel…
34 Le contre-amiral Scettro Romero.
35 Rodríguez Chacín, ministre de l’Intérieur et de la Justice, abandonne Miraflores le 12 avril à quatre heures du matin dans l’intention de rejoindre la résistance armée dont il suppose qu’elle se constituera. Il décide de rentrer dormir quelques heures et gagne un appartement qu’il juge sûr dans le quartier de Santa Fe, à l’est de Caracas, mais le gardien de nuit le reconnaît et le dénonce à la police de la mairie de Baruta, dont le maire Henrique Capriles Radonksi décide, de concert avec le maire de Chacao, Leopoldo López, décide de diriger lui-même l’opération armée pour l’arrêter, non sans avoir alerté les médias et les voisins auparavant. À la sortie de l’édifice, une populace le prend à parti.
36 Ronald Blanco de la Cruz, gouverneur de l’Etat de Táchira, qui avait accompagné Chávez lors du soulèvement du 4 février 1992 ; dès le 11 avril, au milieu de la matinée, il dénonce qu’un coup d’État est en marche.
37 Le député Tarek William Saab, après avoir abandonné Miraflores le 12, à huit heures du matin, refuse d’écouter les conseils de ses compagnons et rentre chez lui, dans l’un des quartiers les plus bourgeois de Caracas, La Lagunita. Là, dénoncé par un vigile, il est brutalement arrêté par des policiers fortement armés, doit sortir au milieu d’une populace de bourgeois déchaînée, est conduit sans ménagement au siège de la police politique et finalement relâché sans accusation à quatre heures du matin.
38 Vice-amiral Hector Ramirez Pérez.
39 Dans l’État de Barinas, où il était né le 28 juillet 1954.
40 Juan Bautista Rodríguez, de la Garde nationale, ne fait pas partie de la base de Turiamo. Sa fonction est d’aider au contrôle des locataires des dix-huit villas de repos appartenant à l’Institut de prévision sociale des forces armées : il remplit cette fonction du vendredi après-midi au dimanche. Ce vendredi, l’arrivée d’hélicoptères et le passage d’hommes armés lui mettent la puce à l’oreille.
41 L’intendant Juan Herrera Ramírez, dont le caporal Rodríguez est l’ami.
42 Pedro Manuel Prieto.
43 Juan Bautista Rodríguez ne peut récupérer la note de Chávez qu’une fois celui-ci une fois parti : « Turiamo, 13 avril 2002 / à 14 h 45 / Au peuple vénézuélien / (et à qui de droit) / Je soussigné, Hugo Chávez Frías, Vénézuélien, / président de la République bolivarienne / du Venezuela, déclare : / Je n’ai pas démissionné du / pouvoir légitime que le / peuple m’a confié. / A Jamais ! / Hugo Chávez F. » Comme toute la garnison est consignée, il justifie de son travail (acheter des bouteilles de butane) pour se rendre à la localité la plus proche, Ocumare de la Costa, où une amie, Eucari Sarmiento, le conduit jusqu’à Maracay à la 422e brigade commandée par le lieutenant-colonel Argenis Martínez Hildago ; celui-ci, après avoir lu la note de Chávez, l’emmène à la 42e brigade de paras du général Baduel qui, depuis la salle de transmission, expédie aussitôt des centaines de fax à l’extérieur.
44 José Ignacio Velazco.
45 La nouvelle Constitution bolivarienne est adoptée le 25 avril 1999 par 92 p. 100 des électeurs.
46 À partir de novembre 2001, le gouvernement vénézuélien a adopté 49 lois, dont trois très importantes (Terres et développement agraire ; Pêche et aquaculture ; Hydrocarbures, 1er janvier 2002) qui lui mettent à dos l’oligarchie et les classes dominantes et marquent le départ de la conspiration destinée à renverser Chávez.
47 Diosdado Cabello Rondón, le vice-président de la République, a réussi à échapper à quatre rafles des putschistes en changeant constamment d’endroit. Quand la Garde nationale récupère le palais de Miraflores, il se trouve dans l’exploitation agricole d’un vieux collaborateur de Chávez dans une montagne de l’État de Vargas, à deux heures de route de Caracas. Il avait gardé le contact avec d’autres dirigeants, avec les chefs militaires de Maracay et différents commandants du fort Tiuna, avait fait des déclarations (censurées) à la radio le 12 avril, envoyé le 13 un document aux principaux journaux, obtenu dans l’après-midi une interview téléphonique de CNN… C’est à 13 h qu’il reçoit un coup de fil du major Chourio qui l’informe que Miraflores a été récupéré, mais ce n’est qu’à 19 h qu’il parvient à se diriger sur Caracas et arriver tard dans la nuit au palais au terme d’une véritable odyssée. Là, William Lara, le président de l’Assemblée nationale, lui fait prêter serment comme président pour absence involontaire de Chávez.
48 Freddy Bernal, maire de Libertador, dont les locaux ont été envahis au matin du 12 avril, et qui a réussi à échapper à ses persécuteurs.
49 José Vicente Rangel Vale, ministre de la Défense. Il avait été ministre des Affaires étrangères.
50 L’avion dans lequel les putschistes pensaient faire partir Chávez de l’Orchila appartenait au banquier d’origine paraguayenne Víctor Gil (de la Total Bank). Selon le personnel de l’avion immatriculé aux USA, le plan de vol signalait Porto Rico, un territoire à moitié étasunien, comme destination.
51 Charles S. Shapiro occupa son poste d’ambassadeur des USA vingt jours avant le putsch. Il avait été attaché militaire au Chili lors du coup d’État contre Allende (1973) et avait aussi été présent en El Salvador et au Nicaragua durant la guerre de Reagan contre le gouvernement sandiniste. Dès le samedi 13 avril, à 9 h du matin, Shapiro rend visite à Carmona à Miraflores, en compagnie de l’ambassadeur espagnol Manuel Viturro de la Torre. Aznar et Bush avaient déjà justifié le putsch dans une déclaration conjointe.
52 Trois bâtiments, identifiés par les forces armées vénézuéliennes comme NC1 3300, NC2 2027 et NC3 2132, pénètrent sans autorisation dans les eaux territoriales le 13 avril à neuf heures du matin, et en ressortent sept heures après. En début d’après-midi, les hélicoptères NC1 1100 et NC1 0107 décollent d’un des bâtiments, survolent les environs et rentrent. Selon les documents en possession de Miraflores, il se peut que « des marines aient été à bord des bâtiments et qu’un avion furtif F-117 ait opéré durant la nuit ».
Ce même jour, de 15 h 12 à 16 h 25, le colonel Ronald McCammon, attaché militaire, et le lieutenant-colonel James Rodgers, chef du contre-terrorisme à l’ambassade des USA, sont en réunion avec le général Vázquez Velazco au fort Tiuna ; tous deux sont installés au cinquième étage de l’état-major et ils y restent jusqu’au fiasco du putsch.
53 Siège du gouvernement à Caracas.
54 Les hélicoptères du commando chargé de délivrer Chávez et conduit par le général Alí Uzcátegui Duque arrivent à l’Orchila le dimanche 14 avril, à deux heures du matin. L’avion étasunien est toujours sur la piste… « On est partis dans trois hélicoptères Cougard, de la marine, quinze commandos très bien entraînés des Opérations spéciales de la Maison militaire de la présidence de la République, un médecin et un juge militaire pour éviter tout abus. On a décollé de la brigade de paras vers 23 h 48. » (Témoignage d’Uzcátegui, in Chávez Nuestro, op. cit., p. 287.)
55 Une fois rentré à Miraflores, Chávez s’adresse à la population massée devant le Palais présidentiel le dimanche 14 avril à 04 h 40.
56 Le 12 avril, alors qu’il est aux arrêts au fort Tiuna, Chávez est interrogé par deux jeunes procureurs militaires, des sous-lieutenants, qui le traitent avec beaucoup de respect, mais en présence de Julio Rodríguez Salas, un colonel très hostile chargé de le surveiller. Elles transcrivent ses déclarations à la main. Quand Chávez les lit, il constate qu’elles n’ont pas mentionné son déni de démission, mais il les signe néanmoins car il suppose que c’est à cause du colonel. De fait, une fois dehors, une des procureurs rajoute : « A déclaré n’avoir pas démissionné » et envoie la déclaration par télécopieur au procureur général de la République, Isaías Rodríguez. Vers 14 h 40, celui-ci déclare à la télévision avoir appris depuis le fort Tiuna que Chávez n’a pas démissionné, que le parquet ne dispose d’aucune attestation écrite de sa prétendue démission, et il se demande pourquoi il est emprisonné sans avoir commis de délit ; de toute façon, à supposer qu’il ait démissionné, son successeur est le vice-président ; et de conclure : Nous sommes en présence d’un coup d’État. Bien entendu, ses déclarations sont censurées…
57 William Lara, député et président de l’Assemblée nationale.
58 Programme de télévision dominical de Chávez.
59 « Je croyais le 11 avril qu’il n’y avait que deux ou trois traîtres, et pourtant plus de cent hauts gradés, presque tous sans commandement, étaient impliqués. » (Témoignage du général Carneiro, id.,p. 171.)
60 Entre le 12 et le 13 avril 2002, on dénombre plus de soixante-dix assassinats et des centaines d’arrestations.
61 La Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), dont le secrétaire général est Carlos Ortega, est toujours dirigée par une mafia syndicale aux ordres des deux vieux partis traditionnels, AD et COPEI, et résolument hostile à la Révolution bolivarienne, allant jusqu’à signer, le 5 mars 2002, un pacte d’alliance avec la direction tout aussi véreuse de l’entreprise pétrolière PDVSA, qui contrôle le pétrole, moteur économique quasi unique du pays, et qui s’oppose farouchement au changement de direction que vient d’imposer le gouvernement, le pacte de l’Esmeralda, appuyé par la hiérarchie catholique. Le 6 avril, la CTV convoque une grève de 24 heures pour le 9, avec l’appui de PDVSA et du patronat (FEDECAMARAS). Le 11 avril, alors que le coup d’État est en marche, le président de la CTV appelle à marcher sur Miraflores. Effectivement, le 13 avril, dans l’après-midi, Carlos Ortega refuse d’assister à l’ « investiture » de Carmona, parce que les putschistes étaient censés installer un triumvirat dont il devait faire partie. Furieux de n’occuper aucun poste important, il rejoint en jet privé sa luxueuse résidence dans l’État de Falcón…